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L A LOGIQUE,
o u
LES PREMIERS DÉVELOPPEMENS
DE L'ART DE PENSER.
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Ùniversity of Ottawa
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LA LOGIQUE,
O V
LES PREMIERS DÉVELOPPEMENS
D K
L'ART DE PENSER
Par CONDILLAC.
A PARIS,
Chez Fr. D u F a r t , Imprimeur de la
Commission executive dlnstructi^n publi"^
que , rue .Honoré , N^. loo.
^oiversita^
' îîav ens\^^
Livres ëiementaîres sur îe même
format , qui se trouvent chez le même
Libraire.
Cours d' études pour les jeunes gens;
par Condilîac , 6 vol. iii-iS , conte^
liant discours et leçons prélimi-
flaires; la grammaire; traite de l'art
d'écrire ; de l'art de raisonner ; de
l'art de penser et de l'art d'écrire
l'Histoire.
Logique ou réflexions sur les princi-
pales opérations de l'esprit ; par
Dumarsais y i vol.
Principes de grammaire ou fragmens
sur les causes de la parole; par
' Dumqjsais^
Des droits et devoirs du citoyen ; par
Mably , z vol.
Tropes (les) ; par Dumarsais, a voL
1/
r ^ i I €^ ^
zsr?!5 L'.i? ■" ' T^ ' ^w^fflgffl* '' - ' -^ r' r ''"^ ' r w
COURS D'ÉTUDE
POUR L'INSTRUCTION
DES JEUNES GENS.
LA LOGIQUE,
o u
Les premiers développetnens de Var
de penser.
OBJET DE CET OUVRAGE.
I
L étoit naturel aux hommes de sup-
pléer à la foiblesse de leurs bras par
les moyens que la nature avoit mis à
leur porte'e, et ils ont été mécaniciens
avant de chercher à rétre. C'est ainsi
qu'ils ont été logiciens : ils ont pensé
ayant de chercher comment on pense»
A3
6 La Ij o ©^ I f tt e.
Il falloit même qu'il s'ëcouîât de«
siècles pour faire soupçonner que la
pensée pent être assujettie à des îoix;
et aujourd'hui le plus grand nombre
pense encore sans former de pareils
soupçons.
Cependant un heureux instinct ,
qu'on nommoit^a/(^7i/^, c'est-à-dire, une
manière de Yoir plus sûre et mieux sen-
tie, s:aidoità leur insu les mcill3ur^es-
prits. Leurs écrits devenoient des mo-
de J es, et on chercha dans ces écrits,
par quel artifice , inconnu mémo à eux ,
ilsproduisoientlepîaisir e; la lumière.
Plus ils et mnoient , plus on imagina
qu'ils avoient des moj^ens extraordi-
naires : et Ton chercha ces moyens
extraordinaires, quand on auroit du
n'en chercher que de simples, On crut
donc bientôt avoir deviné les homme*
de génie. Mais on ne les devine pas
facilement ; leur secret est d'autant
mieux gardé , qu'il n'est pas toujours
«n leur pouvoir de le révéler.
On a donc chercha i^ ioix d« l'art
Là Logique. 7
€le penser où eV.es n'etoient pas ; et
cest là vraisemblablement que nous
les cheixlierioïïs nous-mêmes, si nous
avions à commencer celte jeclierche.
Mais en les cherchant où elles ne sont
pas, on nous a montre où elles sont;
et nous pouvong nous flatter de les
trouyer , si nous savons mieux observer
qu on n'a fait.
Or, comme Tart de mouvoir de
grandes masses a ses loix dans les
facultés du corps , et dans les leviers
dont nos bras ont appris à se servir ,
i art de penser a les siennes dans les
facultés de l'ame 3 et dans les leviers
dont notre esprit a e'gaiement appris à
se servir. Il faut donc observer ce*
facultés et ces leviers.
Certainement un homme n'imagine-
roit pas d'établir des définitions , de«
axiômts , des principes, s'il vouloit
pour la première fois faire quelque
usage des fécultés de son corps ; il ne
le peut pa.3. ïî est force de commencer
par se «ervir de ses trâ« ; il lui ©ift
s La Logique.
naturel de s en servir , il lui est égale-»
nient naturel de s'aider de tout ce qu'il
sent pouvoir lui être de quelque se-
cours , et il se fait bientôt un levier d'un
Lâton. L'usage augmente ses forces :
l'expérience qui lui fait remarquer
pourquoi il a mal fait , comment il
peut mieux faire , développe peu-à-
peu toutes les facultés de son corps,
et il s'instruit.
C'est ainsi que la nature nous force
de commencer ^ lorsque pour la pre-
mière fois nous faisons quelque usage
des fecultés de notre esprit. C'est elle
qui les règle seule , comme elle a
d'abord réglé seule les facultés du
corps ; et si dans la suite nous sommes
capables de les conduire nous-mêmes,
cen'est qu'autant que nous continuons
comme elle nous a ftiit commencer, et
îiou s devons nos progrès aux premières
leçons qu elle nous a données. jN'ous ne
commencerons donc pas cette logique
par des définitions , des axiomes , des
principes : nous commencerons par
La Logique. 9
observer les leçons que la nature nous
donne.
Dans la première partie, nous ver-
rons que l'analyse est une méthode
que nous avons apprise de la nature
même, et nous expliquerons , d'après
cette méthode, l'prigine et la généra-
tion , soit des idées , soit des facultés
de l'anie. Dans la seconde, nous con-
sidérerons l'analyse dans ses moyens
et dans ses eilets ; et l'art de raisonner
sera réduit à une langue bien faite.
Ceît^logiquene ressemble à aucune
de celles qu'on a faites jusqu'à pré-
sent ; mais la manière neuve dont elle
est traitée , ne doit pas être son seul
avantage; il faut encore qu'elle soit
la plus simple, la plus facile et la plus
lumineuse.
PREMIERE PARTIE.
Comment la nature même nous en-
seigne l'analyse; et comment^d'après
cette méthode , on explique l'ori-
gine et la génération, soit des ide'es^
soit des facultés de l'ame.
—I 1 1 1 ■■ I - ■ .1 I I II ■ Il ft . i>
CHAPITRE PPiEMIER.
Comment la nature nous donne les
premières leçons de l'art de penser»
N
os sens sont les premières faculté*
que nous remarquons ; c'est par eux
3euls c[ue les impressions des objets
viennent jusqu'à l'ame. Si nous avions
cté privés de la vue , nous ne connoî-
trions ni la lumière ni les couleurs :
si nous avions été privés de l'ouïe ,
hqus naurions aucune connoissanca
La Logique. iî
des sons : en un mot , si nous n'ayiong
jamais eu aucun sens y nous ne connoî"*
trions aucun des objets de la nature.
Mais pour connoî tre ces objets ,
sufHt-il d'avoir des sens ? Non , san$
doute ; car les mêmes sens nous sont
communs à tous , et cependant nous
n'avons pas tous les mêmes connois-
sances. Celte ine'galité ne peut prove-
nir que de ce que nous ne savons pas
tous faire également de nos sensTusage
pour lequel ils nous ont ëtë donnes. Si
je n'apprends pas à les re'gler , j'ac-
querrai moins de connoissances qu'un
autre; par la même raison qu'ion n@
danse bien qu'autant qu'on apprend à
Tc'gler ses pas. Tout s'apprend ^ et il y
a un art pour conduire les facultés de
l'espritjCommeil y en a pour conduire
les faculte's du corps;mais on n'apprend
à conduire celles-ci que parce qu'on
les connoît : il faut donc connoître
celles-là pour apprendre à les conduire.
Les sens no sont que la cause occa—
sionnellô des impressions que les objets
ï2 Là Logique
font sur nous. C'est l'ame qui sent ,
c'est à elle seule que les sensations
appartiennent;et sentir est la première
faculté que nous remarquons en elle.
Cette faculté' se distingue en cinq es-
pèces, parce que nous avons cinq es-
pèces de sensations. L'ame sent par la
Tue ; par l'ouie , par l'odorat , par le
goùt^et principalement par le loucher.
Dès que l'ame ne sent que par les
organes du corps, il est évident que
que nous apprendrons à conduire avec
règles la faculté de sentir de notre
ame , si nous apprenons à coi^duire
avec règles nos organes sur les objets
que nous voulons étudier.
Mais comment apprendre à bien
conduire ses sens ? en faisant ce que
TiOus avons fait l^orsque nous les avons
bien conduits. Il ny a personne à qui
il ne soit arrivé de les bien conduire;
quelquefois au moins. C'est une chose
sur Iciquelle les besoins et l'expérience
nous instruisent promptement : les en-
funs eu sont la preuve. Ils acquièrent
des
La L o g I o u e. ïi
cies connoissançes-sans notre secours ;
ils en acquièreiTt malgré lés obstacles
que noiis nicttons au. développement
de leurs'Xacuîtés; Ils ont donc un art
pour eli acquérir. Il est v!rai qu'ils en
suivent les règîc^ à leur insU ; mais ils ^
les suivent. Il ne faut donc que leur
faire remarquer ce qu'ils font quel-
quefois ; pour leur apprendre à le
faire touiours: et il' se trouvera^ aue
nous ne leur apprendrons que ce
cju'ils savoient faire. Comme ils ont
coiomencé seuls à développer leurs
. facultés 5 ils, sentiront qu'ils les. peu-
vent développer encore, s'ils font^pôur
achever ce développement , ce qu^ils
ont fait pour le.comniencer. ils le sen-
tiront d'autant plus , qu'ayant com-
mencé' avant d'avoir rien appris ^ ib
ont bien commencé, parce que c'est la
nature qui conmiençoit pour eux.
C'est la nature, c'est-à-dire , nos fa-
cultés déterminéespar nos besoins ; car
les besoins et les facultés sont propre-
ifueut ce que ïioui>iiOJiiiiions la nature
B
14 J-^ X Logique,.
de chaque cinimal , et par-là nous n®
voulons dire autre chose , sinon qu'un
animal est né avec tels besoins et telles
faculte's. Mais parce que ces besoins
et ces facultés de'pendent de l'organi-
sation et varient comme elle, c'est une
conse'quence que y par la nature^nous
entendions la conformation des or-
ganes ; et ^ en effet, c'est~là ce qu'elle
est clans son principe.
Les animaux qui s'élèvent dans les
airs , ceux qui ne vont que terre à
terre, ceux qui vivent dans les eaux ,
sont autant d'espèces qui , étant con-
formées différemment , ont chacun®
des besoins et des facultés qui ne
sont qu'à elles, ou , ce qui est la même
chose , ont chacune leur nature.
C'est cette nature qui commence ;
et elle commence toujours bien, parce
qu'elle commence seule. L'intelligence
qui l'a créée l'a voulu ; elle lui a. tout
donné pour bien commencer. Il failoit
que chaque animal pût veiller debonne
.lieure à §a conservation; il nepouyoit
Là L (& I. q t; e. iÇ
donc s'introduire trop promptement,
et les leçons de la nature deyoient être
aussi promptes que sûres. -
Un enfant n'apprend que parce qu'il
sent le besoin de s'instruire. Il a , par
exemple ^ un intérêt à connoître sa
nouîrice , et il la connoit bientôt : il
la dëméleeiiti'e plusieurs personnes, il
ne la confond ayec aucune, et con-
noître n'est que cela. En effet , nous
n'acquérons des connoissances qu'à
proportion quenous démêlons une plus
grande quantii é de choses , et que nous
remarquons mieux les qualités qui les
distinguent : nos connoissances com-
mencent au premier objet que nous
avons appris à démêler.
Celles qu'un enfant adesanourrica
ou de toute autre chose , ne sont en-
corepour lui que des qualités sensibles.
Il ne les a donc acquises que par la
nianierô dont il a conduit ses sens. Un
besoin pressant peut lui faire porter un
faux jugement , parce qu'il le fait j uger
à la hâte ; mai« Terreur ne peut être
î6 La L o g I q u î:.
que momentanée. Trompé dans son
attente, il sent bientôt la nécessite de
juger unesecondefois,eti]jug;e mieux:
rexpërience qT)i veille sur lui, corrige
ses nifiprises. Croit-il Toir sa nourrice,
parce qu'il apperçoit dans l'éloigné-
ment une personne qui lui ressemjple ?
son erreur ne dure pas. Si un premier
coup-d'œil l'a trompé, un second le
détrompe , et il la cherche des jeux.
Ain-iles sens détruisent souvent eux-
mêmes les erreurs où ils nous ont fait
tomber : c'est que si une première ob-
servation ne répond pas au besoin pour
lequel nous l'avons faite, no us sommes
avertis par-là que nous avons mal ob-
servé^ et nous sentons la nécessité d'ob-
server de nouveau. Ces avertissemens
ne nous manquent jamais , lorsque
les choses sur lesquelles nous nous
trompons, nous sont absolument né-
cessaires ; car dans la jouissance , la
douleur vient à la suite d'un jugement
faux, comme le plaisir vient à la suite
d'un j ogemewt yrai.Le plaisir et la dou-
La L o Ct t q tr e. 17
leur j voilà donc nos premiers maîtres :
îîs nous éclairent , parce qu'ils nous
avertissent si nous jugeons bien , ou si
nous jugeons mal ; et c'est pourquoi,
dans l'enfance , nous faisons sans se-
cours des progrès qui paroissent aussi
japides qu'etonnans.
Un art de raisonner nous seroit donc
îout-à-fait inutile ^ s'il ne nous falioit
jamaisjuger jquedes choses qui sera-
portent aux besoins de première né-
cessite. Nous raisonnerions naturelle-
ment bien, parce que nous réglerions
nos jugemens sur les avertisemens de
la nature. Mais à peine nous com-
mençons à sortir de l'enfance , que nous
portons déjà une multitude de juge-
mens sur lesquels la nature ne nous
avertit plus. Au contraire, il semble
que le plaisir accompagne les juge-
mens faux comme les jugemens vrais,
et nous nqus trompons avec con-
fiance : c'est que dans ces occasions la
curiosité est notre unique besoin , et
î§ L À L G G I Q 17 E.
que la curiosité ignor'ante se con-
tente de tout. Elle jouit de ses er-
l'eurs avec une sorte de plaisir ; elle
s'y attache souvent avec opiniâtreté ,
prenant un mot qui ne .signifie rien,
pour une réponse , et n'étant pas ca-
pable de reconni lire que cette ré-*
pense n'est qu'un mot. Alors nos er-
reurs sont durables. Si , comme il n'est
que trop ordinaire , nous avons jugé |
des choses qui ne sont pas à notre por-
tée, l'expérience ne sauroit nous dé-
tromper ; et si nous avons }ugé des
autres avec trop de précipitation , elle
ne nous dvétrompe pas davantage ,
parce que notre prévention ne nous
permet pas de la consulter.
Les erreurs commencent donc lors-
que la nature cesse de nous averti]?
de nos méprises; c'est-à-dire, lorsque
jugeant des choses qui ont peu derap-
por t aux besoins de première nécessite,
nous ne savons pas éprouver nos juge-
mens , pour reconnoitre s'ils sont Yrais
ou s'ils sont fiius:. ( Cours d'étude ,
La L o g I ç u k. i^
Hist, anc. liv» IIL chap. IIL ( ^ )
Mais enfin puisqu'il y a des choses
(^) Pour apprendre un art mécanique, il ne
suftu pas d'en concevoir la théorie , il en faut
acquérir la pratique, car la théorie n*€St que la
connoissance des règles; et l'on n'est pas mé-
canicien par cette seule connoissance , on ne
l'est que par l'habitude d'opérer. Cette habi-
tude une fois acquise , les règles deviennent
inutiles : on n'a plus besoin d'y penser et on
fait bien, en quelque sorte, naturellement.
C'est ainsi qu'il faut apprendre l'srt de rai-
sonner, l[ ne sufnroit pas de concevoir cette
logique, si l'on ne se fiiit pas une habitude de
l.»i méthode qu'elle enseigne ; et si cette ha-
î)itude n'est pas telle , qu'on puisse raisonner
bien sans avoir besoin de penser aux règles ,
en n'aura pas la pratique de l'art de rai-
sonner ; ©n n'en aura qtîe la théorie.
Cette habitude , comme toutes îes antrr'? • ne
peut se contracter que par un long exercice. lî
faut donc s'exercer sur beaucoup d'objets.
J'indique ici les lectures qu'il faudra faire à
cet fciletj et je les indiquerai ailleurs de la même
manière. xMais parce qu'on acquiert la pratique
d'un art d'autant plus facilement qu'on en con-
çoit mieux la théorie , on f«ra bien de ne faire
les lectures auîi^quelles je renvoie , que lors-
qu'on aura saisi l'esprit de cette logique , c«
qni demande qu'on la lise au moins vme fois.
Quand on aura saisi Tesprit de cette logique ,
en la recommencera j tt u niesui* qu'on avari-
âo La Logique.
dont nous jugeons bien , même dés
l'enfance , il n'y a qu'a observer com-
ment nous nous sommes conduits pour
en j^iger, et nous saurons comment
nous devons nous conduire pour juger
des autres. Il suffira de continuer
comme la nature nous a fait commen-
cer , c'est - à - dire , d'observer et de
mettre nos jugemens à Tëpreuve de
l'observation et de l'expeYience.
C'est ce que nous avons tous fait
dans notre première enfance ; et si nous
pouvions nous rappeller cet âge, nos
premières études nous mettroient sur
la voie pour en faire d'autres avec fruit.
Alors chacun de nous faisoit des dé-
couvertes qu'il ne devoit qu'à ses ob-
servations et à son expérience ; et nous
en ferions encore aujourd'hui, si nous
savions suivre le chemin que la na-
ture nous avoit ouvert.
cera, on fera les I-ectiires que j'indique. José
promettre à ceux qui i'étudieront ainsi , qu'ils
scquierront pour toutes leurs études une faci-
lité dont ils 5ei;i>nt é tonnés : j'ea ai Texpérience»
Là L o c. I q t; fi. lî
11 ne s'agit donc pas d'imaginer nou s-
mêmes un système pour sayoir com-
ment nous devons acquérir des con-
noissances ; 8"ardons-nousenbien. La
nature a fait ce système elle-même ;
elle pou Yoit seule le faire : elle l'a bien
fait, et il ne nous reste qu'à observer
ce qu'elle nous apprend.
Il semble que pour étudier la natu-
re, il fau droit observer dans lesenfans
lespremiers dëvelcppemens de nos fa-
cultés, ou se rappeler ce qui nous est
arrive' à nous-mêmes. L'un et l'autre
sont difficiles. Nous serions souvent re'-
duitsà lanêcesâtédefaire des supposi-
tions. Mais des suppositions auroient
rinconvênient de paroître quelquefois
gratuites, et d'autres fois d'exiger qu'on
se mit dans des situations où tout le
monde ne sauroit pas se placer. Il suffit
d'avoir remarque que les enfàns n'ac-^
quièrent de vrais connoissances , que
parce que n'oBservant que âes choses
' j relatives aux besoins les plus urgens ,
ils ne se trompent pas; ou que s'ils si^
22 La Logique.
trompent , ils sont aussitôt avertis de
leurs méprises. Bornons-nous à recher-
cher comment aujourd'hui nous nous
conduisons nous-mêmes lorsque nous
acquérons des connoissances.Si nous
pouvons nous assurer de quelques-
unes ; et de la manière dont nous les
avons acquises , nous saurons comment
ïiousen pouvons acquérir d'autres.
CHAPITRE II.
Que Vancilyse est l'unique mélhodt
pour acquérir des connaissances.
Comment nous l'apprenons de la
nature même.
j
E suppose un château qui domine
sur une campagne vaste , abondante,
où la nature s'est plu à répandre la va-
riété , et où l'art a su profiter des situa*
tions pour les varier et les embellir en-[
core* Nous arrivons dans ce château
pendant la nuit. Le lendemain ^ lesi
La Logique. êj
fenêtres s'ouvrent au moment où le
soleil commence à dorer l'horison , et
elles se referment aussitôt.
Quoique cette campagne ne se soit
montrée à nous qu'un instant 5 il est cer-
tain que nous avons vu tout ce qu'elle
renferme. Dans un second instant; nous
n'aurions fait que recevoir les mêmes
impressions que les objets ont faites sur
nous dans le premier. Il en seroit de
même dans un troisième. Par consé-
quent , si l'on n'avoit pas refermé les
fenêtres , nous n'aurions continué de
Toir que ce que nous a\ions d'abord vu .
Mais cepremier instpaitne suffit pas
pour nous faire connoître cette cam-
pagne , c'est-à-dire, pour nous faire
démêler les objets qu'elle renferme :
c'est pourquoi, lorsque l@s fenêtres se
?OTit refermées, aucun de nou.^ n'au-
■tpu rendre compte de ce qu'il a vu.
Voilà comment on peut voir beaucoup
de choses et ne rien apprendre.
Enfin , les fenêtres se rouvrent pour
cac plus sç refermer tant que le séleil
24 I^ ^ L O 6^ ï Q U B.
fiera sur l'horizon , et nous revoyons
long- temps tout ce que nous avons d'a-
bord vu. Mais si , semblables à des
hommes en extase , nous continuons ,
comme au premier instant, de voir à-
la-fois cBtte, îîïliltitude d'objets dîfFë-
l'ens 5 nous n'eu ^aurons pas plus lors^
que 1^ nui|: surviëtidraj que nous n'en
referme'es.
Pour âvoÎTUiieconnoissaiice de cette
campagne ,iï ïie suffit cIoixg pas de la
vèir tout à-la- fois; il, ea faut voie
chaqtie partie l'une àptès Fa titre ; et
au lieu de tout eml>tà%er d'un coup-
d'œil 5 il faut arréterrïès regards suc-
cessiv^mejlt d'un objet i:ur un objet»
^^ oilà ce que la nature nous apprend à
tous. Si aliénons a don aé la faculté àe
voir i^ne 'multitude de choses à-la-
fois j elle nous a donne aussi la faculté
de n'en regarder qu'une , c'est-à-dire ^
de diriger nos yeux sur une seule ; et
c e::t à cette faculté; qui est une suite
dci
L X Logique- aç
de notre organisation , que nous devons
toutes les connoissances que nous ac-
quérons par la vue.
Cette faculté nous est commune à
tous. Cependant si ^dans la suite ^ nous
voulons parler de cette campagne , on
remarquera que nous ne la connois-
;• sons pas tous e'galement bien. Quel-
ques-uns feront des tableaux plus ou
moins vrais, où l'on retrouvera beau-
coup de choses comme elles sont en
effet ; tandis que d'autres , brouillant
tout, feront des tableaux où il ne sera
pas possible de rien connoître. Chacun
de nous néanmoins a vu les mêmes ob-
■\ jets ; mais les regards des uns étoient
', conduits comme au hazard , et ceux
.. des autres se dirigeoient avec un cer-
. tain ordre.
Or , quel est cet ordre ? La naturs
îindique elle-même; c'est celui dans
lequel elle oflre les objets, Il y en a
quiappellenj: plus particulièrement les
. regards : ils sont plus frappans , ils
domijaei;it^ çt tous Iq^ autres semblent
G
26 L A L O G I Q TT E,
s'arranger autour d'eux pour eux. Yoî-
là ceux qu'on observe d'abord ; et
quand on a remarque leur situation
respective, les autres se mettent , dans
les intervalles ^ chacun à leur place.
On commence donc par les objets
principaux : on les observe successive-
ment , et on les compare , pour juger
des rapports où ils sont. Quand ^ par
ce moyen, on a leur situation respec-
tive, on observe successivement tous
ceux qui rem^^lissent les intervalles;
on les compare chacun avec l'objet
principal le plus prochain , et on en
détermine la position.
Alors oji dëméle tous les objets dont
on a saisi la forme et la situation ; et
on les embrasse d'un seul regard. L'or-
dre qui est enti'e eux dans notre es-
prit, n'est donc plus successif; il est si-
multané. C'est celui-là même dans le-
quel ils existent 5 et nous le voyons tous
à-la~ fois d'une manière distincte.
Ce sont-là des connoissancs que nous
devons uniquement à l'art avec
La L o g I ^ u i. !i7
lequel nous avons dirige nos regards.
Kous ne les avons acquises que Tune
après l'autre ; mais une fois acquises ,
elles sont toutes en mème-tems pre'-
sentes à l'esprit , comme les objets
qu'elles nous retracent sont tous pre'-
sens à l'œil qui les voit.
Il en est donc ce l'esprit comme de
l'oeil : il voit; à-la-fcis une multitude de
choses ; et il ne faut pas s'en e'tonner ^
puisque c'eit à l'ame qu'appartiennent
toutes les sensations de la vue.
Cette vue de l'esprit s' étend comme
la vue du corps : si l'on est bien orga-
nise, il ne faut à Tune et à l'autre que
de l'exercice^ et on ne sauroit en quel-
que sorte cii'conscrire l'espace qu'elles
embrassent. En effets un esprit exercé
voit dans un sujet qu'il médite, une
multitude de rapports que nous n'ap-
percevons pas; comme les yeux exercés
d'un grand peintre démêlent en un mo-
ment, dans un pay:;age , une multiude
de choses que nous voyons avec lai,
et qui cependant nous échappent,
C z
La LoeiçuE.
Nous pouvons^ en nous transportant
de château en château , étudier de
nouvelles campagnes^ et nous les retra-
cer comme la première. Alors il nous
arrivera , ou de donner la préférence
à quelqu'une , ou de trouver qu elles
ont chacune leur agrément. Mais nous
n'en jugeons , que parce que iious les
comparons : nous ne les comparons
que parce que nous nous les retra-
çons toutes en méme-tems. L'esprit
voit donc plus que l'œil ne peut voir.
Si maintenant nous réfle'chissons sur
la manière dont nous acquérons des
connoissances par la vue, nous remar-
querons qu'un objet fort composé ,
tel qu'une vaste campagne, se décom-
pose en quelque sorte , puisque nous
ne le connoissons que lorsque ses par-
ties sont venues , l'une après l'autre,
s'arranger avec ordre dans l'esprit.
Nous avons vu dans quel ordre se
fait cette décomposition. Les princi-
paux objets viennent d'abord se placer
éans l'esprit ; les autres y yieuneat ei>
La L o ^ I q tr e. i^
suite, et s'y arrangent suivant lesrap—
port5 0ù ils sont avec les premiers. Nous
ne faisons cette décomposition que
parce qu'un instant ne nous suffit pas
pour étudier tous ces objets. Mais
nous ne de'composons que pour décom-
poser ; et lorsque les connoissances
sont acquises , les choses, au lieu d'être
successives , ont dans l'esprit le méma
ordre simultané qu'elles ont au-de-
hors. C'est dans cet ordre simultané
que consiste la connoissance que noua
en avons ; ca.r si nous ne pouvions
nous le retracer ensemble, nous nei
pourrions jamais juger des rapport»
où elles sont entre elles , et nous leB
connoî; rions mal.
Analvser n'est donc autre chose
qu'observer dans un ordre successif
les qualités d'un objet, afin de leur
donner dans l'esprit l'ordre simultané
dans lequel elles existent. C'est ce que
la nature nous fait faire à tous. L'ana-<
lyse, qu'on croit n'être connue que de^
philosophes , est donc connue de tou^
C3
30 La Logique.
le monde , et je n ai rien appris an lec-
teur; je lui ai seulement fait remar-
quer ce qu'il fait continuellement.
Quoique d'un coup-d'œil je dëméle
une multitude d'objeis dans une cam-
pagne que j'ai e'tudiée , cependant la
vue n'est jamais plus distincte que
lorsqu'elle se circonscrit elle-même ,
et que nous ne regardons qu'un petit
nombre d'objets à-la-fois : nous eu
discernons toujours moins que nou«
n'en voyons.
Il en est de même à la vue de l'es-
prit. J'ai à-la-fois présentes un grand
nombre de connoissances qui me sont
devenues familières ; je les vois toutes,
mais je ne les deméle pas également,
pour voir d'une manière distincte tout
ce qui s'offre à-la-fois dans mon esprit,
il faut que je décompose comme j'ai
décompose ce quis'offroitàmes yeux:
il faut que j'analyse ma pensée.
Cette analyse ne se fait pas autre-
ment que celle des objets extérieurs, j
On décompose de même ; on se retrace
Là Logique. 31
les parties de sa \)ensQe dans un ordre
successif, pour les rétablir dans un
ordre simultané : on fait cette com-
position et cette décomposition , en
se conformant aux rapports qui sont
entre les choses , comme principales
et comme subordonnées , et parce
qu'on n analyseroitpas une campagne,
à la vue ne l'embrassoit pas toute
entière; on n analyseroit pas sa pen-
sée 5 si l'esprit ne l'embrassoit pas
toute entière également. Dans l'un
et l'autre cas, il faut tout voir à-la-
fois ; autrement on ne pourroit pas
s'assurer d'avoir vu Tune après l'autre
toutes les parties.
CHAPITRE III.
Que r analyse fait les esprits justes.
\w.J
JHAcuN de nous peut remarquer
qu'ilne connoîtlesobjetssensibîes que
5a L A L <R I Q tr E.
par les sensations qu'il en reçoit : ce
sont les sensations qui nous les repré-
sentent.
Si nous sommes assurés que lors-
qu'ils sont présens 5 nous ne les voyons
que dans les sensations qu'ils font ac-
tuellement sur nous, nous ne le som-
mes pas moins , que lorsqu'ils sont
absens; nous ne les voyons que dans
le souvenir des sensations qu'ils ont
faites. Toutes les coniloissances que
nous pouvons avoir des objets sensi-
bles , ne sont donc , dans le prin-
cipe 5 et ne peuvent être que de$
sensations.
Les sensations, considérées comme
représentant les objets sensibles , se
nomment idées ; expression figurée ,
qui au propre signifie la même chose
qu images.
Autant nous distinguons de sensa-
tions différentes^ autant nous distin-
guons d'espèces d'idées ; et ces idées
sont ou des sensations actuelles, ou
h k L o (^ I Q u T!:. 53
«lies ne sont qu un souvexiir des sen--
sations aue nous avons eues.
Quand nous les acquérons par la
incthode analytique^ découverte dans
le clîapiLre précèdent^ elles s'arrangent
avec ordre dans l'esprit; elles y con-
servent l'ordre que nous leur avons
donne', et nous pouvons facilement
nous les retracer avec la même netteté
avec laquelle nous les avons acquises.
Si^ au lieu de les acque'rir par cette
me'thode, nous les accumulons au ha-
sard, elles seront dans une grande
confusion , et elles y resteront. Cette
confusion ne permettra plus à l'esprit
de se les ra.ppeler d'une manière dis-
tincte; et si nous voulons parler des
connoissances que nous croyons avoir
acquises, on ne comprendra rien à nos
discours, parce que nous n'y compren**
drons rien nous-mêmes. Pour parler
d'une ma.nière à se faire entendre , il
faut concevoir et rendre ses idées dan»
l'ordre analytique qui décompose et
recompose chaque pensée. Cet ordr#
34 La Logique.
estleseuî qui puisse leurdonner toute
la clarté et toute la précision dont elles
sont susceptibles; et comme nous n'a-
vons pas d'autres moyens pour nous ins-
truire nous-mêmes, nous n'en ayons
pas d'autres pour communiquer nos
connoissances. Je l'ai dëja prouvé ,
mais j'y reviens, et j'y reviendrai en-
core, car cette vérité n'est pas assez
connue; elle est même combattue ,
quoique simple, évidente et fonda-
mentale.
En effet, que je veuille connoître
une machine, je la décomposerai,
pour en étudier séparément chaque
partie. Quand j'aurai de chacune une
idée exacte, et que je pourrai les re-
mettre dans le même ordre où elle»
ëtoient,alorsjeconcevraiparfaitement
cette machine, parce que je l'aurai
décomposée et recomposée.
Qu'est-ce donc que concevoir cette
machine? C'est avoir une pensée qui
«5t composée d'autant d'idées qu'il y a
La Logique- jç
départies dans cette machine même ,
d'idées qui les représentent chacune
exactement , et qui sont disposées dans
le même ordre.
Lorsque Je Tai étudié avec cette
méthode qui est la seule ^ alors ma
pensée ne m'oflre que des idées dis-
tinctes; et elles'analyse d'elle-même ,
soit que j e veuille m'en rendre compte,
soit que je veuille en rendre compte
aux autres.
Chacun peutse convaincre de cette
vérité par sa propre expérience; il n'y
? pas même jusqu'aux pluspetites cou-
turier es qui n'en soient convaincues :
car si, leur donnant pour modèle,
une robe d'une forme singulière, vous
leur proposez d'en faire une semblable,
elles imagineront naturellement de dé-
I faire et de refaire ce modèle, pour ap-
prendre à faire la robe que vous de-
mandez. Elles savent donc l'analyse
aussi bien que les philosophes, et elles
çn connoissent l'utilité beaucoup
36 La Logique.
mieux que ceux qui s'obstinent à sou-
' tenir qu'il y a une autre méthode pour
«'instruire.
Croyons avec elles qu'aucune autre
Inéthode ne peut supple'erà l'analyse.
A ucune autre ne peut répandre la mê-
me lumière : nous en aurons la preuve
toutes les fois que nous voudrons étu-
dier un objet un peu composé. Cette
méthode, nous ne l'avons pas imagi-
née; nous ne l'avons que trouvée, et
nous ne devons pas craindre qu'elle
nous égare. Nous aurions pu, avec les
philosophes , en inventer d'autres, cl
mettre un ordre quelconque entre nos
idées : mais cet ordre qui n'auroit pas
été celui de l'analyse, auroitmis dans
nos pensées la même confusion qu'il a
mise dans leurs écrits; car il sembleil
que plus ils affichent l'ordre, plus ils
s'embarrassent , et moins on les entend.
Ils ne savent pas que l'analyse peut
seule nous instruire, vérité-pratique
^'oaxiu e des artisaus les plus grossiers.
Il
La L o e I q tt k. 37
îlya des esprits justesqui paroîssent
ïïe rien avoir étudie ^ parce qu'ils ne
paroissent pas avoir médite pour s'ins-
truire;cepeiidantilsoiîl: fait des études,
et ils les ont bien faites. Comme ils les
faisoient sans dessein prémédité , ils
ïlesongeoient pas à prendre des leçons
d'aucun maître, et ils ont eu le meil-
leur de tous, la nature. C'est elle qui
leur a fait faire Tanalyse des choses
qu'ils étudoient, et le peu qu'ils sa-*
vent 5 ils le savent bien. L'instinct, qui
est un guide si sûr ; le goût , qui juge s|
bien,etqui cependant juge au moaient
même qu'il sent ; lestalens, quinesont
^eux-mêmes quelegoû.}: ,lorsq i'il pro-
duit ce doîit il est le juge ^ toutes ces
facultés sont; l'ouvrage de la nature ,
qui, en nous fiiisant analyser a notre
'^nsu , semble vouloir nous cacher tout
ce que nous lui de^/ons. C esr elle qui
in-spire l'homme de génie ; elle est la
muse qu'il invoque lorsqu'il ne sait pas
d'où lui viennent ses pensées.
Il y a des esprits faux qui ont fait dô
grandes études; ils repiquent debe.^u-
coup de me'thcde ^ et ils nen raisonnent
queplasmal: c'est quelorsqu'une mé-
thode n'est pas la tonne, plus on la suit,
plus ons' e'gare. On prend pourprîncipes
des notions vagues , des mots vide? de
senSjOn se fait un jargon scien ifique ,
dans lequel on crcil; voir l'e'vidence ;
et cependant on ne sait dans le vrai ni
ce qu'on voit, ni ce qu'on pense , m ce
qu'on dit. On ne sera capable d'ana-
lyser ses pen3e'esqu'auta.nt qu'elles se-
ront ellê.^-mémes l'ouvrage de l'analyse»
C'est donc, encore une tois.parrana—
îyse et par l'anaUse seule que nous de-
Yons nous' instruire. C'est la voielaplus
«impie 5 parce qu'elle est la plus natu--
relie,etnous verrons qu'elleest encore
ia plus courte. C'est elle qui a fait toutes
les de'couvertes^c'est par elle que nous .
retrouverons tout ce aui a e'të trouve';
et ce qu'on nomme méthoùe d'inven^
$1071, n'est autre chose que i'analvse.
( Cours d'étude . Ajt de penser , part.
Là L o e I <j u e. 5^
C H A P I T 11 E IV.
Com^^^itlcL naturi' nous fait observer
' ii^s objets sensibles pournous donner
*^^es idées de dijprentes espèces.
eus ne pouvons aller que du connu
à l'inconnu > et an principe bien tri-
vial dans la théorie , et presque ignoré
dans la pratique. Il semble qu'il ne
soit senti quepar les hommes qiû n'ont
point e'iudie. Quand ils veulent \ous
faire comprendre une chose que tous
ne counoishez pas , ils prennent uns
compai'aison dans un autre que vous
connoissez ; et s'ils né sont pas tou-
jours heureux dans le choix des com-
|înrai-Ons , iL fonî: voir au moins qu'ils
sentent ce quil faut foire pour être
entendjjs.
Il nen est pas de m-eme des sayansv
Quoiqu'ils veulent instruire , ils ou-'
î^ii^ut Yolculiers d'aller du connu à
D 2
'40 L À L O G I Q TJ E.
l'inconnu. Cependant ; si tous voulez:
me faire concevoir des idées que je n'ai
pas 5 il faut me prendre aux ide'es c^ue
j'ai. C'est à ce que je sais que coni-
îuence tout ce aue i'i2:nore , tout ce
qu'il est posdble d'apprendre ; et s'il
y a une méthode pour me donner de
nouvelles conuoissances ; elle ne peut
être que la méthode même qui m'en
a déià donne.
En eiîet , toutes nos connoissances
viennent des sens, celle:^ que je n'ai
pas comme celles que j'ai ; et ceux qui
sont plus savans que moi^ont été aussi
àgnorans que je le suis aujourd'hui. Or,
s'ils se sont instruits en allant du connu
à l'inconnu pourquoi nem'ins':ruirois-je
pas aussi en allant comme eux du connu
à l'inconnu? Et si chaaue coBnoi:sance
que j'acquiers me prépare à une con-
jîoissance nouvellejpourquoi ne pour-
rois-je pas aller , par une suite d'ana-
lyses , de cohnoissance en connois-
^ance ? En un mot , pourquoi ne trou-
yerojs-je pas ce que j'ignore , dans des
L A L O (^ I Q U E.
sensations où ils l'ont trouve ^ et qui
nous sont communes ?
Sans doute ils me fcroient facilement
^.découvrir tout ce qu'ils on; de'couvert,
s'ils savoient toujours eux-mêmes com-
ment ils se sont instruits. Mais ils
l'ignorent , parce que c'est une cliose
qu ils ont mal observée , ou à laquelle
la plupart n'ont pas même pense. Cer-
tainement ils ne se sont instruits qu'au-
^.tant qu'ils ont fal des analyses , et
qu'il'î les ont bien faites. Mais ils ne les
lemarquoient pas : la nature lesfaisoit
en quelque sorte en eux sans eux; et ils
aimoient à croire que l'avantage d'ac-
quérir des connoissances est un don ,
untaJeLt qui ne se communique pas
fiicilement. Il ne faut donc pas s'e'-
tonner si nous avons de la peine à les
entendre : dès qu'on se pique de ta-
leMS privilégies, on n'est pas fait pour
se mettre à la portée des autres.
Quoiqu'il en soit , tout le monde
est force de reconnoitre que nous ne
pouvons aller que du connu ài'incon-
V 3
42 La I^ o g I q u e
nu. Voyons l'usage que nous pouyoni
faire de ce:t3 vérité.
Encore enfans , nous avons acquis
des conooissances par une sui^e d'ob-
servations et d'analyses. C'est donc à
ces connoissances que nous devons re-
commencer pour continuer noj e'tu-
des. li fa ut les observer ^ les analyser ,
et dëcou vrir , s'il est possible ; tout ce
qu'elles renferment.
Ces conooissances sont une collec-
tion d'idées ; et cet!:e collection est un
système bien ordonne' , c'est-à-dire ,
une su'Xd d idées exactes , où l'analrsa
a mis Tordre qui est entre les choses
mêmes. Siiesidéesétoientpeu exactes
et sans ordre , nous n'aurions que des
connôisscinces imparfaites , qui même
neseroien:pasproprementdesconnois-
sances.Maisil n'y a personne qui n'eût
quelque système d idées exactes bien
ordonnées ; si ce n'«st pas sur des ma-
tières de spéculation, ce sera du moins
5ur des choses d'usage relatives a nos
besoins. Il ntn faut pas davantage.
L A L O G T Q U E. 43
Ceçt à ces idées qu'il faut prendre ceux
qu'on veut instruire -, er. il est eyidenÉ
qu'il faut leur en fiâre reraarqiier l'o-*
rigine cl la géneTation, si de ces ide'e«
en veut les conduire à d'autres.
Or , si nous observons rorigine et la
gene'ralion des ide'es, nous les verront
naître successivement les unes des am-^
très; et si celte succession cot conforma
à la manière dont nous les a.cqueTons,
îious en auvons bien fiiit l'anal) se.
L'ordre de l'analyse estdoncici l'ordrs
même de la génération des idées.
Nous avons dit eue les ideesiîns ob-
|ets sensibles nesont^dans leur origine,
que les sensations qui représentent ces
pbjets. Mais il n existe dam la nature
que des individus : donc nos première*
idées ne sont que des idées indivi-
duelles , des idées de Ici ou tel objet.
No ;* n'avons pas imaginé des noms
pour chaque individu^nous avonsseu-
lement distribué les individus dans dif-*
férentes classes, que nous distinguons
par des noms partie iiliers; et ces cias^cs
^44 L ^ L o G I Q V E.
sont ce qu'on nomme genres et espèces^
Wons avons , par exemple , mis clans la
classe à' arbre ^ les plantes dont la tige
«élève à une certaine hauteur , pour
^e diviser en une multitude de bran-
ches 5 et former de tous ses rameaux
une touffe plus ou moins grande. Yoi-
là une classe géneTalc qu'on nomme
^e/27r.Lorsqu'ensuiteon aobservé que
les arbres diffèrent par la grandeur ,
par la. structure , pa.r les fruits , etc.
on a distingue d'autres classes subor-
donne'es à la première qui les com-
pre.^d Joutes ; et ces classes subordon-
îièes ^out ce qu'on nomme espèces.
C'est ainsi que nous distribuons, dans
différentes classeSjtoutes les choses qui
peuvent venir à notre connoissancerpar
ce moyen , nous leur donnons à cha-
cune une pla.ce marque'e y et nous sa-
vons toujours où les reprendre. Ou-
Liions ces classes pour un moment, et
imaginons qu'on eût donne' à chaque in-
diiidu un nom différent : nous sentons.
aussitôt que îamultitude des noms eût
La L o Ct I q u e. 45
fatigue notre mémoire pour tout con-
fondre, et qu'il nous eut ëte' impossible
d'étudier les objets qui se multipiient
sous nos yeux ^ et de nous en faire des
idées distinctes.
Rien n'est donc plus raisonnable que
cette distribution ; et quand on consi-
dère combien elle nous est utile , ou
même ne'ce'ssairOjOn seroit porte'à croi-
^re que nous l'avons fait a dessein. Mais
on se tromperoit : , ce dessein appar-
tient uniquement à la nature : c'est
elle qui a commence à notr^ insu.
Un enfant nommera arbre , d'après
nous 5 le premier arbre que nous lui
montrerons, et ce nom sera pour lui le
îiomd'un individu. Cependant^sionlui
înontre un autre arbre , il n'imaginera
pas d'en demander le nom ille nomme-
ra arbre ^ et rendra ce nom commun à
deux individus. Il le rendra rie même
commun à trois, a quatre , et enfm à
toutes les plantes qui lui paroîtront
avoir quelque ressemblance avec les
premiers arbres qu'il a vus. Ce uom
^6 La Logique
deviendra même si général, qu'il nom-
mera ai'bre tout ce que nous nommons
plante. Il est naturellement porté à
généraliser , parce qu'il lui est plus
commode de.se servir d'un nom qu'il
sait , qued'en apprendre un nouveau.
Il généralise donc sans avoir formé le
dessein de généraliser , et sans même
remarquer qu'il généralise. C'est ainsi
qu'une idée individuelle devient tout-
à-coup générfile ; souvent même elle
le devient trop ; e" cela arrive toutes
les fois que nous confondons des choses
qu'il eut été utile de- distinguer.
Cet enfant le sentira bientôt lui-^
même. Il ne dira pas, J'ai trop géné-
ralisé , il faut que je distiiigue cùffe'—
7'entes espèces d'drbj'es : il formera
sans dessein et sans lé remarquer, des
classes subordonnces^comme il a formé
sans dessein et sans le remarquer , une
classe générale. Il ne fera qu'obéir à
ses besoins. C'est pourquoi je dis qu'il
fera ces distributions naturellement et
à son insu. En eilet , si ou le mèn<^
L JL L O Gr I Q tf E. ^J
dans un jardin , et qu'on lui fasse
cueillir et manger différentes sortes de
fruits , nous verrons qu'il apprendra
- bientôt les noms de cerisier , pécher ,
poirier, pommier, et qu'il distinguera
' différentes espèces d'arbres.
Nos idées commencenûdoncparéir«
individuelleSjpour devenir tout à coup
aussi ge'nërales qu'il est possible; et
nous ne le.s distribuons ensuite dans
différentes classes.qu'antant que nou-s
sentons le besoin de les distinguer.
A'oilà l'ordre de leur^ génération.
Puisque nos besoins sont le motif de
cette distribution , c'est pour eux
j qu'elle se fait. Les classes qui se multi-
plient plus ou moins, forment donc ua
«ystéme dont toutes les parties se lient
naturellement, parce que tous nos be-
II
soins tiennent les uns aux autres; et ce
systëme,plus ou moins e'tendu^est con-
1 forme àTusage que nous voulons faire
I des choses. Le besoin quinous e'claire,
: nous donne peu-à-peu le discernement
qui ïious fcit voir dans uu tems de«
4(5 L A L O fe t Ç TT fi.
différences où auparavant nous n'e^^
appercevionspas; cl: si nous étendons
et perfectionnons ce système , c'est
parce que nous continuons comme la
nature nous a fait commencer.
Les philosophes ne Font donc pas
imagine : ils l'ont trouve' en observant
la nature ; et s'ils a voient mieux obser-
vé , ils Tauroient explique beaucoup
mieux qti'ils n'ont fait. Mais ils ont
cru qu'il et oit à eux , et ils l'ont traité
comme s'il étoi à eux en effet. Ils y
ont mis de l'arbitraire , de l'absurde ,
et ils ont fait un étrange abus des idées
générales.
Malheureusement nous avons cru
apprendre d'eux ce système que nous
avions appris d'un ineilleur maître.
Mcds parce que la nature ne nous fai-
soit pas remarquer qu'elle nous l'ensei- î
gnoit 5 nous avons cru en devoirla con- j
noiss nce à ceux qai ne man uoient \
pas de nous fiiire remarquer qu'ils
étoient nos maîtres-. Nous avons donc
confondu h^ leçons dc$ philosophes
avcQ
Là L o Ct I q u e. 4f)
fixcc les leçons de la nature ^ et nous
avons mal raisonne'.
D'après tout ce que nous ayons dit,
former une classe de certains objets ,
ce n'est autre chose cjue donner un
même nom a tous ceux que nous ju-
geons semblables; et quand de cette
classe nous en fermons deux ou d'avan-
ta£:e, nous ne fcdsons encore autre chose
que choisir de nouveaux noms, pour
distinguer des objets qu.^ nous jugeons
difî^e'rens. C'est uniquement par cet
artifice que nous mettçns de l'ordre
dans nos idées : mais cet artifice ne
fait que cela; et il faut bien remarquer
qu'il ne peut rien faire de plus. En efl^et ,
nous nous tromperions grossièrement,
ci nous nous imaginions qu'il y a dans
la nature des espèces et des genres,
parce qu'il j' a des espèces et des genres
dans noire manière de concevoir. Les
noms généraux ne sont proprement les
-lîoms d'aucune chose existante ; ib n'ex-
priment qu e les vues de l'esprit , lorsqu e
, ]|iipuif coxiiïidérous lei choses sous dci»
i E
50 La LôeiQusE
rapports de ressemblance ou de diffe*
rence. Un y apoint d'arbre en gëne'ral,
de pommier en gênerai , da poirier eit I
général; il n'y a que des individus ;
donc il n'y a dans la nature ni genres,
ni espèces. Cela est si simple , qu'oit
croiroit inutile dele remarquer : mais
souvent les choses les plus simples
échappent , précisément parce qu'elles
sont simples : nous dédcdgnons de les
observer; et c'est- là une des px'inci^
pales causes de nos mauvais raison—
jiemens et de nos erreurs.
Ce n'est pas d'après la nature àeê
choses que nous distinguons des classes,
c'est d'après notre manière de conce-*
voir. Dans les commencemens , nous
sommes frappés des ressemblances^ et
nous sommes comme un enfant qui
prend touteslesplantespour des arbres.
Dans la suite, le besoin d'oberver dé—
Teioppe notre discernement ; et parce
cj"u' alors nous remarquons des diffé-
rences , i3,ou« faisons de nouyelles
eiaâ.^es.
Ji  li O O ï Q U E 5.1
Plus notre dij^cerncment se perfec-
tionne jpluslesclassespeuventsemul—
tiplier; et ppaxe qu'il ny a pas deux
liadîTidus qui ne diffèrent par quelque
endroit ^ il est e'\ ident qu'il y auroit au-
tan! dqciasse que d'individus, si à cha-
que diirërence on youloit faire une
classe nouvelle. Alorsil n V auroit plus
d'ordre dans nos idées , et la confiisiom
succe'deroit à la lumière qui se re'pan-
doit sur elleslorsque nous généralisions
avec méthode.
Il y a donc un terme après lequel il
faut s'arrêter : car s'il importe do faire
des distinctions^ il importe plus encore
de n'en pas trop faire. Quand on n'en
fait pas assez, s'il y a des choses qu'on
ne distingue pas et qu'on devroit dis-
tinguer ^ il en reste au moins qu'on
distingue. Quand on en fait trop, on
:i^^^yrouille tout ^ parce que l'esprit s'égara
'dans un grand^ nombre de distinctions
dont il ne sent pas la nécessité. Deman-
der a-t-on jusqu'à quel point les genres
cslea espèces peuvent se multiplier.^ Je
E 2
52 L A L O G 1 Q U E,
réponds 5 on plutôt la nature répond
elle-même 5 jusqu'à ce que nous ayons
assez de classes pour nous régler dang
l'usage des choses Relatives à nos be-
soins : et la justesse de cette réponse
est sensible , puisque ce sont nos besoins
seuls qui nous déterminent à distinguer
àes classes, puisque nous n'imaginons
pas de donner des noms à àes choses
dont nous ne voulons pen faire. Au
moins est-ce ainsi queles nommes se con-
duisent naturellement. Il est vrai que
lorsqu'ils s'écartent de la nature pour
devenir mauvais philosophes, ils croient
qu'à force de distinctions , aussi sub-
tiles qu'inutiles^ ils expliquergnt tout, ,
et ils brouillent tout.
Tout est distinct dans la nature: mais
notre espx'it est trop borné pour la voir
en détail d'une manière distincte. Eu
vain nous analysons ; il reste toujours
des choses que nous ne pouvons ana-
lyser, et que par celte raison nous ne
voyons que confiisémçnt. Lcirt de
classer ^ si nécessaire pour se faire des
La L o c I <^ u e 53
idées exactes, n'éclaire que les points
principaux : les intervalles rei^tent dans
l'obscurité, et dans ces intervalles les
classes mitoyennes se confondent. Un
arbre, par exemple, et un arbrisseau ,
sont deux espèces bien distinctes. Mais
un arbre peut être plus petit , un ar-
brisseau peut être plus grand; et l'on
arrive à une plante qui n'est ni arbre,
ni arbrisseau, ou qui est tout à-la-fois
l'un et l'autre; c'est-à-dire, qu'on ne
sait plus à quelle espèce la rapporter.
Ce n'est pas là un inconvénient; car
I demander si cette plante est un arbre
ou un arbrisseau , ce n'est pas , dans le
vrai, demander ce qu'elle est; c'est
seulement demander si nous devons lui
donner le nom d'arbre ou celui d'ar-
brisseau. Or, il importe peu qu'on lui
'donne l'un plutôt que l'a-utre.: si elle
"est utile, nous nous en servirons, et
nous la nommerons plan*^e. On n'agi-
teroit jamais de pareilles questions , si
l'on ne supposoit pas qu'il y a dans la
nature , comme dans notre esprit, des
E 3
I.
Ç4 î^ A L ® G I Q U E.
genres et des espèces. Voila rabusqu'oa
fait des classes : il le fcdîoit connoître.
Il nous reste à observer j usqu'oii s'e'ten-
deat nos connoissances, lorsque nous
classons les choses que nous étudions.
Dès que nos sensations sont les seules
idées que nous ayions des objets sensi-
bles 5 nous ne voyons en eux que ce
'qu'elles repre'sentent ; au-delà nous.'
îi'appercevons rien, et par conséquent
110 us ne pouvons rien connoître.
îl n'y a donc point de réponse à faire
à ceux qui demandent : Quel est le sujet
des qualit'Js du corps ? quelle est sa
natiirs ? quel est scn essence ? Nous ne
voyons pas ces sujets, ces natures, ces
essences : en vain même on von droit
nous les montrer ; ce seroit entre^
prendre de faire voir des couleurs à
des aveugles. Ce sont-là des mots dont
nous n'avons point d'idées ; ils signifient
seulement qu'il y a sous les quaîitéi;
quelque chosiî que nous ne cbnnois-^
5ons pas.
L'analyse ne nous donne des idée^
exactes qu'autant qu'elles ne nous fait
voir dans les choses que ce qu'on y voit ;
et il faut nous accoutumer à ne voir
que ce que nous voyons. Cela n'est pas
facile au commun des hommes , ni
même au commun des philosophes. Plus
en est ignorant , plus on estimpatienl de
juger : en croit tout savoir avant d'a-
voir rien observe': et l'on dircit aue la
connoissance de la nature est une es-
pèce de divination qui se fait avec des
"^ïnots.
Les idées exactes que Ton acquiert
par l'analyse, ne sont pas toujours des
idées complètes; elles ne peu vent même
jamais l'être, lorsque nous nous occu-
pons desobjels sensibles. Alors nous ne
de'couvrons que quelques qualités , et
nous ne pou vonsconnoître qu'en partie.
Kons ferons l'ëtude de chaque objet
de la même manière que nous faisions
celle de cette campagne qu'on voyoit
des fenêtres de notre château : car il y
a dans chaque objet, comme dans cette
campagne, des choses principales aux-
56 La. Logique.'
quelles toutes les autres doivent se rap-
porter. C'est dans cet ordre qu'il les faut
saisir , si Ton veut se faire des idées
distinctes etbien ordonnées. Par exem-
ple^ tous les phénomènes de la nature
supposent Tétendue et lé mouvement :
tontes les fois donc que nous voudrons
en étudier quelques-uns, nous regarde-
rons l'étendue et mouvement comme
les principales qualités des corps.
P^ous avons vu comment l'analyse
nous fiiit connoître les objets sensibles ,
et comment les idées qu'elles nous en
donne, sont distinctes et conformes à
l'ordre des choses. Il lliut se souvenir
que cette méthode est l'unique , et
qu'elle doit être absolument la même
dans toutes nos études : car étudier des
sciences différentes, ce n'est pas chan-
ger de méthode , c'est seulement ap-
pliquer la méma^méthode à des objets
différens, c'est refaire ce qu'on a déjà
fait ; et le grand point est de le bien
faire une fois, pour le savoir faire tou-
jours. Yoilà_, dsQXi^ Iç vr;;ii;, où uous eu
La L o r, I q u e. 57
ctions lorsque nous avons commence.
Dès noire enfonce nous avons acquis,
des connoissances : nous avions donc
5uivi à notre inbu un bonne méthode.
Il ne nous restoit qu'à la remarquer :
c'est ce que nous avons foit , et nous
pouvons désormais appliquer cette
méthode à de nouveaux objets. ( Cours
d'étude , levons préliminaires ^ art. L
Art de penser j partie I, chap. VIH'
Traité des sensations j partie IV ,
ch, VI.) i
C H A^ P I T R E V.
Des idées des choses gui ne tombent
pas sous les sens.
E
N observant les objets sensibles,'
nous nous élevons naturellement à de»
objets qui ne tombent pas sous les sens,
parce que, d'après les effets q^i'on voit,
on juge des ca uses qu'on ne voit pas.
l'C mouvement d'un corps est un
effet : il a donc une cause. Il est hors
de doute qu® cette cause existe ^ quoi-
ç8 LaLo^iquk.
qu'aucun de mes sens ne me îa fasse
iippeixevoir, et je la nommeybrce. Ce
nom ne me la fait pas mieux Oomioître :
je ne sais que ce que je savois aupara-
vant j c'est que le mouyemeni: a une
cause que je ne connois pas. Mais j'en
puis parler : je la juge plus grande ou
plus foible, suiyant que le mouveiiient
est plus grand ou plusfoible lui-même y
et je la mesure ^ en quelque sorte j en
mesurant le mouvement.
Le mouvement se fait dans l'espèce
et dans le tems. J'apperçois l'espace,
en voyant les objets sensibles qui l'oc-
cupent ; et j'apperçois la dure'e dans
la succession de mes ide'es ou de mes
sensations; mais je ne vois rien d'ab-
solu y ni dams l'espace ni dans le tems*
Les sens ne sauroient me dévoiler ce
que les choses sont en elles-mêmes; ils
ne me montrent que quelques-uns des
rapports vqu'elles ont entre elles , et
quelques-uns de ceux qu'elles ont à
moi. Si je mesure l'espace^ le tems, le
niou veinent, et la force qui le produit,
î, A L O G I Q U S. 5g
c'est que les résultats de mes mesures
jie sont que des rapports; car chercher
des rapports , ou mesurer , c'est la
même chose.
Parce qyc nous donnons des noms à
des choses dont nous avons une idée
on suppose que nous avons une*ide'e ,
de toutes celles auxquelles nous don-
nons des noms. Voilà une erreur dont
il fan t se garantir. Il se peut qu' un nom
ne soit donne à une chose que parce
que nous sommes assurés de son exis-
tence : le mot force en est la preuve.
Le mouvement, que j'ai considéré
comme un effet , devient une cause
à mes yeux , aussitôt que j'observe qu'il
est par-tout , et qu'il produit, ou con-
court à produire tous les phénomènes
de la nature. Alors je puis , en obser-
vant les loix du mouvement , étudier
l'unÎTers^commed'une fenêtre; j'étudie
une campagne: îaméthodeestlaméme.
Mais quoique dans l'univers tout
50i;- scEsitîe, D.ous ne voyons pas tout-
€t quûc[iue l'art vienne au secours des
sens , ils sont toujours trop foibîe^..
Cependant, si nous observons bien,
nous découvrons des phénomènes; nous
les voyons, comme une suite de causes
et d'effets, fornner difierens systèmes;
et nous nous faisons des idées exactes
de quelques parties du grand tout.
C'est ainsi que les philosophes modernes
ont fait des d.G'couvertes qu'on n'auroit
pas juge possible quelques siècles au-
paravant ^ et qui font présumer qu'oa
en peut faire d'autres. ( Cours d'étude ,
Art de raisonner. Hist. mod, liv.
4ern, , chap. V et suivans. )
Mais comme nous avons juge que le
mou/Vement a une cause , parce qu'il
est un effet , nous jugerons que l'uni-
vers a également une cause , j)arce
qu'vil est un effet lui-même; et cette
cause 5 nous la nommerons i)/eu.
Il nen est pas de ce mot comme de
celui de force , dont nous n'avons
point didee. Dieu , il est vrai , ne
tombe pas sous les sens ; mais il a im-
primé i>OA caractère d^ms les choses.
«eji;4bies^
\
Là L o e I q t; s. 6i
sensibles; nous l'y voyons , et les seii«
nous e'ièvent jusqu'à lui.
En effet 5 lorsque jeremarque que
les pîie'nomènes naissent les uns des
autres, comme une suite d'eflets et de
causes, je vois ne'cessairement un«
première cause; et c'est à l'id^'e de
cause première , que commence Tidée
que je me fais de Dieu.
Dès que cette cause est première ,
elle est inde'pendante , nécessaire ; elle
est toujours , et elle embrasse , dans
son immensité et da.ns son éternité ^
tout ce qui existe.
Je vois de l'ordre dans l'univers :
j'observe sur-tout cet ordre dans les
parties que je connois le mieux. Si jl^i
de rintelligencc moi-même , je ne l'ai
acquise qu'autant que les idées dan^
mon esprit sont conformes à l'ordre
dés choses hors de moi ; et mon intel-
ligence n'est qu'une copie , et une
copie bien foible de l'intelligence avec
laquelle ont été ordonnées les choses
que je con^^ois; et celles que je ne co^i.
S .
6z L A L O G I Q U E,
cois pas, La première cause est donc
intelligente : elle atout ordonne'^ par-
tout et de tout tenis ; et son intelli-
gence, comme son immensité et son
éternité , embrasse tous les tems et
tous les lieux.
Puisque la première cau.«e est indé-
pendante 5 elle peut ce qu'elle veut , et
puisqu'elle est intelligente, elle veut
avec connoissance, et par eonséquent
avec choix : elle est libre.
Comme intelligente , elle apprécie
tout ; comme libre , elle agit en con-
séquence. Ainsi d'après les idées que
nous nous sommes faites de son intelli-
gence et de sa liberté , nous nous
formons une idée de sa bonté , de sa
justice , de sa miséricorde , de sa pro-
yidence , en un mot. Voilà une idée
imparfaite de la Divinité. Elle ne vient
et ne peut venir que des sens : mais ^
elle se développera d'autant plus que
nous crairofondirons mieux l'ordre
ciue Bleu a mis dans ses ouvrages. ;
( Cours d'étude , leçons prémin. art. jK,
Traité des anim, chap VI ).
L A L O G I Ç U E. 63
i_j
C H A V I T II E V I.
Continuation du même sujet.
E mouvement considéré comme
cause de quelque effet , se nomme
oction.'Un corps qui se meut, agit sur
Tair qu'il divise, et sur les corps^ qu'il
choque; mais ce n'est là que racliou
d'un corps inanimé'.
L'ac lion d'uu corps animé estégale-
înent daiîs le mouvement. Capable de
diiTérei3s mcuvemens , suivant la dif-
férence des organes dontila été doué,
il a diiTcrentes manières d'agir ; et
chaaue espèce a dans sort ad ion,
comme dans son organisation, quel-
que chose qui lui est propre.
Toutes ces actions tombent sous les
sens, et il suffit de les observer pour
s^en faire u^neidée. Il n'est pasplus dif-
ficile de remai'quer comment le corps
prend ou perddés'habitudes ; car cha-
cun sait y par sa propre expérience , qua
F z
§4 L A L O & T Q T7 E.
ce qu*on a souvent répète , on le fait
sans avoir besoin d'y penser; et qu'au
contraire on ne fait plus avec la même
facilite ce qu'on a cesse de faire pen-
dani 'quelque temps. Pour contracter
une habitude 5 il suffit donc de faire et
de refaire àplusieurs reprises :^ et pour la
perdre, ilsuffitde ne plus faire. ) Cours
d étude j Iççoiis prélimin. art. III.
Traité des ariiiTL, part, II j chap, I. )
' Ce sont les actions de l'ame qui dé-
terminent celles du corps ; et d'après
celles-ci que Ton voit , on j uge de celles-
là qu'onne voit pas. Il su ffid d'avoir re-
marque' ce qu'on fait lorsqu'on désire
ou qu'on craint ; po iir appercevoir dans
les mouvemens des autres , leurs désirs
ou leurs craintes. C'est ainsi que les ac-
tions du corps repre'sentent les actions
derame, et dévoilent quelquefois jus-
qu'aux plussecreltes pen: ëes. Ce lan-
gage est celui de la nature : il est le pre-
mier , le plus expressif, le plus vrai ; et
nous verrons que c'est d'après ce mo-
dèle que nous ayous appris à finira des;
langues.
La L o Gt I q u, F,. 6ç
Les idées morales paroissent échap-
per aux sens : elles échappent du moins
à ceux des philosophes qui niei^t que
nos connoissances viennent des sensa-
tibris. Ils denianderoieiU volontiers de
quelle couleur est la vertu , de quelle
couleur est le vice. Je repoji.ds que
la vertu consiste dans l'habitude des
bonnes actions ^commele vice consiste
dans r habitude des mauvaises. Or , ces
habitudes et ces actions sont visibles.
Mais la moraliti des actions est-elle
une chose qui tombe sousjes sens? Pour-
quoi donc n'y tomberoit-elle pas? Cette
nioraliié consiste uniquement dans la
conformité de nos actions avec les loix;
or, ces actions sont visibles, et les loix
le sonte'galemeEt^ puisqu'elles sont deg
conventions que lei hommes ont faites»
Si les loix , dira-t~on , sont des?
conventions , elles sont donc arbitra.!^
res. Il peut y en avoir d'arbitraires;
il n'y en a même que trop : mai celles
qui déterminent si nos actions sont
i)OMïics ou mauvaises , ne le sont pas ,^
F 3
66 La L o g I u e.
etnepeuTentpasTétre. Ellej sontnotre
ouvrage 5 pa.rce que ce spnt des conven-
tions que nous ayons faites : cependant
nous ne les avons pas faites seuls ; la
nature les faisoit avec nous , elle nous
les dictoit , et il n etoit pas en notre
pouvoir d'en faire d'autres. Les besoins
et les facultés de l'homme étant don-
nés 3 les loix sont données elles-mêmes :
et quoique nous les fassions , Dieu qui
nous a créés avec tels besoins et telles
facultés 5 est dans le vrai notre seul
légi lateur. En suivant ces loix coiifor-
mes à notre nature , c'est donc à lui
que nous obéissons ; et voilà ce qui
achève la moralité des actions.
Sij de ce que riiomme est libre, on
juge qu'il y a sou-> eut de l'arbitraire
dans ce qu'il fuit y la conséquence sera
juste: mais si l'en juge qu'il n'y a ja-
mais que de l'arbitraire ^ on se trom-
pera. Comme il ne dépend pas de nous
de ne pas avoir les besoins qui sont un©
suite de notre conformation , il ne dé-
pend pas de nous de n'être pas portés
La Logique. 67
à faire ce à quoi nous sommes deler-
mincs par ces besoins ; et si nous ne
lefai.^ons pas , nous en sommes punis.
( Traite des anim. part. Il, ch, VII J.
CHAPITRE V ï ï
Analyse des facultds de lame.
ou s avons vu comment la nature
310US apprend à faire l'analyse des
objets sensibles , et nous donne ,v,par
celte voie^ deside'es de toutes espèces.
Nous ne pouvons donc pas douler que
toutes nos ccnnoissances ne viennent
des se^s,
MpJs il s'aait d'étendre la sDÎiére de
noscpnnoiosances.Or^sipourretendr^
nous avons besoin de savoir conduire
notre (esprit , on conçoit que pour ap-
prendre à le conduire , il le faut ccn-
noître parfaitement. Il s'agit donc dé
dëmëler toutes les facultés qui sont
enyeloppe'esdans la faculté de penser.
63 L A L G I Q tr e;
Pour remplir cet objet ^ et d'autres en*
core j quels qu'ils puissent être, nous
n'aurons pas à chercher, comme on a
fait j usqu'à présent j une nouvelle mé-
thode à chaque e'tude nouvelle : l'ana-
lyse doit suffire à toutes , si nous
savons l'employer.
C'est l'ame seule qui connoît, parce
que c'est l'ame seule qui sent ; et il
n'appartient qu'à elle de faire l'analyse
de tout ce qui lui est connu par sensa-
tion. Cependant , comment apprendra-
t-elle à se conduire, si elle ne se con-
noît pas elleméme, si elle ignore ses fa-
culte'ii?Ilfaut donCjComme nous venons
del@remarquer,qu'elles'ëtudie; il faut
donc que nous découvrions toutes les
faculte's dont elle est capable. Mais où
les de'couvriron -nous, sinon dans la fa-
culté de sentir ? Certainement cette fa-
culté enveloppe toutes celles qui peu-
vent venir à notre connoissance. Si ce
n'est que parce que l'ame sent , que
nous connoissonsles objets qui sont hors
d'elle , connoîtrons-nous ce qui se passe
A Logique. 69
en elle , autrement que parce qu'elle
sent? Tout nous invite donc à faire l'a-
nalyse de la faculté de sentir; essayons^.
Une reflexion rendra cette analyse
bien fLicile; c'est que, pour de'composer
la faculté de sentir, il suffit d'observer
successivement tout ce qui s'y passe
lorsque nous acque'rons une connois-
5ance quelconque. Je dis une connois-^
sauce gueicoii.^ue^pcirce que ce qui s'y
passe pour en acqiie'rir plusieurs ^ ne
peut être qu'une répétition de ce qui
s'y est passé pour en acqo érir une seule.
* Lorsqu'une campagne s'offre à ma:
\^ue 5 je vois tout d'un premier coup-^
d'ceilj et je ne discerne lica encore.
Pour démêler diflerens obje's , et ma-
ftiire une idée distincte de leur forme et
de leur situation , il ftiut que j'arrétô
mes regards sur chacun d'eux : c'est
fcë que nous avons déjà observé. Mai«
C[uand j'en regarde un , les autres,
I quoique je les voie encore, sont cepen-
I dant , par rapport à moi comme si je
»Q les voyois plug; et parmi tant de
t-i1
'70 La li g I ç tt e,
sensations qui se font à-la-fois , il semlole
que je n'en e'proiive qu'une, celle de
Tobjet sur lequel je fixe mes regards.
Ceregard est une action par laquelle
mon œil tend à Tobjet sur lequel il se
dirige : par cette raison , je lui donne
le nom à! attention ; et il m'est évident
qu e cette direction del'organe est toute
la part que le corps peut avoir à l'at-
tention. Quelle est donc la part de
l'anie ? une sensation que nous eprou-
Tons comme si elle ëtoit seule , parce
que toutes les autres sont comme si
310US ne les éprouvions pas.
L'attention que nous donnons à uj%
objet 5 n'est donc , de la part de Tame y
que la sensation que cet objet fail: sur
nous, sensation qui devient en quel-
que sorte exclusive ; et cette faculté
est la première que nous remarquons
dans là faculté de sentir.
Comme nous donnons notre attention
àunobjet^nousnepouvonsladonnerà
deux à-la-fois. Alors, au lieu d'uneseulor
sensation exclusive^ nous en e'prouvo]?^
ti A Logique* 7t
deux ; et nous dkons que nous les com-
parons , parce que nous ne les éprou-
vons exclusivement que pour les ob-
server l'un à côté de Tautrô , sans être
distrait par d'antres sensations : or ,
c'est proprement ce que signifie le
mot comparer.
La comparaison n>st donc qu'une
double attention : elle consiste dans
.deux sensations qu'on ëprouve comme
si on les ëprouvoit seules; et qui ex-
cluent toutes les autres.
Un objet est pre'sentou absent. S'il
est présent, l'attention est la sensation
qu'il fait actuellement sur nous; s'il est
absent , l'attention est le souvenir de la
sensation qu'il a faite. C'est à ce souye-
Tiir quenousdevons lepouvoir d'exer-
cer la facnltë de comparer des objets
absens comme des objets présens.
Koustraiterons bientôt de la me'moire.
Nous ne pouvons comparer deux;
objets , et e'prouyer , comme l'une à
coXi de l'autre , les deux sensations
qu'ils font exclusivement sur nous ,
72 LaLogiqi/ë.
qu'aussitôt nous n appercevions qu'ils
se ressemblent ou qu'ils diffèrent. Or,
appercevoir des ressemblances ou des
difiërences , c'est juger. Le jugement
n'est donc encore que des sensations.
( Grammaire ^ part. /, chap. IV).
Si , par un premier jugement ^ je |
connois un rapport^ pour en connoître
Vin autre, j'ai besoia d'un second juge-
ment. Que je Yeuille, par ex:emple, sa-
Toir en quoi deux arbres diffèrent, j'en
observerai successiveiiïent la forme,
la tige , les branches , les feuilles , les
fruits , etc. je|Comparerai successive^
ment toutes ces choses , je ferai une
suite de jugement ; et parce qu'alor;^
mon attention re'flëchit , en quelque
sorte, d'un objet sur un objet, je dirai
quejère'flëchis. Larëflexion n'estdonc
qu'une sui;e de jugemens qui se font
par une suite de comp^irai^ons et puis-
que dans les comparaisons et dans les
jugemens , il n'y a que des seasa ions,
ii nj a donc aussi que des sensations
lîanâ la réflexion.
Lorsque
Ix A L o G I Q If, r^T 73
Lorsque , par Ui r#flexio:i , on a re-
marque les qaaïités-par où les objets
différent, on pbut , par la iiicme rc-.
flexion, rassembler dans un seul lei
crualitcs qui se sont ^'parées aans piu^
sieurs. C'est aiafi qu'un poeLe s^Juit,;
Dar enenrjle ., lidee d'un he'roi qui n a
iamais existe. Alors les idees-qu'oiise.
fait sont des images qui vloskX de réa-
lité que dans l'esprit ; et îa ,i:eflexioa
Qui fait ces iniai^es , prend, le nom
Un jugement que je prpjipaG^^ i?.Ç.^t
en r5^;,i:fenner impiiciicnient.un^auti'ô
que je ne prononce pas. oi je ûis qu \iii
corps. e.^tpesaut , je dis implicitement
que :ji on ne le soutient pas , il tom-
bera. Or, lorsqu'un second jugement
eit ainsi renferme' ^iins un autre , oa
le peut prononcer comme une suite
du premier , et par celte raison on dit
qu'il en est la conséquence. On dira,
par exemple : Celte voûte est bien pe-^
santé; donc , si elle n'est pas asse:z
soutenue, elle tombera, Yoila ce qu'on
G
74 h A L O G I Q u E.
entend Y-e^r faire un rGisoniiement ; ce
n est autre chose que prononcer deux
jugeinens de cette espèce.IInyadonc
que des sensations dans nos raisohne-
mcns comme dans nos jugemens.
Lesecond jugement du raisonnemtot
que nous venons de faire , est senntîe-
ment renferme dans le premier /et c'est
imeconse'quence qts'onu'a pas Besoin
cîê chercher. Il faudroit au contraire
chercher si le second jugement ne se
monlroitpas dans le premier d'une ma-
îiière aussi sensible , c'est-à-dire , qu'il
faudfoit/eii allant du contiii àTîncon-"
Tiu,passer,bar une suite de jcgemens in-
îel médiaires , du premifeT jusqu'au der-
nier, et les voir tous successivement
renfermés les uns dans les autres. Ce
jugement par exemple : Le meirure se
iou'lenc à vue certaine hauteur dans
te tuBe dnn harornètré , est renfermé
dtàs cfelûi-ci : Lair est pesant. Wais
|jarceqii*onnclesvoitpasi:dùt--?-^cbup,
il faut en allant du connu â l'inconnu ,
a^'ccuvrir par une siiite'de jugemens
Là î^ c g I o u E. 75
înlerniëdiaires; que le premier e.^1 uiiq
CQQse'quence du second. Nous ayous
déjà faildepc^reils raisounçiiiens , nous
en ferons encore; et quand nous au-
rons contracté i habitude d'enfaire^il
ne nous sei^a pas difficile d'en de'niélçi*
tout rarûfice. On explique toujours
les choses qu'qn sait faire : commen-
çons donc pari'aisonner (i).
Vous voyez que toutes les facultés
que nous venons d'observer , sont ren-
fermées dans la facul té de sentir. L'anie
acquiert par elle toutes ses connois-
- ■ I I I II I I -
(i) Je me souviens q l'on enseîgnoltau collège,
que ii Vart de raisonner consiste à comparer
>» ensemble deux idées par le moyen d'une troi-
>♦ sième. Pour juger , disoit-on , siTidée A ren-
« ferme ou exclut TidéeE, prenez une tfoi-
»> sième idée C, à laauelle vous les comparez
i» successivement l'une et Tauire. Si Tidée A
>» est renfermée dans l'idée C , et l'idée C
>♦ dans l'idée B , concluez que l'idée A est ren*
2» fermée dans Tidée B. Si l'idée A est renfer-
>» mée dans Tidée C , çt que l'idée C exclut
>♦ l'idée B , concluez que i'id.'e A exclut l'idée
»> B. Nous ne ferons aucun usage de tout
cela.
G 2
76 La Logique.
sa^^ces : par eues ,eile entend les cho-
ses qu'elle étudie en aoelaue .^orte,
comme uar l'oreille elle entend les sons:
c'estpourquoi laré^-'nion de toutes ces
facultés se nomme cmlendemeiit, I^'en-
teudcment comr.rend donc Taiten" ion,
la comparaison j le jugement, la ré- f
flexion; Timagination et le rai-onne-
rnent ; on ne^auroit s'en faire une
ide'e pins exacte ( Cours d'étude^ leçon
frélim, y art, 1 1. Traité des anini,
part. II j chap. V.
C H A P I T K E Y I I L
ContiniLCition du même sujet.
ïliy considérant nos sensations comme
repreVentatives, nous en aïons tu naî-
tre toutes aos idc'es ettou'es les opéra-
tions de l'entendement: si nocslescon-
sidcrouj comme agrëabks ou dc^a-
grëcitles^iious en verrons naître loutei
les opcrpâions qu 011 rapporte u la yo*
lonté*
Là L © Gr I ^ u s. 77
Q^Toique , par soufirir , en entend
proprement éprouver une s^riMi ioa de*
sagrcable, il e^t cerLiiin q.e la priva-
tion d'uac sensation agî'cabîe, e^t une ^
soufh n:e plus ou moins grande. Mais
il faut remarq er quetrepriv-'et inan^
quer , ne signifient pa.i la même chose.
On peut n'avoir jamai^^ joui des choses
dont on maooue , on r^eat même ne les
pasconnoitre. Il en est tout autrement
des choses dont nous sommes prives :
non-seulement nous les connoissons^
mais encore nous sommes dans l'habi-
tude d'en jouir, ou d u moins d'imaginer
le plaisir que la jouissance peut pro-
mettre. Oi-j une pareille privation est
une soulïrance,qu'oa nomme pins par-
ticulièrement besoin. Avoir besoin
d'une chose, c'est souôrir parce qu'on
en est prive'.
Celte souffrance-dans son plus foible
degre',est moins une douleur qu'un elat
où nous ne nous trouvons pas bien , où
nous ne son: mes pas à notre aise : JQ
nommç cet cteit mal-ai^e, -
^- 3
yS La L o ^ I # ir e.
Le mal-aise nous porte à nous donner
des mouvemens pour nous procurer la
chose dont nousayons besoin. Nous ne
pouvons donc pasrester dans un parfait
repos ; et par cette raison , le nicd-aise
prend le nom A' inquiétude. Plus nous
trouvons d'obstacle à jouir ^ plus notre
inquiétude croît; et cet état peut de-
venir un tourment.
Le besoin ne trouble notre repos ,
ou ne produit l'inquiétude , que parce
qu'il détermine les facultés du corps et
de Tamesurles objets dont la privation
nous fait soufFrir. Nous nous retraçons
le plaisir qu'il nous ont fait : la ré-
flexion nous fait juger de celui qu'ils
peuvent nous faire encore; Finiagina-
tion rexagère ; et pour jouir, nous
jioiîs donnons tous les mouvemens dont
nous sommes capables. Toutes nos fa-
cultés 50 dirigent donc sur les objets
dont nous sentons le besoin ; et cette
direction est proprement ce que nous
entendons par désir.
Comme il est naUirel de se faire ime
La L • * f ^ u £. 7«p^
îiiibit n de de jouir des choses agréables ,
i] est nati^rel aussi de se faire une ha-
bitude de les désirer; et Içs désirs tour-
nés en habitudes^se nomment pa^^^^/o/i^.
Depareils désirs sont en quelque sorte
permanens ; ou du moins s'ils se sus-
pendent par intervalles, ils se renou-
vellent à la plus légère occasion. Plus
ils sont vifs , plus les passions sont
violenles.
Si, lorsque nous desirons une chose,'
nous jugeons que nous l'obtiendrons ,
alors ce jugement joint au désir , pro-«
duit l'espérance. Un autre jugement
produira la volonté : c'est celui que
nous portons ,lorsqiT e l'expérience nous
a fait une habitude de juger que nous
ne devons trouver aucun obstacle à
lAOs désirs. Je veux signifie ye désire ,
et rien ne peut s'opposer à raon désir }
tout doit y concourir.
Telle est au propre l'acception da
mot volonté. Mais on est dans l'usage
de lui donner une significa.tion plus
cîeaduç- et Toh entend par volonté
So II A li O Cr TOT £.
une faculté qui ccDipreiid toues les
habitudes qui naissent du besoin ^ les
dccirs , les pasnciis , l'espérance, le
désespoir, la crainte, la confiance, la
prc'soKipticn , etph:sieurs au'fres dont
il e.^t facile de ^e faire dc;^ ir'ccs.
Enfin le n:ot rrnst'e , ri us i?,ëna'al
encore, comprend dans s n acception
tontes le.^faciîlte^ derejtendementet
toutes cellco de la volonté. Car penser
c''est sentir . donner son attention ,
comparer, juger, réfléchir, imaginer,
raironner , délirer, avoir des passions ^
espérer , 'craindre, f Traite des aniin.
part. IL chcp, / IH , IX et X.
Nous avons exp^Iiquë comment lés
facultés de i'anie naissent successive-
ment delà en^a*ion ; et on voit cru'elies
ne sont ^.[uc la sensation qui se trans-
forme pour devenir cactcifûe d'elles.
Dans la seconde parue de a^X ou-
Trage, ylo'as nousproposons de décou-
vrir loul l'artifice du raisonnement. II
s'agit donc de nous préparer a ceViÇi
recherche: et nous nous y preraremn»
La Logique. Si
en essavanl: de raisonner sur celte ma-
tière cfui est simi^le et facile , ciuoiuu'ou
soit porte a en juger autrement^ quand
on pense anx elibrts q^i'on a faits jus-^
qu':-! prèsentpour l'expliquer tcajoiu-S'
fort m.iî. Ce sera le s^ijet du chapiire
suivant.
C 11 A P i THE I X.
Des causes de la sensibilité de lei
mémoire.
1
L n'est pas possible d'expliquer en
détail toutes les causes physiques delà
sensibilité et de la mémoire. Mais , au
lieu de raisonner d'après de fausses hy-
pothèses, on pourroit consulter l'ex-
përience et l'analogie. Expl/iquons ce
qu'on .peut expliquer, et nG nous pi-
quons pas de rendre raiî-on de tour.
les {MIS se repre'sentent les nerfs
comme des cordes tendues , capables
d'ëbranlemens et de vibrations , e? ils
croient avoir dévinë la cause des sen-
sation! et' de la incmoirc. Il est e'vident
q2 La Logique.
que celte supposition esUout-à-fait
imaginaire.
D'autres disent que le cerveau est
unesubslance molîe, dans laquelle les
esprits animaux font des traces : ces
traces se conservent ; les esprits ani-
maux passent et repassent; l'animal est
doue de sentiment et de mémoire. Ils
n'ont pas fait attention que si la subs-
tance du cerveau est assez molle pour
recevoir des traces , elle n'aura pas
assez de consistance pour les conserver;
et ils n'ont pas conside'ré combien il
est impossible qu'une infinité de traces
subsistent dans une sub: tance cù il y a
une acsion, une circulation conti-
nuelle.^.
C'est en jugeant des nerfs par les
cordes d'un instrument , qu'on a irna-
gin i la première hypothèse ; et l'on a
imarine la seconde en se reoresentant
les impressions qui se font dans le cer-
veau 5 par des empreintes sur une sur-
face dont toutes les parties sont eu
repos. Certainement ce n'est pas là
La Logique. 83
raisonrxer d'après l'observation ; d'a-
près l'analogie ; c'est comparer de.
choses qiu n'ont point de rapport.
J'ignore s'il y a des esprits animaux;
j'ignore même si les nerfs sont l'organe
dii sentiment. Je ne connois ni le tissu
des fibres , ni la nature des solides ,
ni celles des fluides : je n'ai , en un
mot , de tout ce mécanisme , qu'une
idée fort imparfaite et fort vaffue. Je
sais seulement qu'il y a un mouvement
qui est le principe de la végétation et
de la sensibilité'; que l'animal vit tant
que ce mouvement subsiste ; qu'il
meurent dès que ce mouvement cesse.
L'expe'rience m'apprend que l'ani-
nial peut être re'duit a un état de vé-
gétation : il y est naturellement par
nn sonmieil profond ; il y est acci-
dentellement par un attaque d'ap-
poplexie.
Je ne formepoint deconjecturessur
le mouvement qui se fait alors en Ini.
tout ce que nous savons , c'est que le
sang circule , que le* viscères et le^
84 I-^ A L O G I Q V E.
glandes fonl: les fonctions nécessaires
.pour entretenir et re'parer les forces :
mais nous ignorons par quelles loi^ le
mouvement opère tous ces clTels. Ce-
pendant ces loix existent , et elles font
prendre au mouvement les détermi-
nations qui font végéter FanimaL
Mais quand fanimal sort de l'ëtat
de vëge'tation pour devenir sensible ,
le mouvement obéit à d'autres Ioik, et
suit de nouvelles de'terminations. Si
Tœil par exemple , s'ouvre a la lu-
mière, les rayons qui le frappen font
prendre au mouvement qui le fai-oit
ve'ge'ter , les de'terminations qui le ren-
dentsensiWes.Il enest demenie desau-
tres sens. Chaque espèce de sentiment
a donc pour cause une espèce partiçu;
lièrc de détermination daj^is le mouvé
-ment . aui est le Drincipie delà aie.
On voit par-la quele mouvement q^u:
rend ranimai sensible, ne peut etr^
qu'une modification du mouvementqu:
le fait végéter ; modiflcatiou occasion-
laëepar rkction des objets sur les sensi
La Logique. 85
Mais le mouvement qui rend sensi-
ble 5 ne se fait pas seulement dans Tor-
gane exposé à raclion des objets exté-
rieurs; il se transmet encore jusqu'au
cerveau , c'est-à-dire, jnscru'a l'organe
que l'observation demonlre être le pre^
inier et le principal ressorl' du senti-
jiient. la sensibilité a donc pour cause
3a communication qui est entre les
organes et le cerveau.
En elTet, que le cerveau comprime
par quelque cause , ne puisse pas obéir
aTix impressions cnvoye'es par les or-
ganes, aussitôt l'animal devient insen-
sible. La libsrté est-elle rencltie à ce
premier ressort ? alors les organes agi-
sent siîr lui , il re'agit sur eux , et le
'sentiment se reproduit.
Quoique libre, il pourroit aiTÎver
que le cerveau eût peu , ou que même
il n'eût point de coniniunication a.vec
quelqu'autre partie. Une obstruction,
par^xemple, ou une forie ligaturé au
hras , diminueroit ou suspendroit le
commerce du cerveau avec la main.'
86 La Logique.
Le sentiment de la main s'affoibliroit
donc y ou cesseroit entièrement.
Toutes ces propositions sont cons-*
tatées par les observations ; je n'ai fait
que les dégager de toute hypothèse
arbitraire : c'ètoit le seul moyen de les
mettre dans leur vrai jour.
Dès que les diffe'rentes détermina-
tions données au mouvement qui fait
vége'ter^ sont l'unique cause phvsique
et occasionnelle de la sensibilité' , il
s'ensuit que nous ne sentons qu'autant
que nos organes touchent ou sont tou-
che's ; et c'est par le contact que les
objets, en agissant sur les organes,
communiquent au mouvement qui fiiit
végéter, les déterminations qui rendent
sensible. Anisi Ton peut considérer
l'odorat, Touïe, la vue et le goût,
comme des extensions du tact. L'œil
ne verra point si des corps d'une cer-
taine forme ne viennentlieurter contre
ia rétine ; Toreille n'entendra pas si
d'autres corps d'une forme diilérénte
ne viennent frapper le tympan. En ua
t
La Logique. 87
inot , le principe de la variété' des sen-
sations est dans les difiërentes détermi-
nations que les objets produisent dans
le mo^ivenient, suivant Torganisation
des parties expose'es à leur aéîion.
Mais comment le contaéî de certains
corpuscules occasionnera-t-il les sen-
sations de son , de lumière , d e couleur ?
On en pourroit peut-être rendre raison,
si l'on connoissoit Tessence de l'ame ,
le me'canisme deTceil, de l'oreille , du
cerveau^ la nature des rayons qui se
re'pandent sur la rétine, et de l'air qui
frappe le tympan. Mais c'est ce que
nous ignorons; etTon peut abandonner
rexplication de ces phénomènes à
ceux qui aiment à faire des hypothèses
sur les choses où Texpe'rience n'est
d'aucun secours.
j Si Dieu formoit dans notre corps un ,
'|nouvel organe propre à faire prendre
lau mouvement de nouvelles de'termi-
jnations, nous éprouverions des sensa-
jtions dif'ercntes de celles que nous
lavons eues jusqu'à présent. Cet organe
H 2"
So La Ij o g I q u e.
nous feroit découvrir dans les objets
des propriétés dont aujourd'liiù nous
ne saurions nous fitire aucune idée. Il
serait une source de nouveaux plai-
sirs^ de nouvelles peines, et par conse'-
Cfuent de aouyeaux besoins.
Il en faut dire autant d'an septième
sens, d'un hiiideme, et de tous ceux
qu'on voudra supposer, quel qu'en soit
le nombre. Il est cerLain qu'un nouvel
org:ane dans notre cori^s rendroit la
mouvcmeiit qui le fait vegcter , sus-
ceptible de bien des modifications qu©
nous ne saurions ima2;incr.
Ces sens seroient remues par des
corpuscules d'une certaine forme; ilf
s'instruiroient, comm^ les autres , d'a-
près le toucher, et ils apprendroient
de lui à rapporter leurs sensations sur
[qs objets.
Mais les sens que nous avons faffi-
sent à notre conservation ; ils sont
même un trëfor de connoi^sance pour
ceux qui savent en faire usage; et si les
autres n y puisent pa.s les mêmes rW
L A L O G I Q î; E. B'X
^lesses, ils ne se doiilenl pas de Jeur
ifidicence. Coninierit imarineroient-ils
'fijon voit dans des sen^^a ions qtù leur
■lit communes , ce qul's iiV yoient
■:.s C'ix-mtnics ?
L
L'action àes sens sur le cerveau rend
^'^îc ranimai seiisible. Mais cela ne
i fat pas pour donner a ii corps tous les
mouveniens dont il e: t .cai^able ; il
faut encore aue le cerveau a?:isse sur
tous les muscles et sur tous les organes
intérieurs, destines à mouvoir chacun
ces membres. Or, Tobservalion dé-
montre coi Le action du cerveau.
Far conseçuenl , lorsque ce principal
resiort reçoit certaines déterminations
de la part des sens^ il en communique
d'autres à cjnelques - unes dos parties
au corns , et î'animal se meut.
I/animal n/auroit aue v.cs mouve-
j mens incertains , si l'action sur les
j membres n'eût ete' accompagnée d'au-
1 cun sentiment. Mû, sans éprouver m
; peir.e ni plaisir , il n eût pris aucun
'! ialcrcl aux mouyemens de son corps :
H 3
I '
ÇO L A L « ê I f V E.
il ne les eût donc pas observe's.il n'eût
donc pas appris a les re'gicr lui-même.
Mais dès qu'il est invite par la peine
©u par le plaisir, a e'viter ou à faire
certains moiivemens, c'est une conse'-
quence qu'il se fasse une étude de les
éviter ou de les faire. îi compare les
seiitimens qu'il éprouve : il remarque
les mouvemens qui les pre'cèdent , et
ceux qui les accompagnent; il tâtonne,
eu un mot; et après bien des tàlqnne-
mens, il contracte enfm l'habitude de
se mouvoir à volonté : c'est alors qu'il
a des mouvemens règles. Tel est le
principe de toutes les habitudes du
corps.
jL
Ces habitudes sont des mouvemens
réglés qui se font en nous sans que
nous paroissiens les diriger nous-mé- ;
mes , parce qu'a force de les avoir
rëpëlës, nous les taisons sans avoir be-
soin d'y penser. Ce sont ces habitudes
qu'on nomme moui^eniens naturels ,
actions mécaniques , instin^ct^ et qu'on
suppose iaussement être nées aTes
Là L o g T O U F.. ^ï
nous On évitera ce préjuges, si Ton
juge de ces habitudes par d'autres qui
nous 5orit devenues tout aussi natu-
relles , quoique nous nous souvenions
de les avoir acquises
La. première fois , par exemple,
que je porte les doigst sur un clavecin,
ils ne peuvent avoir que des mouve-
mens incertains ; mais a mesure que
j'apprends à jouer de cet instrument ,
je me fais insensiblement une habitude
de mouv^oir les doigts sur le clavier.
D'abord ils obéissent avec peine aux
déterminations que je veux leur faire
prendre : peu-à peu ils surmontent les
obstacles; enfm , ils se meuvent d'eux-
mêmes à ma volonté, il s la préviennent
même 5 et ils exécutent un morceau
de musique pendant que ma re'flexion
se porîe sur toute autre chose.
Ils contractent donc Thabitude de
se mouvoir suivant un certain nombre
de délerminations; et comme il n'e^t
point de touche par où un air ne
puis^jc comiucricer , il n'est point de
g 2 La Logique.
dëterminf^tion qui ne presse ëlre la
première d'une certaine suite. L'exer-
cice combine toi s les jours diflAr'rem-- j
ment ces de'terminations ; les dois^ts
acquièrent tous les jours plus de fa-
cilite' : enfin , ils obeisfent conniia
d'eux-mêmes, à uns suite de niouve-
rnens de'termines ; et ils y obci:-sent
sans Qiioit , rans qu'il soit nëces- '
saire que i'v fa.^se aUention. C'est
ainsi que les organes dics sens , ayant
contracte' difFerentes habitudes , se
meuvent d'eux-mêmes , et que Tame
n'a plus besoin de veiller continuelle-
ment sur eux pour en re'zler les ruou-
a. \-^
veniens.
Mais le cerveau est le r/remier or-
gane: c'est un cenlre ccm nun où tous
se re'unissent , et d'où même tous pa-
roissent naître. En jugcani: donc du
ccr7eau par les autres sens , nous se-
rons en droit: de conclure aue toutes
les habitudes du corps T3assent iusïTu'à
lui, et que par conse'quent les fibres qui
le composent, propres, par leur flexi--
i)iîite'; a des mouyemens de tcuie es"
La Logique. 33
pèce , acquièreni: , comme leii doigts ,
rhabiiude d'obcir a différentes suites
de mouvemerisdctermines,. Cela étant,
le pouvoir qu'a moi cerveau de me
rappeler un oLjet, ne peut être que la
facilite qu'il a acquise de se mouvoir
par lui-même de la même manière
qu'il e'toit mû lorsque ceî: objet frap-
polt mes sens,
La cause physique et occasionnelle
qui conserve ou qui rappelle les ide'es,
ebt donc dans les déterminations dont
le cerveau , ce principal organe du
sentiment, s'est fait une habituda , et
qui subsistent encore , ou se repro-
duisent , lors même aue les sens ces-
sent d'y concourir. Car nous ne nous
retracerions pas les objets que nous
ayons vus ^ entendus, touclie's , si le
iiaouvement ne prenoit pa:; les mêmes
déterminations que lorsque nous:
vovons , entendons , touchons. En un
moî , l'action mécanique suit les mê-
mes loix , soit q fon e'prouve une
sensation^ soit qu'on se souvienne seu-
Ç4 î^ ^^ L O G î Q U 1.
Jciiient de l'avoir éprouve, et la me-^
moire nest qu'une manière de sentir. [
' J'ai soirvent ouï demander : Que f
deviennent les idées dont on cesse\
de s'occuper? Oà se conservent-elles? j
D'où reviennent-elles lorsqu'elles se !
représentent à nous ? Est - ce clans
laine qu'elles existent pendant ces \
longs intervalles oà nous n'y pensons '\
point ? Est-' e dans le corps ? \
A ces questions, et aux réponses
que font les métaphysiciens, on croi-
roit que les ide'es sonr comme toutes I
les choses dont nous faisons des pro- j
vions , et que la mémoire n'est qu'un !
yaste magasin. Il seroit tout aussi
raisonnable de donner de l'existence
aux difiérentes figures qu'un corps a
eues successivement, et de deman-
der / Que a,e vient la rondeur ae ce
corps ^ lorsqu'il prend une autre fig^ure?
Ou se conserve-t-elle ? Et lorsque ce
cojps redevient rond , d'oie lui vient
la rondeur,
ïuQï idées sont comme lessenîations,
La Logique. nç
des manières a être de rame. Elles
existent tant qu'elles la modifient; elles
tiVxistent plus dès qu'elles cessent de
la modifier. Chercher dans lame celles
âuxqviellrs je ne pense point du tout ,
c'est les clierchcr où elles ne sont plus ;
lès chercher dans le corps , c'est les
cherv^her où elles n'ont jamais ëte'. Où
sont-elles donc ? Nulle part.
Ne seroil-il pas absurde de deman-
der où sont les sons d'un clavecin ,
lorsque cet instrument cesse de rai-
sonner ? Et ne repondroii-on pas : Ils
ne sont iitUlè part; mais si les doigts
jrappi^^^t le clavier ^ et se meuvent
tôrnnte i's se sont inûs j ils reprodui-
[ font les mêmes sons.
Je re'pondrai donc que mes idées
ne sont mille part , lorsque mon ame
cesse d'y penser ; mais qu'elle se re-
traceront à moi aussitôt que lès mou-
vemens propres a les reproduire se re-
bOuvelleront.
Quoique je ne connoisse pas le mé-
canisme du cerveau ^ je puis danc juger
q6 L a. L o g I q tj s.
qiio scsdiffcreaicsparaes ont acquis Igl
facilité de S8 mou voird'cîies-mémes de
la même manière dont elles ont etq
mues par i'aetion des sens; que les ha]
bitudes de cet organe se conservent
que ton les lei fois qu'il leur cbëit , il rel
trace les mêmes idées , parce que le;
mêmes moiiYemens se renouvellent er
lui; qu'en u:nmot, on a des idées dans 1e
mémoire, comme on a dans les doia:ti
des pièces de clavecin : c'est-à-dire
quele cerveau a , comme ions les autres]
sens, la facilite de se mouvoir suiyan
les déterminations dont il s'est ùût unt]
habitude. Nous éprouvons des sensa-
tions à-peu-pri s comme un clavecîr
rend des sons. liCS organes e.:îteTici:r|
du corps numam sont comme les lou-
cher; les objets qui les frappent sont
comme les doigts sur le clavier ; îeî
oreaoes inte'rieurssont comme le con::^:'
du clavecin : les sensations ou les idceii
sont comme les sons ; et la mémoire r
Heu lorsque les idées qui ont été pro-
duites par l'action des objets sur let
sens ,
La L o g I q u e, 97
sens , sont reproduites par les mouvc-
mens dont le cerveau a contracte
riiabitude.
Si la mémoire , lente ou rapide ,
retrace les choses , tantôt avec ordre,
tantôt avec confusion , c'est que la
muhitude des idées suppose dans le
cerveau des mouyeniens -en si grand
nombre et si varies , qu'il n'est pas
possible qu'ils se reproduisent toujours
avec la même facilite et la mérne
exactitude.
Tous les phc'nomènes de la memoirô
dépendent des habitudes contractées
par les parties mobiles et flexibles du
cerveau ; et tous les mouvemens dont
ces parties sont suscep.ibles , sont lies
les uns aux autres , comme toutes le?
idées qu'ils ra.ppellent sont lie'es en-
tr elles.
C'est ainsi que les mouvemens des
doigts sur le clavier, sont lie's entreux^
comme les sons du chant qu'on fait
entendre; que le chant est trop lent, si
les doigts se meuyent trop lentement ;
I
çS L À L O G I Q U E.
et qu'il est confus , si les mouvemens
des doigts se confondent. Or ^ comme
la multitude des pièces qu'on apprend
sur lecîavecin^ne permet pas toujours
aux doigts de conserver les habitudes
propres a les exécuter av^ec facilite et
netteté' ; de même la multitude des
choses dont on veut se ressouvenir,
ne permet pas toujours au cerveau de
conserver les habitudes propres a re-
tracer les idées avec facilité et pré-
cision.
Qu'un habile organiste porte sans
dessein les mains sur le clavier ; les
premiers sons qu'il fait entendre , dé-
terminent ses doigts a continuer de se
mouvoir , et a obeïr a une suite de
mouvemens qui produisent une suite
de sons dont la mélodie et 1 harmonie
Te'tonnent quelquefois lui-même. Ce-
pendant il coaduit ses doigts sans ef-
fort , sans paroitre y faire attention.
C'est de la sorte qu'un premier mou-
vement oeccisionné dant le cerveau
par l'action d'un objet sur nos sens ,
La Ij o g I q u e. 99
détermine une suite de mouvcnieRS
qui retracent une suite d'ide'es ; et
parce que , pendan' tout le tems que
nous veillons , nos sens , toujours ex-
poses aux impressions des objets , ne
cessent point d'agir sur le cerveau , il
arrive que notre monioire est tou-
jours en action. Le cerveau , conti-
nu ellement ébranle par les organes ,
{f n'obëit pas seulement a l'impression
qu'il en reçoit immédiatement; il obéit
encore a touo les mouvemens que
cette première impression doit repro-
duire. Il va par habitude de mouve-
ment en mouvement , il devance l'ac-
tion des sens , il retrace de longue*
suites d'idëes:il fait plus encore . il réa-
git sur les sens avec vivacité', il leur
renvoie les sensations qu'ils lui ont
auparavant envoyées , et il nous per--
suade que nous voj^ons ce que nous
ne voyons pas.
Ainsi dojic que les doigts conser-
vent Thabitude d'une suite de mouve-
mens, et peuvent ^-à-'-fe pi
' '^
100 La Logique
occasion , se mouvoir comme ils se
sont mus y le cerv^eau coasery^ éga-
lement ses liabitudes ; et ayant une
fois été excité par Taction des ?:^ns , il
passe de lui-même par les mcuvemens
qui lui sont familiers , cl: il rappelle
des idées.
Mais comment s'exécutent ces mou-
vemens ? commenL suivent-ils diffé-
rentes déterminaticnsPc'estce qu'il est
impossible d'aDurofondir. Si même on
faisoit ces questions sur les habitudes
que prennent les doigts , je n'y pour-
rois pas répondre. Je ne tenterai donc
pas de me perdre à ce sujet en conjec-
tures. Il me suffit de juger des habi-
tudes du cerveau par les habitud^es de
chaque squs ; il faut se contenter de
connpitre que le même mécanisme ,
quel quil soit , donne ^ conser re et re-
produit les idées.
Nous venons de voir que la mémoire
a principalement son siège dans le cer-
veau ; il meparoiL qu'elle l'a encore
dans tous les organes de nos sensations ^
y
La I. o g I q u k. 101
car elle doit Tavoir par~tout où est la
cause occasionnelle des idées que nous
nous rappelons. Or si, pour nous donner
la première fois une idée, il a fallu que
les sens aient agi sur le cerveau , il
paroit que le souvenir de celte idée
n« sera jamais plus distinct que lors-
qu'à son tour le cerveau agira sur les
^^"^x^. Ce commerce d'action (tsl donc
nécessaire Dour susciter Tidée d'une
sensation passée , comme il est ne'ces-
saire pour produire une sensation ac-
tuelle. En effet, nous ne nous repré-
sentons , par exemple , jamais mieux
une figure , que lorsque nos mains re-
prennent la même forme que le tact
leur avoit fait prendre. En pareil cas,
la me'nioire nous parle en quelque
sorte un laurai^e d'action.
La mémoire d'un air qu'on exécute
sur un instrument , a son sie^^e dans les
doigts , dans l' oreille et dans le cer-
veau : dans les doi'-':ts , qui se font une
habitude d'une suite de mouvemens ;
dans roreillc; qui ne juge les doigts ^
I 3
IC2 La L o e î q u e.
et qui . au besoin , ne les dirige , qu%
parce qu'elle s'e.tmit de son cote une
habitude d'une autre suite de niouve-
îiiens ; et dans le cerveau , qui s'est
fait une habitude de passer par les
formes qui re'pondent exactement aux
habitudes des doigts et à celles des
oreilles.
On remarque facilement le^; habi-
tudes que les doigts ont con racte'es ;
on FxO peut pas également observer
celles des oreilks , moins encore celles
du cerveau ; mais l'analogie - prouve
qu'elles existent.
Pourroit-on savoir une langue , si
le cerveau ne prenoit pas les habitudes
qui répondent à celles de la bouche
pour la parler , à celles des yeux pour
la lire ?Le irouyenir d'une langue n'est
donc pas uniquement dans les habi-
tudes du cerveau; il est encore dans
les habitudes des organes de rouïe,de
la parole et de la vue.
D'après les principes qu« je viens
d'établir, il scroit facile d'expliquer
La L o Gr ï q u ï:. jc^
les songes; car les idées que nous avons
dans le sommeil , ressemblent assez à
ce qu'exécute un organiste , lorsque ,
dans des momens de distraction , il
laisse aller ses doigts comme au hasard.
Certainement ses doigts ne font que ce
qu'ils ont appris à faire 5 mais ils ne le
fonl: pas dans le même ordre ; ils cou-
sent; ensemble divers passages tire'sdes
diffe'rens morceaux qu'ils ont e'tudiës.
Jugeons par anéilogie de ce qui se
ï passe dans le cerveau , d'après ce que
nous observons dans les habitudes
Ri' une main exercée sur un instru-
^lent ; et nous conclurons que les son-
*s sont l'effet de l'action de ce prin-
cipal organe sur les sens , lorsqu'au
milieu du repos de toutes les parties
u corps , il conserve assez d'activité
^ourobe'ira quelqus-unes de ses habi-
udes. Or , dès qu'il se meut comme
il a été mu lorsque nou^^ avions des
vensations, alors il agit sur les sens,
;t aussi-tôt nous entendons et nous
"voyons : c'e^t ainsi qu'un manchot
ï04 î^ ^ Logique. —^
croit sentir la main qu'il n'a plui.
Mais j Cil pareil cas , le cerveau re-
retrace d'ordinaire les choses avec
beaucoup de de'sordre , parce que les
habitudes, dont l'action est arrêtée
par le sommeil , interceptent un grand
nombre d'idées.
Puisque non s avons explique com-
ment se contractent les habitudes qui
font la mémoire , il sera facile de com-
prendre comment elles se perdent.
Premièrement , si elles ne sont pas
continu eliement entretenues , ou du
moins renonveilees frëqoemment. Ce
sera le sort de ton es celles auxqueile§^
les sens cesseront de donner occasion.*
En second lieu , si elles se multi-
plient à un ceriain point; car, alors il j
enaijrao:ue nous neirli^erons. Aussi
nous e'chappe-t~il des connoissances
à mesure que nous en acquérons.
En troisième lieu , une indisposition
dans le cerveau affoibîiroit ou trou-
bleroit la mémoire , si elle étcit un
obstacle a quelques-uns des mouve-^
L i Logique. loy'
mens dont 11 b' est .fait: une habitude.
Alcro il V auroit des choses dont on ne
conserveroit point de souvenir; il n'eu
resteroit même d'aucune , si l'indispo—
sition enipéchoit toutes les habitudes
du cerveau.
En quatrième lieu , une paralysie
dans lej or^ranes Drcdinroit le même
effet : les habitudes du cerveau ne
manqueroieiitpas de se perdre peu-
à-peu , lorsqu'elles ne seroient plus
entretenues par l'action des sens.
Enfin , la vieillesse porte coup à la
me'moire. Alors les parties du cerveau
sont comme des doigts qui né sont plus
assez flexibles pour se mouvoir sLîiva.nt
toutes les déterminations qui leur ont
été flimlliéres. Les habitudes se per—
dent peu-à-peu ; il ne reste que des
sensations foibles qui voat bientôt
échapperde mouvemen" qui paroit les
entretenir , est prêt à finir lui-même.
Le principe physique et occasionnel
^ de [a sensibiliLe' est donc uniaucment
dans certaines déterminations dont le
ip6 La Logique.
mouvement qui fait ve'geter ranimai
est sii&c^piible; et celui de la mémoire
est clans ces déterminations , lors-
qu'elles sont devenues autant d'habi™
tudes. C'est l'analogie qui nous auto-
rise a sv!pp05er que dans les organes
cjue nous ne pouvons pas observer , il
se passe quelque chose de sembuibie
à ce que nous observons dans les au-
tres. J'ignore par quel me'canisme ma
Hîain a as-ezi de fledbilité et de mobi-
lité pour contracter l'habitude de
cer'aixies dcteniiinations de mouve-
mens , mais je sais qu'il y a en elle
flexibilité , mobilité' , exercice , habi-
Ipdes , et je supposa que tout cela se
retrouve dans le cerveau et dans les
organes qV- sont avec lui le siège de
la mémoire,
Par~l:\ je n'ai sans doute qu'uneidee
très-imparfaite des causes physiques et
occasionnelles de la sensibilité et de la
me'moire ; j'en ignore tout-a-fait les
premiers principes. Je connois qu'il y
a en nouo un m.ou vement 3 et je ne puis
j
La L o g I q u r Î07
comprendre par quelle force il estpro-
duil. Jecoiiiicisque ce mouvement est
capabl'e de différentes déterminations,
et je ne pnis découvrir le mecaninie
qui les règle. Je n'ai donc que l'avari-
tage d'avoir dégage de toute hypothèse
arbitraire ce peu de connoiosance aue
nous avons sur une matière des oins
oDscures. C'est, je pense, à quoi les
physiciens doivent se borner toutes les
fois qu'ils veulent Kiire des systèmes
sur deo choses dont il n'est pas possible
d'observer les premières causes.
I08 L A L G G I Q U E,
SECONDE PARTIE.
JJ analyse considérée dans ses moyens'
et dans ses ejjets j ou l art de rai-
sonner réduit a une langue bien
Jhite.
X\ ous connoissons l'ongine et ]a gë-
néraûon de toutes nos idées : TxOus
connoissons également rorigine et la
géneValion de toutes les 'facultés de
Tame; et nous savons que l'analyse
qui nous a conduits à ces connois-
sances , est l'unique méthode qui peut
nous conduire à d'autres. Elle est pro-
prement le levier de l'esprit ; il la faut
étudier , eî: nous allons la conside'rer
idans ses moyens et dans ses effets.
CHAPITRE
Là Logique. lo^
C H A P I T R E PU E M I E R.
Comment les connoissances que nous
devons à la nature forment un
système où tout est parfaitement
lie; et comment lions nous égarons
lorsque nous oublions ses levons,
il ovs> avons vu que par le mot désir ^
on ne peut eoitendre que la direction
de nos facuUës sur les choses dont nous
avons besoin. Wous n'avons donc àe%
désirs que parce que nolis avons des
})esoins a satislaire. Ainsi , besoins,
de.sirs , voila le mobile de toutes nos
recherches.
■ Nos besoins et les moyens d'y satis-
faire ont leur raison dans la confor-
mation de nos org^^nes , et dans les
rapports des-choses à cette conforma-
tion. Par exemple , la maniérô dont je
%uh conforme ^ détermine les espèces
tïO La Logique.
d'ciliniens dontj'ai besoin* et lamanière
dont les productions sont conforme'ei
elles-mêmes, détermine celles qui peu-
vent me servir d'alimens. j
Je ne puis avoir de toutes ces diffe'-
rentes conformations qu'une connois-
sance bien imparfaite; je les ignare
proprement : mais l'expe'rience m'ap-
prend l'usage des choses qui me sont
absolument nëce-saires; j'en suis ins-
truit par le plaisir ou par la douleur ;
je le suis promptement : il me sercit
inutile d'en savoir davantage, et la
nature borne la ses leçons.
Nous voyons dans ses leçons xin sjs-*
témadont toutes les parties sont par-^
faitement bien ordonnées. S'il y a ea\j
moi des besoins et des désirs, il y a
hors de moi des objets propres à les
satisfaire, et j'ai la faculté de les con-?
noître et d'en jouir.
Ce système resserre naturellement
mes connoissances dans la sphère d'un
petit nombre de besoins, et d'un petit
nombre de choses à mon U5a2;e. Mai«^ :
Là' Lo<^ique. III
si mes connoissauces ne sont pas nom-
breuses , elles \sont bien ordonnées,
parceque je les ai acquises dans l'ordre
même de mes besoins , et dans celui
des rapports où les choses sont à moi.
Je vois donc dans la sphère de mes
connois;a.nces un système qui corres-^
pond à celui que l'auteur de ma nature
a suivi en me formant ; et cela n'est
pas étonnant , car mes besoins et mes
facultés étant donnés, mes recherches^
et mes connoissances sont données elles^
m.émes.
Tout est lié également dans l'un et
Tautre système. Mes organes ^ les sen-
sations que j'éprouve^ iesjugemensque
je porte, l'expérience qui les confirme
ou qui les corrige , forment F un et
l'autre syctéme pour ma conservation;
et il semble que celui qui m'a fait n'ait
tout disposé avec tant d'ordre , que
pouf- veiller lui-même sur moi. Voilà
le système qu'il faudroit étudier pour
apprendre à raisonner.
On ne sauroit trop observer les fa-»
lîl L A L G ï Q U E.
cultes que notre aonfoimalion nous
donne , l'usage qu'elle nous en fait
faire; en un mot ^ on ne sauroittioji
observer ce que nous faisons unique-
ment d* après elle- Ses leçons, si nous
savions en profiler, sercient la meil-
leure de toutes les logiques.
En effet, que nous apprend-elle ? A
éviter ce qui peut nous nuire , et a
rechercher ceqni peut nous être utile.
Biais faudra-t-ii pour cela que nous
j u gions de l'essence d es é Ires? L'auteur
de notre nature ne l'exige pas. Il sait
qu'il n'a pas mis de ces essences à notre
portée; il veut seulement que nous ju-
gions des rapports que les choses ont à
nouSj et de ceux qu'elles ont entre elles,
lorsque la connoissance de ces derniers
peut nous être de quelque utilité'.
Nous avons un moyen pour juger de
ces rapports, et il est unique : c'est
d'observer les sensations que les objets
font sur nous. Autant nos sensations
peuvent s'étendre, autant la sphère de
nos connoissances peut s'e'tendre elle-
La Logique. î 13
mf me : aiî-dela^ toul e découverte noiis
est interdite.
Dans l'ordre aue noire nature ou
noire conformation met e^'re nos be-
soins et les choses ^ elîe nous indique
celui dans lequel nous devons étudier
les rapports qu'il nous est essentiel de
connoitre. D^autant plus dociles à ses
leçons , que noi be;:oiris sont plus près-
sans, nous faisons ce qu'elle nous in-
dique de faire , et nous observons avec
ordre. Elle nous fait donc analyser He
bien bonne heure.
Comme nos recherches se bornent
aux moj^ensde satisfaire au petit nomf-
bre de besoins qu'elle nous a donne's ;
ii nos premières observations ont été
bien faites , l'usage que nous faisons
des chosesles confirme aussi-tôt : si elles
ont été mal faites , ce même usage les
détruit tout aussi promptement^et nous
indique d'autres observations à ftiire.
-Ainsi nous pouvons tomber dans des
méprises , parce qu'elles se trouvent
sur notre chemin : mais ce chemin eôt
K3
ÎI4 La L a g I q îj e*
celui de la vérité , etil nous y conduit.
Observer des rapports, confirmer ses
Jugemens par de nouvelles observations
ou les corria-er en observant de nou-
veau, voilà donc ce que la nature nous
fait faire, e!; nous ne faisons que le
faire et le refaire à chaque nouvelle
connoissance que nous acquérons. Tel
est l'art de raisonner : il est simule
comme la nature qui nous l'apprend/
Il semble donc que nous connois-
sions déjà cet art, autant qu'il est pos-
sible de le connoîlre. Cela seroit vrai
en effet, si nous avions toujours été
capables de remarquer'que c'est la na-
ture qui l'enseigne, et qui peut seule
l'enseigner; car alors nous aurions con-
tinué comme elle nous a fait commen-*
cer.
Mais nous avons fait cette remarque
trop tard, : disons mieux , nous la fai-^
sons^ujourd'huipour la première fois.
C'est pour la première fois que nous
voyons dans les leçons de la nature
tout l'artifice de cette analj^se qui a
donné aux hommes de génie lepouvoijf
La Logique. 115
de créer des sciences ou d'en reculer
les bornes.
Nous avons donc oublie ces leçons ;
et c'est pourquoi , au lieu d'observer
les choses que nous voulions connoître,
nous avons voulu les imaginer. De sup-
positions fausses en suppositions fausses
nous nous sommes égate-s parmi une
niultituded'erreurs-,eL ces erreurs e'tant
devenues des préjuges, nous les avons
^ prises, par cette raison , pour des prin-
cipes : nous nous sommes donc égarés
de plus en plus. Alors nous n'avons
su raisonner que. d'aéré:, les mauvaises
habitu des que nous avions contractées.
L'art d'abuser des mots a été pour nous
l'art de raisonner : arbitraire, frivole,
ridicule, absurde, il a eu tous les vices
des imaginations déréglées.
Pour apprendre à raisonner, il s'agit
donc de nous corriger de toutes ces.
mauvaises habitudes , et voilà ce qui
rend aujourd'hui si difïicile cet art qui
seroit facile par lui-même ; car nous
obéissons à ce« habitudes bien plus
tî6 La L o g I q u e.
Volontiers qu'à la nature. Nous les ap-
pelons une seconde nature , pour ex-
cuser notre foiblesse ou notre aveu-
glement; mais c'est une nature altcre'e
et corrompue.
Nous avons remarque que pour con-
tracter u ne habitude, il n'y a qu'à faire*
et que pour la perdre , il ny a qu'à
cesser de faire. II semble donc que l'un
soit aussi facile que l'autre , et cepen-
-dant cela n'est pas. C'est que, lorsque
nous voulons prendre une habitude j
nous pensons avant de faire ; et que
lorsque nous la voulons perdre , nous
•avons fait avant d'avoir pense'; d'ail-,
'ïeursquand les habitudes sontdevenues
ce que nous appelons une seconde na-
ture 5 il nous est presqu'impossiHé de
remarquer qu'elles sont mau vaises. Le^
découvertes de cette espèce sont les
plus difficiles; aussi e'chappen belles an
plus grand nombre. - '
Je n'entends parler que des habitu-
des de l'esprit; car lorsqu'il s'agit de
celles du corps , tout le monde est fait
I. À L O G T Q U E. 117
pouren juger. L'expérience suffit pour
nous apprendre si elles sont utiles ou
nuisibles ; et lorsqu'elles ne sont ni
l'un ni l'autre , l'usage en fait ce qu'il
veut, et nous en jugeons d'après lui.
Malheuren sèment les habitudes de
l'aine sont également soumises aux ca-
prices de l'usage 5 qui semble ne per-
mettre ni doute , ni examen ; et elles
sont d'autant plus contagieuses ^ que
l'esprit a autant de re'pugnance avoir
ses deTauts , que de paresse à réfléchir
sur lui-même. Les uns seroient hoTi-
teux de ne pas penser comme tout le
monde : les autres trouveroient trop de
fatigue à ne penser que d'après eux ;
et si quelques-uns ont l'ambition de se
singulariser 5 ce sera souventpour pen-
ser plus mal encore. En contradiction
avec eux-mêmes, ils ne voudront pas
penser comme les autres, et cependant
ils ne toléTeront pas qu'on pense autre-
ment qu'eu K
vSi vous voulez connoître les mau-
vaises habitudes de l'esprit humain ^
11$ Là Logique.
observez le:? différentes opinions dei
peiip!e5. Voyez les ideei fausies, co: -
tradictoires , absurdes qne ia supers-
tîtioa a répandues de toutes parts ; et
juc;€z de la force des habitudes , à la
passion qui fiit respecter Terreur biea
pîu5 que îa vérité.
Considérez les nations depuis leur
commencement jusqu'à leur décaden-
ce^ et vous verrez les préjugés se muld-
pîier avec les désordres : vous serez
étonné du peu de lumière que vous
trouverez dans les siècles même qu'on
nomme éclairés. En général >quelîeslé-
gi-lations , quels gouvememens, quelle
jurisprudence ! Combien peu de peu-
ples ont eu de bonnes loix l et combiea
peu les bonnes loix durent-elles !
Enan ^ si vons observez Tesprit phi-
losophique chez les Grecs ; chez le*
Rcmains et chez les peuples qui leur
ont succédé, vous verrez, aux opinions
Cfui se transmettent d'âge en âge, com-
bien Tart de régler la pensée a été peu
«aanu dans tout lei iiécles ; et yqus
La Logique. 1 19
serez surpris de rignorance où noùf
sommes encore ci cet e'gard , si vous
conside'rez que nous venons après des
hommes de génie qui ont recule les
bornes de nos connoissances. Tel est
enge'neral le caractère des sectes : am-
bilieuses de dominer exclusivemeht^ il
est rare qu'elles ne cherchent que la
Vcrite'; elles veulent snr4out se singu-
lariser. Elles agitent des questions fri-
voles , elles parlent des jargons inin-^
tcUigibles , elles observent peu , elles
donnent leur^ rêves pour des interpr(^-
tations de la nature ; enfin, occupée*
à se nuire les unes aux autres , et à se
faire chacune de nouveaux parli.^ans,
elles emploient à cet effet toutes sortes
de moyens, et sacrifient tout aux opi-
nions qu'elles veulent re'pandre,
La vérité est bien difficile à recon-
noître pa.rmi tant de systèmes mons-
trueux qui aont entretenus parles cau-
ses qnilesontproduits ; c'est-à-^dire, par
les superstitions, par les gouvernement
fit par la mauyaise philosophie. Les
erreurs, trop liées les uues aux autres,
se défendent nuitiîeîlement. Envain
on en combattroit quelques-unes , il
faudroit les détruire toutes-à-la fois ;
c'est-à-dire, qu'il faudroit tout à~coup
changer toutes les habitudes de l'esprit
humain; mais ces habitudes sont trop
invétëre'es : les passions qui nous aveu-
glent les entretiennent ; et si, par ha
sard, il est quelques hommes capables
d'ouvrir les yeux , ils sont trop foibles
pour rien corriger, les puissans veulent
que les abus et les prejuge's durent.
Toutes ces erreurs paraissent suppo-
ser en nous autant de mauvaises habi-
tudes que de jugemensfiiux reçus pour
vrais. Cependant toutes ont Ici mv^ma
origine , et viennent également de l'ha-
bitude de nous servir des mots avant
d'en avoir déterminé la signification ,
et même sans avoir sen i le besoin de
la déterminer. Nous n'observons rien;
noLLs ne savons pas combien il faut ob-
ser\cr ; nous jugeons à la haie , sans
îiou,*' rendre compte des jugemens que
nous
La Logiqî^e. 121
nous portons ; et nous ci'oyons acque--
rir des connoissances en apprenant des
mots qui ne sont que des mots. Parce
que j dans notre enfance, nous pensons
d'après les autres , nous en adoptons
tous les préjugés; et lorsque nous par-
venons a un âge où nous croyons pen-
ser d'après nous-mêmes^ nous conti-
nuons de penser encore d'après les au-
tres j parce que nous pensons d'après
les prëjuge's qu'ils nous ont donne's.
Alors , plus l'esprit semble faire de
progrès ] plus il s'égare , et les erreurs
s'accumulent de générations en^îéné-
rations. Quand les choses sont parve-
nues à ce point, il n'y a qu'un moyen de
remettre Tordre demsla faculté de pen-
ser ; c'est d'oublier tout ce que nous
ayons appris , de reprendre nos idées
à leur çrigine, d'en suivre la généra-
tion , et de refaire, comme dit Bacon ,
l'entendement humain.
Ce moyen est ^'autant plus diflicile
è pratiqu er, qu'on se croit pi as instruit.
Aussi des ouvrages ou les sciences se-
L
il2 La Logique/
roient traitées avec une grande netteté;
une grande précision , un grand ordre,
ne seroient-ilspas également àlaportée
de tout le monde. Ceux quin'auroient
rien étudié les entendroient bien mieux
que ceux qui ont fait de grandes étu-
deS; et sur-tout que ceux qui ont beau-
coup écrit sur les sciences. Il seroit
niéme presqu'impossible que ceux-ci
lussent de pareils ouvrages comme ils
demandent à être lus. Une bonne logi-
que feroit dans les esprits xme révolu-
tion bien lente^ et le temps pourr oit seul
en faire connoître un jour l'utilité.
Yoilà donc les effets d' une mauvaise
éducation \ et cette éducation n'est
mauvaise que parce qu elle contrarie
Ja nature. Les enfans sont déterminés
par leurs besoins à être observateurs et
analystes; ils ont, dansl^urs facultés
^naissantes, dequoi être l'un et l'autre:
i!s le font même en quelque sorte for-
cément, tant que la nature les conduit
seule, Wîais aussitôt quenous^ommen-
çoiis à le§ couduire nous-mêmes ; nous
îu k Logique. î23
leur interdisons toute observation et
toute analyse. Nous supposons qu'ils
ne raisonnent pas ; parce que nous ne
savons pa.s raisonner avec eux ] et en
attendant un âge de raison qui com-
niençoit sans nous, et que nous retar-
dons de tout notr<e pouvoir^ nous les
condamnons à ne juger que 'd'après
nos opinions , nos prëjage's et nos er-
reurs. Il faut donc qu'ils soient sans
esprit , ou qu'ils n'aient qu'un esprit
tfaux. Si quelques-uns se distinguent ,
c'est qu'ils ont dans leur conformation
Rssez d'énergie pour vaincre tôt ou tard
les obstacles que nous avons mis au
dévelopement de leurs talens : les au-
tres sojat des plantes que nous avons
mutile'es jusques dans la racine^, et qui
meurent stériles.
L *
î:4 La. L o g 1 q u e
CHAPITRE II.
Comment le langage cV action analysa
la pensée.
o u s ne pouvons raisonner qn avec
les moyens qui nous sont donnés ou
indiqués par la nature. Il faut donc
observer ces moyens , et tâcher de
découvrir comment ils sont sûrs quel-
quefois , et pourquoi ils ne le sont pat
toujours.
Nous venons de voir que la cause
de nos erreurs est dans Tbabilude de
.juger d'après des mots dont nous n'a-
vons pas déterminé le sens : nous avons
vu dan« la première partie^ qu e les mots
nous sont absolument nécessaires pour
nous faire des idées de toutes espèces ;>
et nous verrons bientôt que les idées
abstraites et générales ne sont que des
dénominations. Tout confirmera donc
que nous ne pensons qu'avec lesecours
La li o o I q u e. î2j
des mois. C'en est assez pour faire
comprePxdre que i'art de raisonner a
commence' avec les langues ; qu'il n'a
pu faire de s progrès qu'autant qu'elles
en ont faites elles-mêmes ; et que par
conséquent elles doivefit renfermer
tousks moyens que nous pouvons avoir
pour analjser bien ou mal. Il faut donc
observer les langues : il ikut même ,
si nous voulons connoitre ce qu'elles
ont e'te' à leur naissance , observer le
langage d'action d'après lequel elles
ont été fai les. C'est par où nous allons
commencer.
Les eîemens du langage d action son t
nésavecrbomrae, et ces ëlêmens sont
les organes que l'auteur de notre natu-
Te nous a donnés. Ainsi il y a unUinga-
ge inné 5 quoiqu'il n'y ait point d'idée!,
qui lesoient. En effet ^ il failoit que les
érémens d'un langage quelconque ,
préparés d'avance , précédassent nos
idées; parce que, sans des signes de
quelque espèce, il nous seroit impossi-
ble d'analvser nos pensées , pour nous
L 3
120 La L o g I- QUE
rendre compte de ce que nous pensons,
c'est-à-dire^ pour le voir d'une manière
distincte.
Aussi notre conformation extérieure
est-elle destine'e à représenter tout ce
qui se passe dans i'ame : elle est l'ex-
pression de nos senlimens et denos ju—
gemens; et quand elle pairie ^ rien ne
peut être caclié.
Le propre del'action n est pas d'ana-
lyser. Comme elle ne représente les sen-
limens que parce qu'elle en est l'effet ,
elle représente à-la-fois tous ceux que
nous éprouvons au même instant ; et
les idées simultanées , dans notre pen-
sée j sont naturellement simultanées
dans ce langage.
Mais une multitude d'idées simulta-
nées ne sauroieni être distinctes, qu'au-
tant ciue nous nous sonmies fait une
hajbitudedeles observer les unes après
.les autres. C'est à cette habitude que
nous devons l'avantage de les démêler
avec une promptiiude et une facilité
qui éionaeat cquz. qui u'ont pas cou-
L A L O G I Q U K. 1^7
tracte la même habitude. Pourquoi ,
par exemple , un musicien distingue-
t-il dans l'harnionie toutes les parties
qui se font entendre à-lci-fois ? C'est
que son oreille s'est exerce'e à observer
les sons et à les apprécier.
Les hommes- commencent à parler le
langage d'action ai. S:;itôt qu'ils sentent;
et ils le parlent alors sans avoir le pro-
jet de communiquer leurs pensées. Ils
ne formeront le proj et de le parler pour
se faire entendre^que lorsqu'ils auront
remarque qu'on les a entendus : mais
dans les commeneeniens ib ne projet-
tent rien encore , parce qu'ils" n'ont
rien oboerve'.
Tout alors est donc confus pour eux
dans leur langage ; et ils n'y de'méle-
ront rien, tant qu'ils n'auront pas ap-
pris à faire l'analyse de leurs pensées.
Mais quoique tout sojt confus dans
leur langage , il renferme cependant
toutcequ'ilsy sentent : il renferme tout
ce qu'ils y démêleront lorsqu'ils sau-
Tont faire l'analyse de leurs pensées^
î:S La Logique.
c*est4î-dire , des désirs , des craintes . i
des jugemens, des raisonnemens ^ en j
un mot, toutes les opérations dont-
Tame est capable. Car enfin ^ si tout |
cela nj e'toit pas , l'analj se ne ly |
sai3roit trouver. Voyons comment ces \
liommes apprendront de la nature à
faire l'analyse de toutes ces choses.
Ils ont besoin de se donner des se-
cours ; donc chacun d'eux a besoin de
se faire entendre , et par conséquent
de s'entendre lui-même.
D'abord ils obéissent à la nature ;
et sans projet, comme nous venons de
le remarquer , ils disent à-la-fois tout
ce qu'iissentent, parce qu*il est naturel
à leur action de le dire ainsi. CepeE--
dant celui qui écoute des yeux n'en-
tendra pas 5 s'il ne décompose pas cette
action 5 pour en observer l'un après
l'autre les mouvemens. Mais il lui est
naturel de la décomposer, et par con-
séquent il la décompose avant d'en
avoir formé le projet. Car , s'il en voit
à-la4bis tous les mouyemens , iî nt
La I^ o g I q u e* 11^
regarde au i,^^ coap-d'œil que ceux
qui le frappent dayantage; au second,
il en regarde d'autres ; au troisième 3
d'autres encore. Il les observe donc suc"
cessivement , et Tanalyse en est faite.
Chacun de ces hommes remarquera
donc tôt ou tard qu*il n'entend jamais
mieux les au très que lorsqu'il a décom-
pose' leur action; et par conséquent il
pourra remarquer qu'il a besoin ,pour
se faire entendre , de décomposer la
sienne. Alors il se fera peu-à-peu une
habitude de répéter^ Tun après Tau tre,
les mouvemens que la nature lui fait
faire à-îa-fois ; et le langage d'action
■deviendra naturellement pour lui une
méthode analytique. Je dis une me-
thode j parce que la succession des
; mouvemens ne se fera pas arbitraire-*
ment et sans règles : car faction étant
Peffet des besoins et des circonstances
où l'on se troiire , iî est naturel qu'elle
se décompose dans Tordre donné par
l^s besoins et par les circonstances ; et
quoique cet ordre puisse varier %t
I
130 L A L O G I Q U ï. *
varie, il nepeut jamais être arbitraire
C'est ainsi que dans un tableau , h
place de chaque personnage , son ac-l
tion et son caractère sont de'terminés
lorque le sujet est donne avec toute
ses circonstances.
En décomposant son action , ce^
homme décompose sa pensée pour kr!
comme pour leS/Rutres ; il l'anal}' se |
et il se fait entendre, parce qu'il s'en-j
tend lui-même. j
Comme l'action totale est letableauj
de toute la pensëe,les actions partiellejj
sont autant de tableaux des idées qu:;
en font partie : donc , s'il de'compos(|
encore ces actions partielles, il dëcomi
posera ëgalenieat les idées partielles
dont elles sont les signes , et il se fera;
continuellement de nouvelles ide'eaj
distinctes. i
Ce moyen , l'unique qu'il ait pouïj
analyser sa pensée, pourraladéveîop-i
per jusques dans les moindres détails :[
car les premiers signes d'un langage |
étant donnés ^ ou n'a plus qu'à cou-j
La Logique. i'?x
3ulter , l'analogie ^ elle donnera tous
[lès autres.
■ Il n'y aura donc point d'idées que
' le lansjaffe d'action ne puisse rendre
et il les rendra avec d'autant plus de
clarté et de précision , que l'analogie
j se montrera plus sensiblement dans la
suitedessignesqu'onaura choisis. Des
lignes absolument arbitraires ne se-
roient pas entendus , parce quen'ctant
pas analogues , Tacception d' un signe
connu ne conduiroit pas à l'acception
itftm signe inconnu. Aussi est-ce l'ana-
' logie qui fait tout l'artifice des langues :
elles sont faciles y claires et pre'ci^es ,
a proportion que l'analogie s'y montre
,d*une manière plus sensible.
Je ^iensdedirequ'f/ya un laitrao^e
inné j quoiqu'il ny ait point d'idées
qui Le soient. Cette vérité' qui pourroit
jn'avoirpas e'té saisie , est'dëmon-rëe
par les observations qui la suivent et
Iqui l'expliquent.
Le langage que je nomme inné , est
un langage que nous n'avons point'
Ï32 La Logique.
appris.parce qu'il est l'effet naturel et
immédiat dç notre converoatioo. Il dit
à-la-fois tout ce que nous sentons : il
n'est donc pas une méthode analytique;
il ne dëconipose donc pas nos sen-
sations : il ne fait donc pas remarquer
C8 quelîes renferment; il ne donne
donc point d'ide'es.
I oriqu il est devenu une mëlhode
analytique, alors il décompose lesten-
satfons, et il donne des i lëes.: mais
comme méthode , il s'apprend; et Dar
conséquent sous ce point de vue il
n'est pas innë.
Au contraire , sous quelque point de
vue que Ton considère les idées , au-
cune ne sauroit être innée. S'il est vrai
qu'elles sont toutes dans nos sensations ,
il n'est pas moins vrai cra'elles ny sont
pas pour nous encore y lorsque nous
n'avons pas sli les observer; et voilà ce
qui fait que le savant et l'ignorant xiq
se ressemblent pas par les idées, quoi-
qu'ayant la même organisation ; ils so
r€5$enxbleut par la iiiaîiière de sentir.
La L o Cr X q V t, i-^
Ils sont nës tous deux ayec les incmes
sen^îations , comme avec la même leno-
rance ; mais l'un a plus analysé que
l'autre. Or 5 si c'est Ta naly^e qui denoe
les ide'es^ elles sont acquises, puisque
l'analyse s'apprend elle-même. Il nj
a donc point d'idées innées.
Oii raisonne donc mal quand on dit :
Cette idée est dans nos sensations ;
donc nous avons cette idée : et cepen-
dant on ne se lasse pas de répéter ce
raisonnement. Parce quepersonnen a-
voit encore remarqué que nos langues
sont autant de méthodes analytiques,
on ne remarquoit pas que nous n ana-
lysons que par elles , et Ton ignoroit
que nous leur devons toutes nos con-
noissances. Aussi la métaphysique de
bien des écrivains n'est-clle qu'un jar-
gon , inintelligible pour eux conmi«
pour les autres.
M
tj4 La L o g ï q u e.
CHAPITRE III.
Comment les langues sont des métho^
des cnaly tiques. Imperfection , de^
ces méthodes.
N concevra facilement comment
les langues sont autant de me'thodes
analytiques , si l'on a conçu comment
le langage d'action en est \in^ lui-mé-
jne; et si l'on a compris que , sans ce
dernier langage , les hommes auroient
e'té dans l'impuissance d'analyser leurs
pense'es ; on reconnoîtra qu'ayant ces-
se' de le parler ^ ils ne les anpjyseroient
pas ^ s'ils n'y avoient suppléé par le
langage' de sons articules. L'analyse
ne se fait et ne se peut faire qu'avec
Aes simes.
Il faut même remarquer que si elle
ne s'ëtoit pas d'abord faite avec les
simes du lani^acO;e d'action, elle ne se
seroitjamais faite avec les sons articules
deno5 langues^. Eu eflVt, comment un
La Logique. 13 ^
mot seroit-il devenu le signe d'une
idée, si cette ide'e n'avoitpaspu être
montrée dans le langage d'action ? Et
comment ce langage Tauroit-il mon-
trée 5 s'il ne l'avoit pas fait observer
séparément de toute autre ?
Les hommes ignorent ce qu'ils peu-
vent , tant que l'expérience ne leur a
pas fait remarquer ce qu'ilsfont d'après
la nature seule. C'est pourquoi ils n'ont
jamais fait avec dessein quedeschose*
qu'ils avoient déjà faites ^ sans avoir eu
le projetde les faire. Je crois que cette
observation se confirmera toujours; et
\% crois encore que si elle n'avoit pas
échappé 5 on raisonneroit mieux qu'on
ne fait.
«
Ils n'ont pensé à faire des analyses
qu'après avoir observé qu'ils en avoient
fait : ils n'ont pensé a parler le lan-
gage d'actions pour se faire entendre,
qu'après avoir observé qu'on les avoit
entendus. De même , ils n'auront pensé
à parler avec des sons O-rticulés^ qu'a-
. présavoir observé qu'ils avoient parié
M % ■
/
136 La L o g î q u k.
avec des pareils sons; etîeslaragues ont
commeace' avant qu'on eût le projet
a en faire. C'est ainsi qu'ils ont été
poètes ^ orateurs , avant de songer à
i'ëtre. En un mot, tout ce qu'ils sont
derenus ^ ils l'ont d*abord ëtë par la
nature seule; et ils n'ont étudie pour
Tétre, que lorsqu'ils ont eu observe ce
qutêlanatureleur avoit fait faire. Elle
a tout commencé , et toujours bien :
c'est une vérité qu'on ne s'auroit trop
répéter*
Les langues ont été des méthodes
exactes , tant qu'on n'a parlé que des
choses relatives aux besoins de pre-
mière nécessité. Car s'il arrivoit alors
de supposer dans une analyse ce qui
n*y devoit pas être , Texpérience ne
pouvoit manquer d^les faire appercc-
Yoir. On corrigeoit donc ses erreurs , j
et on parîoit mieux.
A la vérité , les langues étoient alors
très -bornées ; mais il ne faut pas
croire que , pour être bornées, elles
«n fusaient plus mal faites: il se pour-
La Logique. 137
roit que le.i nôtres le fussent moins
bien. En effet , les langues ns sont pas
exPiCte's ,pnrce qu'elles parlent de beau-
coup de choses ay«c beaucoup (le con-
fusion, mais parce qu'ciies parlent avec
clarté , quoique d'un petit nombre.
Si, en voulant les perfeclionner ,
fen avoit pu continuer comme on ayoit
coriiimence' , on n'auroit cherché de
nouveauxmotidansranalogiequelors-
qu'iTiieanalyse bien faite auroit eu en
cfiei; donné de nouvelles idées ; et les
langues touiours exactes auraient été
phis étendues.
Mais celane se pou voit pas. Comme
les hommes anaîysoient sans le savoir ,
ils ne remarquoient pas que s'ils avoient
des idée5 exactes, ils les devoientuni-
quemenî: à l'ancilyse. lis n« connois-
soient donc pas toute l'importance de
cette méthode.et ils anal vsoient moins,
à mesure que le besoin d'analyser se
faisoit moins sentir.
Or , quand on se fut assuré desatis-
faire aux besoins de première nécessité,
X 3
Î38 Là liOGÏQUE*
on s en lit de moins nécessaires : d&
ceux-îa on pa^sa à de moins nëccs-
sa.ires encore, et l'ont vint par degre's,
à se faire des besoins de pure curiosité,
des besoins d'opinion , cnlin des be-
soins inutiles , et tous plus frivoles les
uns que les autres.
Alors on sentit tous les jours moins
la ne'cessité d'analj S3r : bientôt on no
sentit plus que le désir de parler, et
on parla avant d'avoir des idées de ce
qu on voulcit dire. Ce n'e'toit plus le '
temps où les jugcmens se mettoient na-
turellement a Fëpreuve de Texpé-
rience. On avoitpas le méxiie intérêt
à s'assurersi les chosesdcnt onjugeoit,
e'toieni telles qu'on l'avoit suppose'. On
aimoit à le croire sans examen ; et un
jugemeni dont on s'ëtoit fait une ha-
bitude , devenoit une opinion dont on
iiedoutoit plus. Ces méprises dévoient
être fréquentes , parce que les choses
dont on jugeoit , n'avoient pas été ob-
servées, et que souvent elles ne pou--»
voient pas l'être,
La L o g I q u e. 139
Alors un ].M'emier jugement faux
en fit porter un second , et bientôt oa
en fit sans nombre. L'analogie con-
duisit d'erreurs en erreurs , pa.rce
qu'on ëioit conse'quent.
Voila ce qui es arrive aux pliiloso-
phes mêmes. 11 n'y a pas iong-tenis
qu'ils ont appris 1 cinalyse; encore n'eu
savent-ils faire usa^e aue dans les ma-
the'mayiques, dans la physique et dans
la chiinie. Au moins ii,en connois-je
pas qui aient su l'cippliquer aux idées,
de toutes espèces. Aussi aucun d'eux
n'a-L-il imagine' d^^ considérer les lan-
gues comme autant de méthodes ana-
lytiques.
. Les îa.ngues étoient donc devenues
des méthodes bien de'fectueuses. Ce-
pendant le commerce approchoit les
peuples^ qiâechangeoienten quelque
sorte leurs opinions et leurs préjuges ^
comme les productions de leur sol et
de leur industrie. Les lan ç^ues se con-
fondoient , et l'analogie ne pouyoit
plu5 guider l'esprit dans l'acception de^^
Î4^ t A L O G I Q U E.
mots. L'art de raisonner parut donc
ignore : on eât dit qu'il n etoit plus
possible de Tapprendre,
Cependant , si les hommes av oient
d'abord été places , par leur nature ,
dans le chemin des de'couvertes , ils
pou voient par hazard s'y retrouver en-
core quelquefois : mais ils s'y rètrou-
voient smis lereconnoître, parce qu'ils
ïie Favoient jamais étudié; et ils s'ëga-
roient de nouteàu.
Aussi a-t-on fai t pe ndant des siècles
de vaÎMS efforts pour découvrir les rè-
gles de Tart de raisonner. On nesaycit
où les prendre , et on les cherchoit
dans le mécanisme du discours ; méca-
Bisme qui kiissoit subsister tous les vi-
ces des lanc:ues.
Pour les trouver , il n'y avoît qu'un
moyen ; c'étoit d'observer notre ma~
nière de concevoir, et de Téudier
dans les facultés dont notre nature nous
H doués. Il falloit remarquer que le«
langues ne sont, dansle vrai . que de»
méthodes analytiques; méthode* fort
La Logique. 14?
défectueuses aujourd'hui, mais qui ont
été exactes , et qui pourroient l'être
encore. On ne l'a pas vu , parce que
n'ayant pas remar qu e combien les mots
nous sont ne'cessaires pour nous faire
des idées de toutes esDeces, on a cru
qu'ils n'avoient d'autre avantage que
d'être un 111 oyen de nous communiqu er
nos pensées, Dailkurs , comme a bien
des égards les langues ont paru arbi-
traires aux gramma.iriens et aux pliilc-
sophes , il est arrivé qu'on a supposa
qu'elles n'ont pour règles que le ca-
price de l'usage; c'est-à-dire ^ que sou-
*vent elles n'en ont point : or , toute
méthode en a toujours et doit en avoir ^
Il nô faut donc pas s'étonner si jusqu'à
présent personne n'a soupçonné les lan-
gues d'être autant deniéthodes anal}^-
tiques. ( Cours d'étude , Graminaire ,
les huit premiers chapitres de la pre-
mière partie. )
•■"•MaHll
142 La L(>g,iqu
E.
C II A P I T R E I V.
i?e U influence des lancrues.
d - - —'o
JL uisQUE les langues, formées à rae-
5ure quenous an(ilysonS3>ont devenues
autant de méthodes analytiques , ou
conçoit qu'il nous est naturel de pen-
ser d'après les habitudes qu'elles nous
ont fait prendre. -Nous pensons par
elles; règles de nosjugemens, elles
font nos connoissances , nos opinions ,
nos pre'jup^cs : ^nv^^i mot^ elles font
en ce genre tout le bien et tout le mal.
Telle est leur influence , et la chose
ne pou voit pas arriver autrement.
E j les nous égarent, parce, qu e ce son t
des niGihodes imparloites: maispuis-
€{ue ce sont de? me'thodes , elles ne sont
pas imparftdtes à tous égards , et elles
nous conduisent bien quelquefois. Il
n'est personne qui , avec le seul secours
des hii!;)iiudcs contractées dan^ sa laii--
La Logiqite. 14V
j;iie, ne soit capable de faire quelques
tons raisonnemens. C'est même ainsi
que nous avons tous commencé^ et
l'on voit souvent des hommes sans
élude , raisonner mieux que d'autres
qui ont beaucop étudié.
On desireroit que les philosophes
eussent présidé à la formation des lan-
gues ; et on croit qu'elles auroient été
mieux faites. Il faudrcit donc que ca
fussent d'autres philosophes que ceux
que nous connoissons. Il est vrai qu'en-
Kiathématiqnes y on parle avec préci->
«^ion, parce que l'algèbre, ouvrage du
génie , est^un langage qu'on ne pouvoit
pas mal fai];e. Il est vrai encore que
quelcpaes parties de laphysique et de
la chimie ont été traitées avec la même
précision par un petit nombre d'excel-
iens esprits faits pour bien observer.
D'ailleurs , je ne vois pas qi^e les lan~*
; gués des sciences aien aucun avanta-
ge. Elles entres mêmes défauts vqueles
autres , et de plus grands encore. Ou
les parle tout aus^i souyent sans riea
144 L A L o *© I Q tr E.
dire : souvent encore on «ne les parle?
que pour dire des absurditë.s ; et, en
gênerai, il ne paroît pa? qu'on les parle
avec le dessein de se fliire entendre.
Jeconjecture que les premières lan-
gues vulgaires ont été les plus propres
au raisonnement : car la nature , qui
présidoit à leur formation , avoit au
moins, bien commencé. L^ génération
des idées et des facultés deramedevoit
être sensible dans ces langues , où la
première acception d'un mot étoitcon-
jaue , et où l'analogie donnoit toutes
les autres.On retrou voit dansiesnotiis
des idées qui échapoient aux sens , les
noms mêmes des idées sensibles d'où
elles viennent ; et au lieu de les voir
comme des noms propres de ces idées,
on les voyoit comme des expressions
figurées qui en montroient l'origine.
Alors ,par exemple , on ne demandoit
pas si le mot substance signifie autre
chose qxnd ce qui e^t dessous ; siie mot
pensée signifie autre clios.e que peser y
balancer, comparer. Eu un mot, on
^ aimagmoit
La Logique. i45
ii'iniagînoît pas de faire les questions
que font aujourd'hui les métaj»hysi-
ciens : les langues* qui répondoient
d'avance à toutes ^ ne permettoient
pas de les faire ^ et l'on ji'avoît point
encore de mauvaise métaphysique.
La bonne métaphysique a commencé
avant les langues; et c'est à elle qu'elles
doivent tout ce qu'elles ont de mieux.
Mais cette métaphysique étoit alors
moins une science qu'un instinct. C'étoit
la nature qui conduisoit les hommes à'
leur insu 5 et la métaphysique n'est de-
venue science, que lorsqu'elle a cessé
d'être bonne.
Une langue seroit bien supérieure ^
si le peuple qui la fait , cultivoit les
arts et les sciences sans rien emprunter
d^'aucun autre 2 car l'anal"gie , dans
cette langue, montreroit senbiblement
le progrès des connoissanccs , et l'on.
1 îi'auroit pas besoin d'e^n chercher l'his-
toire ailleurs. Ce seroit là une langue
•vraiment savante , et elle le seroit seule.
j Mais quand elles sont des ramas de
N
a46 La L o g i q v e*
plusieurs langues étrangères les unes
aux autres ^ elles confondent tout t
l'analogi e ne peut jdIus faire appercevoir^
dans les différentes acceptions des mots ^
l'origine et la génération des connois-
sances : nous ne savons plus mettre d@
la précision dans nos discours , nous
n'y songeons pas ; nous faisons des
questions au hasard | nous y répondons
de même} nous abusons continuelle-
ment des mots^ et il n'y a point d'opi-
. nions extravagantes qui ne trouvent
des partisans.
Ce sont les philosophes qui ont
amené les choses à ce point de dé-
sordre. Ils ont d'autant plus mal parlé,
qu'ils ont voulu parler de tout : ils ont
d'autant plus mal parlé, que lorsqu'il
leur arrivoit de penser comme tout le
monde , chacun d'eux vouloit parôître
avoir une façon de penser qui ne fût
qu'à lui. Subtils , singuliers , vision-
naires, inintelligibles, souvent ils sem-
bloient craindre de n'être pas assez
©bscurS| et iUaffe et oient de couvrir
La LoGiQtri; 147
d'un voile leurs connoissances vraies
ou prétendues. Aussi la langue de la
philosophie n'a-t-elîe été qu'un jargon
pendant plusieurs siècles.
Enfin , ce jargon a été banni des
sciences* Il a été banni, dîs-je, mais
il ne s'est pas banni lui-même : il y
cher '"lie toujours un asyle , en se dé-
guj antsousde nouvelles formes, et les
meilleurs esprits ont bien de la peiiie
à lui fermer toute entrée. Mais enfia
les sciences ont fait des progrès, parce
que les philosophes ont mieux observé^
et qu'ils ont mis dans leur langage la
précision et l'exactitude qu'ils avoient
mise dans leurs observations. Ils ont
donc corrigé la langue à bien des
égards, et l'on a mieux raisonné. C'est
ainsi que Part de raisonner à suivi
toutes les variations du langage , et c'est
ce qui de voit arriver. ( Cours d^ étude m
Hist* anc* liv» III ^ cJiap. XXVI*
Hht, mod. ^ Ih^ VIII et IX y chap»
VIII ^ IX et suiç. enfin /zV. dernier* )
N a
i48 La Logique.
^ -• nE-> ^$)U 1.1,^1 '-inii iC
t m m ■ " ■ m i.i . 1 I . " . " ■' — ' ■ ■ - «■■"■«
i|j i . 7"«" I " I l » ■ " ■'■' ■ " •*
'; •birman') il! ^Aicn\ 'M!{? ^;>"\(«(| '^'\'
C H A P I t H'É^^'^V.
Considérations sur les i^Jées abstraites
et générales , ou comment If art de
raisonner ^^è' réduit à une langue
bien faite*
i\\
X^E5 idées i?énérales dont nous avons
c-X|)liqué la formation , font partie de
l'idée totale de chacun des individus
auxquels elles conviennent ; et on les
considère ^ par cette raison , comme au-
tant d'idées partielles. Celle è!' homme ^
par exemple, fait partie des idées to-
tales de Pierre et de Paul , puisque nous
4a trouvons également dans Pierre et;
dans Paul.
Il n'y a point d'komrae en généraL
Cette idée partielle n'a donc point def
réalité hors de nous 5 mais elle eri a
une dans notre esprit, où elle existe
séparément des idées totales ou indivis
dueiies dont elle fait partie.
La Logique. 349
Elle n'a une réalité dans notre es-
prit:, que parce que nous là considérons
comme séparée de chaque idée indi-
viduelle ; et par cette raison nous la
nommons abstraite ; car abstrait ne
signifie autre chose que séparé.
Toutes les idées générales sont donc
autant d'idées abstraites ; et vous voyez
que nous ne les formons qu'en prenant
dans chaque idée individuelle ce qiii
est commun à tontes.
Mais y qu'est-ce au fond que la réalité
j^u'uneidée générale et abstraite a dans
notre esprit ? Ce n'est qu'un nom 5 ou
si elle est quelque autre chose , elle
cesse nécessairement d'être abstraite et
générale.
Quand, par exeiuple , je pense à
homme ^ je puis ne considérer dans co
mot qu'une dénomination coianitine ;
auquel cas il est bien évident que mon
idée est en quelque sorte circonscrite
dans ce nom , qu'elle ne s'étend à rien
au-delà, et que par conséquent elle
n'est que ce nom même»
N 3
i5o La L o o r ç u e
Si, au contraire j en pensant à homme^
je considère dans ce mot quelque autre
chose qu'une dénomination , c'est qu'en I
effet je me représente un Iiomms 5 et
un iioniuie dans mon esprit comme
dan. la nature , ne sauroit être Thomme
abstrait et général.
Lea idées abstraites ne sont donc qua
des dénominations. Si nous voulions f
absolument y supposer autre chose ^
nous ressemblerions à un peintre qui _
s'obslineroit à vouloir peindre l'homme
en général , et qui cependant ne pein-
droit jamais que des individus.
Cette observation sur les idées abs-
traites et générales , démontre que leur ,
clarté et leur précision dépendent uni-
quement de l'ordre dans lequel nous
avons fait les dénominations des classes J
et que par conséquent pour déterminer
ces sortes d'idées j il n'y a qu^m moyen^ ,
c'est de bien faire la langue. -r
Elle confirme ce que nous ayons déjà ,
démontré 5 combien les mots nous sont
îiécessaires ; car si nous n'avions poini .
La L o o I q u e.^ i5i
c?e dénominations ^ nous n'aurions point
d'iclées abstraites ; si nous n'avions point
cl^idées abstraites^ nous n'aurions ni
genres, ni espèces; et* si nous n'avions
Tii genres, ni espèces, nous ^ ne pour-
rions raisonner sur rien. Or , si nous
ne raisonnons qu'avec le secours âe
ces dénominations, c'est une nouvelle
preuve que nous ne raisonnons bien
on mal que parce que notre langue est
bien ou mal faite. L'analyse ne nous
iipprèndra donc à raisonner, qii'aulant
qu'en nous apprenant à déterminer les
I idées abstraites et générales, elle nous
apprendra à bien faire notre langue 5
€t tout i'art de raisonner se réduit à
l'art de bien parler.
Parler , raisonner, se faire des idée*
générales ou abstraites , c'est donc au
fond la même chose 5 et cette vérité,
toute simple qu'elle est^ pour roi t passer
pour une découverte* Certainement on
ne s'en est pas douté 2 il le paroi t à la
manière dont on parle et dont on rai-
sonne } il le paroît à l'abus qii'on fait
i52i La L o g ï q tt e*
des idées générales ; il le paroi t eiifia
aux fUfficultés que croient trouver à
concevoir des idées abstraites ceux qui \
en trouvent si peu à parler!
L'art de raisonner ne se réduit à une
langue bien faite , que parce que l'ordre
dans nos idées n'est lui-même que la
subordination qui est entre les nom$
donnés aux genres et aux espèces ; et
puisque nous n'avons de nouvelles idées
que parce que nous formons de nouvelles
clauses y ilest évident que nous ne déter-
ininerons les idées qu'âutanVque nous
âétërminerbns les classes ^êmps. Alors
înous raisonnerons bien , parce que
Panàlogie nous conduira dans nos iu-i
geinens comme dans l'iatelligence des
mots*.
Convaincus que les classes ne sont
qiié dés dénominations I nous n'imagi-
nerons pas de supposer qu'il existe dans
la, nature des genres et des espèces , et
xiqus ne verrons dans ces mots * genres
et espèces , qir une manière de dlasser \^^
clioses suivant les rapports qu'elles ôiit
"feî
La Locîqu e. i53
à nous et eritr'elleb. N<>u> rt connoîtrons
que iK^usiie pouvons dé< ouvrir que ces
rapports ^ et nous ne croirons pas pou-
voir dire ce qu'c lies sont. Nous évi-
terons par conséquent bien deserr' urs.
Si nous remarquons que toutes ces,
classes ne nous sont nécessajres que
parce que iiousavons besoin y pour nous
îaire des idées diblînetes y de décoiu-
, es objets qu(>nous vouions etu-
oier 5 nous reconnoitrons non -'seu-^
lement la limitation de notre esprit*
nous verrons encore où en sont les
bornes I et nous ne songerons point à
les franchir. Nous ne nous ptrdrons pas
dans de vaines questions : au lieu de
cKercher ce que nous ne pouvons pas
trouver, nous trouverons ce qui sera à
210 tre portée. 11 ne faudra pour ct la que
se faire des idées exactes; ce que nous
saurons toujours 5 quand nous saurons
nous servir des mots.
Or , nous*^ saurons nous servir des
mots , lorc^qu'au lieu d'y chercher des
essences que nous n'avons pas pu y
i54 La Logique,
mettre , nous n'y chercherons que c@ j
que nous y avons misj les rapports des \
choses à nous j et ceux qu'elles out j
€nîr'eiles. l
Nous saurons nous en servir, lorsque |
les considérant relativement à la limi-
tation de notre esprit, nous ne les re-
garderons que comme un moyen don^
jioiu avons besoin ppur penser- Alors
nous senlirionis qùe««la plus grande ana-
logie en doit déterminer le choix ^
qu'elle en doit déterminer toutes les
acceptions ^ et nous bornerions né-
cessairement le nombre des mots au
nombre dov»t nous aurions besoin, Noua
ne nous égarerions plus parmi des dis- ,
tinc'aons frivoles, des divisions, des
sous-divisions sans fin , et des mots ,
étrangers qui deviennent barbare^ dans
notre langue.
JEnfîn , nous saurons nous servir des
mots , lorsque l'analyse nous aura fait
contracter l'habluide d'en chercher la
première acception dans leur premier
emploi, et toutes les autres dans Tana-
lo2ie.
La Logique. i55
C*est à cette analyse seule que nous
devons le pouvoir d'abstraire et de
généraliser. Elle fait donc les langue*. ;
elle nous donne donc de5 idées exactes
de toutes espèces. En un mot, c'est par
elle que nous devenons capables de
créer les arts et les sciences. Disons
mieux 5 c'est elle qui les a créés» Elle
a fait toutes les découvertes , et nous
"n'avons eu qu'à la suivre. L'imaoî-
nation 5 à laquelle on attribue tous les
lalens, ne seroit rien i.ans l'analyse.
Elle ne seroit rien ! je nie trompe :
elle seroit une source d'opinions , de
préjugés , d'erreurs 5 et nous ne ferions
que des rêves extravagans, si l'arialvse
• me la régloit pas quelquefois. En cffet^
les écrivains qui n'ont que de l'imagi-
»«iation , font-ils autre chose ?
La route que l'analyse nous trace ^
•est marquée par une suite d'observations
bien faites 5 et nous y marchons d'un
pas assuré ^ parce que nous savons
toujours où nous sommes ^ et que nous
voyous toujours où nous ailons, D'ail^
i56 La L o c I q r :e;
leurs f Partalyse nous aide de tout c©
qui peut nou.s être de quelques secours»
Notre esprit si foible par lui-même ^
trouve en elle des leviers de toutes
espèces ^ et il obberve les phénomènes
de la nature , en quelque sorte ^ avec
la même facilité que s'il les régloit
lui-même.
Mais , pour bien juger de ce qu(5
nous lui devons, il la faut bien coiv-
noître ^ autrement son ouvrage noua
paroi tra celui de l'imagination . Parce
que les idées que nous nommons abs-
traites , cessent de tomber sous les sens,
nous croirons qu'elles n'en vicnnertt
pas ; et parce qu'alors nous ne verrons
pas ce qu'elles peuvent avoir de commun
avec nos sensations, nous nous imagî*
neroîis qu'elles sont quelqu'autre chose,
Préoccupés de cette erreur, nous nous
aveuglerons sur leur origine et leur géné-
ration : il nous sera impossible de voirc€
qu'( lies sont, et cependant nous croirons
le Voir : nous n'aurons que des visions.
Tantôt les idées seront des êtres qui ontj
par
La Logique. î5t
pnr riix - mêmes, une existence dans
l\inie , des êtres innés ^ ou àes êtres
ajoutés successivement au sien 5 d'au-
tres fois j ce seront des êtres qui li^exis-
s^ tenl qu'en DJeu ^ et que nous ne voyons
qu'en lui. De pareils rêves nous écar-
teront nécessairenient du chemin des
Cjécouvfrtes, et nous n'irons plus que
p d'eirreur en erreur. Voilà cependant les
. - systèmes que fait l'imagination : quand
t une fois nous les avons adoptés ^ il ne
»j nous est plus possible d'avoir une langue
_ bien faite ; et nous sommes condamnés
à raisonner presque toujours mal j parce
que nous raisonnons mal sur les facultés
•, de notre esprit.
^ Ce n'est pas ainsi que les hommes ^
comme nous l'avons remarqué ^ se con-
duisoient ausortir des mains de l'auteur
de la nature. Quoiqu'alors ils cherchas-
sent sans savoir te qu'ils cher choient, ils
cherchoient bien ^ et ils trouvoient sou-
vent, sans ^^appercevoir qu'ils avoient
cherché. C'est que les besoins que l'au-
teur de la nature leur avoit donnés ^ et
O
i58 La Logique*
les circonstances où itles avoît placés^'
ies^ fôr(^oièiît à observer , et les aver-
tissoinr souvent <i^ ije jpas imagifier»
L'analyse qui fiûsoit la langue 5 la faisoit
bien, parce c|vi^eUe déterminoit tou-
j(mrs le sens, des mots 5 et la langue ^^
qui n'éîoit pas étendue, mais qui étoit
bien faite, condui:;oit aux découvertes
les plus nécessaires. Malheureusement
les hommes ne savoîent pas observer
comment ils s'instruisoient. On dirolt
qu'ils ne sont capables de bien faire quQ
ce qu'ils font à leur insu 5 et les philo-
sophes, qui auroient du chercher avec
plus de lumière , ont ch« rché souvent
pour ne rien trouver, ou pour s'égarer.
( Cours d^ étude f Art de penser ^part^
11^ ch. V. )
tmmmmmmttmmmtfmmmmmm'mÊrM^
La L o g I q tt e. i5()
CHAPITRE VI.
Combien se trompent ceux qui regar^
dent les définitions comme U unique
moyen de rem.édier aux abus du
langage»
Xjes vices des langues sont sensibles ^
sur-tout dans les mots dont l'acception
n^est pas déterminée ^ ou qui n'ont pag
^e sens. On a voulu y remédier; et parce
qu'il y a des mots qu'on peut définir ^
on a dit ^ il les faut définir tous. En con-
séquence 9 les définitions ont été regar-
dées comme la base de l'art de raisonner»
Un triangle est une surface termi^
née par trois lignes* Voilà une défini-
tion. Si ell'.- donne du triani>le une idée «
sans laquelle il seroit impossible d'en
déterminer les propriétés ^c'est que pour
^ découvrir lus propriétés d'une chose 5 il
' la faur analyser ^ et que pour l'analyser y
^ il la faut voir. De pareilles définitions
O %
î6o La L o g I qu e,
montrent donc les choses qu^oa se pro-
pose d^analyser , et c^est tout ce qu^elles
foîit* Nos sçnsnous montrentéealerneiit
leSiC/j^l^ts sensibles 9 et nous les analy-
sions , quoique nous ne puissions pas les
définir. La n<^*cessité de définir n'est donc
que iâ nécessité ie voir le^s çlioses sur
lesquelles pn yeut raisonner ; et 31 Von
peut voir sans définir , les définitions de-
viennent iautiies : c'est le cas le plus
ordinaire, fn'ih ->
Sfius doutô que pour étudier une
chose , il fout qjLie je levxQiej mai|i,qui|,nd
je la vois;, jtô^^V>aiq.^'^À'^maJiKs^^,,ïiQi's
donc que je découvre les prc^p^i^tps 4' une
surface terminée, p^r,t^W ^^-ig^^^^j c^est
Panalyse seule qui est le principe de mes
découvertes, siPon veut des principes 5
et cette définition ne fait que me mon-
trer le triangle qui est l'objet de mes
recherches , comme mes sens me mon-
trent les objets sensibles, Q'ie siguine
donc ce lansa^e : Les dé/î/titions sont
des pri/icipes^' H simili fie qu'il iant com-
mencer par voiries choses pour les élu*
La Logique. i6î
dicr y et qu'il les faut voir telles qu\4les
sont. Il ne signifie que cela , et cepen-
dant on croit dire qu* Ique chose de plus.
Principe est synoiiy me de commence^
ment ^ et c'est dans cette sigriification
qu'on l'a d'abord employé; Jiiais ensuite
àforce d'en faire usage , on s'en est servi
par habitude , machinalement, sans y at-
tacher d'idées, et l'on à f^udes pYincipes
qui ne sont le commencement de rien .
Je dirai que nos sens sont le principe
de nos cdiinoissances , parce que c'est
aux sens qu'elles commencent , et je
dirai une chose qui s'entend. Il n'en sera
pas de même si je dis , \^une surface
termin ée par trois lign es est leptin cipe
de toutes les propriétés du triangle ^,
parce' que toutes les propriétés du
triangle cofnmencemt à une surface tùr>*
minée pa,r trois lignes 5 car j'ai me rots
autant dire , que toutes les propriétés
d' une surf ace terminée par trois lignes ^
commencent aune surface terminée par
trois lignes i^w \\i\ mot , cette défini-
tion ue m'apppraxid rien ; elle ne fait quQ
O 3
î6a La Logique»'
xne moîîtref; une chose que jcco.nnols^
et dont i'aiîalyse peut seule aie décou-
vrir les propriétés.
Les définitions se bornent donc à mon-
trer les choses 5 msis elle ne les éclai-
rent pas toujours d'une lutaière égale.
JL^anie est une suhstajicci^qui sent^ est
une définition qui montre i'ame bien iin-
parfaitement^à tous ceux à qui PanaLyse
n'a pas appris que toutes ses facultés ne
sont ^ dans le principe ou dans le com-
mencement ^ que la faculté de sentir, Co
n'est donc pas |var une pareille d飫ii-
îion qu'il faudroit commencera Iraiter
4e l'âme; c^r, quoique toutes sqs facul-
tés ne soient, dans le principe, que ^eu-
tir j cette vérité n'est pas un principe ou
un consmencement pour nous , si ^ au
lieu d'être une première connoissance ^
elle est une dernière» Or elle est une der-
nière , puisqu'elle est un résultat donné
par l'analyse.
Prévenus qu'il faut tout définir , les
géomètres font souvent de vains efforts ^
et cherchent de§ définitions qu'ils iia
La L o g I q 17 je, i63
trouvent pas. Telle est;, {mr exemple ,
celle de la ligne droite 5 car dire avec eux
qu'elle est la plus courte d' an p^int àua
autre y ce ii'^sl; paa la ^£ïiref '{^é^^itéhre ,
c'est supposer (|a'un^ la ^édïMîoîi. Or,
dans leur lang^gê^y^ikî^lfôâiiitW^
un prmcipe , elle he^ doit? ^àv^'" au pp oser
queclachosesoit coniîu :'. Voilà un éciièil'
où échouent tous les faiseurs d'éiétiiens^'
au grand scandale de quelques géoriiètres'
qui se plaignent qu?on n'ait pas encoté^
donné une bonne définiticinT de la ligné
ciroite , et qui semblent ignorer^qu'on né*
doit pas définir ce qui estindéfinissablé.^
Mais si les déiinitions se bc^rnent à nous
montrer les choses , qu'impo^Hè que ce
€oit avant que nous îes connoissions ou
seulement après ? Il me semble que le
point essentiel est de le connoître.
Or 5 on seroit convaincu que l'unique
moyen de les connoître est de les analy-
ser, si on avoit remarqué que les meil-
leures définitions ne sont que des ana-
lyses. Celle du triangle , par exemple ,
«a est une 5 car certainement j pour dire
264 La Logique*
qu'il est une surface terminée par îroîs
lignes, ii a faliu observer' Pun 'après
l'autre les côtés de cette figure ^J^^fet les
compter. II est vrai que tètte ^à^n'âHj^àe
se fait en quelque sorte du prerttier Co\ip y
parce que nous comptons promptenieiit
jusqu'à trois. Mais un enfant ne comp-
teroit pas aussi vîte , et cependant il àna-
lyseroit le triangle aussi bien que'ndtis.
Il ranalyseroit lentement jCofiiiîiè' noirs-
mêmes 5 après avoir compté léntfeinènt ,
BOUS ferions la définition ôU l'inalvse
d'une figure d'un grand nombre de côtés.
Ne disons pas qu'il faut dàriàrioâ' re-
cherchés airoii* 'pour pririàîVjes dés déiî-
iiitions : dï^t>ris ' plus ^SîHiblenlèfft 'qli'it
faut bien Cëm%iéhcer y c'est-à-dire 5 Voîi^-
li^s choses telles qu'elles s6nt 5 et ajou-
tons que j pour les voir âîrisi , il fuut
toujours commencer par des analyses.
En nous exprimant de la sorte ,11 ous'
parlerons avec plus de précision, 'e'É^
nous n'aurons pas la peine de chercher
des définitions qu'on ne tro^ivë pas. Nous
saurons^ par exemple; que' jiQiu' çoà*
La Logique^ i65
iioître la ligne droite , il n'est point du
tout nécessaire de la définir à ia maiiièro
des géomètres , et qu'il suflxid'ob.^erver
comment nous en aypiis ac{|ui>i*idée.
Parce que la pcomélri^^ t^st une
science qu'on nomme exacte • ou a cru
que, pour bien traiter toutes, Iç;? autres
sciences* il n'y ayoit ou'^ contrefaire
les péomètres ; 'et la m^uiQ de dé£uir à
leur manière est devenue Iq. manie de
tous les philosophes^ ou de ,ceux qui se
donnent pour te Is^ Ouvrez iiij xliition-
naire de langue, you^ vepez qu'à cha-
que article on veut fttire dtjsd^fi^^j tiens
et qu'on y réussit mal. Les meilleures
supposent j comme celle de la ligne
droite , que la signification des mots
est connue ; ou si elles ne supposent rien j
on ne les entend pas.
Ou nos idées sont simples ^ ou elles
sont composées. Si elles sont simples ^
on ne les définira pas : un géomètre le
tenteroit inutilement ; il véchoueroit
comme à la ligne droite. Mais quoi-
qu'elles ne puissent pas être définies,
i56 La Logique.
Tanalyse nous montrera toujours com-
ment mous les avons acquises , parce
qu'elle montrv^ra d'où elles viennent ^
et comment elles nous viennent'.
Si une idée est composée , c^est en-
core à l'analyse seule à la faire cohnoî-
tre , parce qu'elle peut seule , en la de-
composant ^ nous en montrer toutes les
idéespartielles. Ainsi, quellesque soient
nos idées y il n'appartient qu'àl'analyse
de les déterminer d'une manière claire
et précise.
Cependant il restera toujours des idées
qu'on ne déterminera point, ou qu'au
moins on ne pourra pas déterminer au
gré de tout le monde. C'est que les hom-
mes n'ayant pu s'accorder à les compo-
ser chacun de la même marnère, elles
sont nécessairement indéterminées} tell©
est, par exemple, celle que nous dési-
gnons par le mot esprit. Mais quoique
l'analyse ne puissse pas déterminer ce
que nous entendons par un mot que nous
îi'entendons pas tous de la même ma-
nière , eil^ déterminera cependant tôuS
La L o g I q u e. 167
ce qu'il est possible d'entendre par ce
mot, sans enipeclier néanmoins que
chacun n'entende ce qu'il veut , comme
cela nrrÎYC ; c'est-â-dire, qu'il lui sera
plus facile de corriger la langue que de
nous corriger nous-mêmes» ,
Pvîaisenfin^ c'est elle seule qui corrî-^
gcratoutce qui peut être corrigé, parce
que c'est elle seule qui peut faire coii-
Tioître la génération de toutes nos idées.
Aussi les pîiilosoplies se sont-ils prodi-
gieusement égarés , lorsqu'ils ont aban-
donné l'analyse , et qu'ils ont cru y sup-
pléer par des définitions. Ils se sont
d'autant plus égarés , qu'ils r'ont pas su
donner encore une bonne définition de
l'analyse même. Aux efforts qu'ils font
pour expliquer cette méthode, on di-
roit qu'il y a bien du mystère à décom-^
poser un en toutes ces parties, et aie re-
composer; cependant il suffit d'observer
successivement et avec ordre. Voyez
dans l'Encyclopédie , le mot analyse»
C'est la synthèse qui a amené la
macie des définitions} cette méthode»
3 68 La X.OGÎQUE.
téinébreuse qui commence toujours par
où il faut finir ^ et que cependant on
appelle méthode de doctrine*
Je n'en donneraî pasunc notion plus
précise^ soit parce que je ne la com-
prends pas ^ soit parce qu'il n'est pas
possible de la comprendre. Elle éc^xappe
d'autant plus 5 qu'elle prend tous les ca-
ractères des esprits qui veulent l'em-
ployer , et sur - tout ceux des esprits
faux. Voici comment un écrivain cé-
lèbre s'explique à ce sujet. Enfin ^ dit-
il^ ces deux niétliodes ( L'analyse et la
syntîièse ) ne diffèrent que comme le
chemin qu'ion fait en montant d^iniQ
njalléeen une montagne et celui qu^ort
fait en desendant de la inontagne
dan^la "v allée, { "^ ) A ce langage ^ je
vois seulement que ce sorJ-là deux mé-
thodes contraires ^ et que si l'une est
bonne , l'autre est mauvaise. En effet ^
on ne peut aller que du connu à l'in-
( * )La Logique, ouT^irt depçnser, part. IV*
cliapit.II.
connu*
La h o g 1 q V e. 169
connu. Or, si Piiiconnu est sur la
montagne, ce ne sera pas eu descendant
qu'on y arrivera 5 et s'il est dans la
vallée ^. ce ne s^era pas en montant.
Il ne peut donc pas y avoir deux chemins
contraires pour yarriver. De pareilles
Gpiuionô iie lîtériteat pas une critique
plus sërieuse. ( Cours d^ élude y Art de
penser y part. I y chap, ZÂ. )
jQ 11 suppose que le propre de la syn-
tlièie est de composer nosidees^ et que
le propriûvde l'analyseest de lesdécom^
poser. Voilà pourquoi Fauteur de la
logique croit les faire connoître , lors-
qu'il dilcjue l'une conduit de la vallée
sur la montagne , et l'autre de la mon-
tagne dansla vallée. Mais qu'on raisonne
bien ou mal , il faut nécessairement que
l'esprit monte et descende tour-à-tour ^
on pour parler plus simplement y il lui
est essentiel de composer comme de dé-
composer, parce qu'une suite de rai-
sonnemens Ji'est et ne peut être qu'une
suite de compositions et de décom-
positions. 11 apparlicnt donc à la
P
570 La L o ci que.
synthèse de décomposer comme d«
composer^ et il appartient à Panalyse j
de composer comme de décoiifiposer,
îl seroit absurde d'imaginer que ces
deux choses s'excluent, et qu'on pour-
roit raisonner en s intercijsant a son
clioîx toute couiposîtion ou toute dé-
composition .En quoi donc diffèrent ces^
4.eux méthodes ? Eiii . ce que l'analyse
commence toujours bien ^ et que la |
svnîlièse commence touîoursmal. Celle-
làj sans affecter Tordre , en a îiatiirel-^
lement , parce qu'elle est la méthode ;
de la nature ; celle-ci qui ne çonnoît
pas l'ordre naturel ^ parce qu'elle estla
méthode des philosophes 9 en af£eç|§
beaucoup , pour fatiguer l'esprit sans
l'éclairer. En un mot ^ la vraie ana*
lyse 9 l'analyse qui doit être préférée 5
est celle qui commençant par le com-*
menceraent, montre dans l'analorie Ja
formation de la langue, et dans la
formation de la langue les progrès deir
sciences.
Â
?a<
La Logique. 171
E Uafc^ JW IWI J M WgM W JLff*JWWil1<m ■
CHAPITRE VII.
Comhien le rciisonnemeiit est simple ^
quand la langue est simple d^elle^
même*
xJ o I QUE l^analyse soit Tunique
métliocle ^ lès mathématiciens mêmes ^
toujoiirb pr^ts à Pabanfîoiiner , parois-
sent îi'en faire osag'^ qu'autant qn^ils
y sont forcés. Ils donnent la préfé-
rence à la syiithèsè'y 4#ite^èroien£ pins
simple et piiis courte, et leurs écrits en
sont pliiseïî3barra:3sé.> rt plus longs '(^).
nmftmm\ } t»t-jMmmtëi rj niia*uMrfaa Baafs
( *) Ce reproche fonrlé en général , n'est pas
sans exception. MM. Euier et la Grange, par
exemple, portés par leur gf'nie à la plus
grande clarté er à la plus grande nlé,crance, onC
préféré l'analyse qu'ils ont perfectionnée. Dana
leurs écrits, pleins d'inventions , cet're méîhodô
; prend un nouvel essor, et ils sont grands nig-
thémaiiciens , pjirce qu'ils sont grands analystes.
Ils' écrivent supérieuremeni l'algèbre, de toutes
les langues celle ou les bons écrivains soh£
plus lâies , parce qu'elle est la mieux faitç,
V %
î^^ La L o g ï^q u e.
Nous venons de voir que cette syn-
thèse est précisément le contraire de
l'analy-se. Elle nous met liprs du^^clie-
iniii des découvertes 5 et cependant le
grand nombre des mathématiciens
s'imaginent que cette méthode est la
plus propre à l'instruction. Ils le
croient si bien ^ qu'ils ne veulent pas
qu'on en suive d'autre dans leurs livres
élémentaires.
Ciairaut a pensé autrement. Je ne
sais pas si MM. Eu 1er et la Gran,?e
ont ait ce qu'ils pensent à ce. sujet ^
niais ils ont fait comme s'ils i'avoient
dit : car dans leurs élémens d'algèbre -
ils ne suivent que la méthode ana-
lytique ( ^ ).
(*) Les élémens de M. Euler ne ressemblent I
à aucuns de ceux qu'on a faits avant lui. Dans j
îa première partie, Fanalyse, déterminée est'
îraiîéeaYec une méthode simple , claire, qui est
toute à l'auteur; seulement la théorie des. équa-
tions est quelquefois trop sommaire. Sans doute !
M. Euler a dédaigné d'entrer dans des détails
qui ont été tant rebattus par d'autiej;*, mais il
La Logique. ij3
Le suffrage dé' * 'téi^' nià'lîle'iiialîclens
peut être compté pbiir quelque chose.
Il faut donc q\ié' les autres soient sin-
gulièrement prévenue en faveur de la
synthèse, pour se persuader que Pana-
lyse, qui est la métliode d'invention ^
n'est pas encore la niéiliode de doc-
trine^ et qu'il y ait , pour apprendre
les découvertes des autres , miinoyen
préférable à celui qui nous les feroit;
faire.^ -ft^vi»^-.^'••^:
Si Panalyse est en général bannie des
malheDjiatiques toutes les fois qu'on y
peut faire usage de la synthèse ^ il
semble qu'on lui ait fermé tout oxcès
dans les autres sciences ^ et qu'elle ne
■ I I II II II II I-»— M— ■ »— »«M« I IPW— »» I • . Il 11 II I Ll» .
laisse àes regrets au lecteur f[ui veut s'instruire.
L'analyse indéterminée, qui est si peu «onnue
içii France , et aux progrès de laquelle MM»
Éuler et la Grange ont tant contribué, esC
l'objet de la seconde partie , qui est un clief-
cl' oeuvre , et qui comprend les additions dB
M. la Grange. Uexcellence de cet ouvrage TîenK
ée la méthode analytique que ces deux grands
géomètres connoissent parfaitement, t-cux qui
ne la connoîtront pas, tenteront inulilemcnS
û'éciire 5ur les élèmeiis des sci^^^ces.
P a
i'
j 74 L A L O G ï Q V
s'y introduise qu'à l'iniii' d'é cén± qiiî
îes traitent. Voilà 'pourquoi-^ de tant
d'ouvrages des philosophes anciens ou
modernes j il y en a si peil qui' soient
faits pour instruire. La téVité est ra-
rement reconnoisiable , qùarid {'àîïalysé
ne la montre pas ^ et qii'âû contraire
la synthèse l'enveloppé dans tin ramas
de notions vagues V d'bpinièris, d'er-'
reursj ètsè fait un Jargon qfii'on prend
pour la langue des arts et des sciences.
Pour peu qu'Ali réfléchisse sur l'ana-
lyse , on r^Cprin oit i^a qu'elle doit ré-
îpàndré plus de lumière à proportion
qu'elle est plus v^imple et pliis précise j
et si l'on se rappelle que l'art de rai-
èonner se réduit à une langue bien faite ^
on jugera que la plus grande simplicité
et la plus grande précision de Panalyse ^
ne peuvent être que l'effet de la plus
grande simplicité et de la plus grande
précision du langage. Il faut donc nous
faire une idée de cette simplicité et
de cette précision^ afin d'en approcher
dans toutes ïio3 études autant qu'Usera
possible»
La Logique* 1^5
On nomme sciences exactes celles où
l'on dëaioiitre rigoureusement. Pour-
quoi donc toutes les sciences ne sont-
eiles pas exactes ? lit s'il en est où
l'on ne démontre pas rigoureusement^
comment y déniontre-t-on ? Sait- on
bien ce qu'on veut dire ^ quand on
suppose des démonstrations qui j à la
rigueur, ne son t pas des démonstrations?
Une démonstration n'est pas une dé-
monstration ^ ou elle en est une rigou-
reusement. Mais il faut convenir qus
Afii file ne parle pas la langue qu'elle
^doit parler, elle ne paroîtra pas ce
qu'elle est. Ainsi ce n'est pas la faute
des sciences , si elles ne démontrent
pas rigoureusement; c'est la faute des
savans qui parlent mal.
La langue des malliématiques , l'al-
gèbre , est ia pins simple de toutes les
langues. N'y auroit-il donc des dé-
monstrations qu'en matliématiqur\s ? Et
parce que les autres sciences ne peuvent
j^as atteindre à la même simplicité ^
«eront-elles çoiidamnécâ ^ ne PQUvoir
176 La L o g I q u e.^
pas être assez simples pour convaincre
qu'elles démontrent ce qu'elles dé- \
montrent ?
C'est Panalyse qui démontre dans
toutes; et elle y démontre rigoureu-
sement toutes les fois qu'elle parle la
langue qu'elle doit parler. Je sais bien
qu'on distingue différentes espèces d'a-
nalyse : analyse logique y analyse nié-*
taphysique ^ analyse mathématique |
mais il n'y en a qu'une, et elle est la
même dans toutes les sciences 9 parce
que dans toutes elle conduit du connu
à l'inconnu par le raisonnement , c'est-
à-dire , par une suite de jugemens qui
sont renfermée les uns dans les autres.
Nous nous ferons une idée du langage
qu'elle doit tenir, si nous essayons dô
résoudre un des problêmes qu'on ^*i^ie^
résout d'ordinaire qu'avec les secours
de l'aWèbre. Kous choisirons an des
plus facile, parce qu'il sera plus à
notre portée; d'ailleurs, il vsuffira pour
développer tout l'artifice du raisontié*'
meut»
La Logique. 377
\Âyant des jetons i dans ni§S deuoc
mains y,{si,^ ipjn, fa. is pOiSse^r un de la
main droite dans la gauche ^j^en aurais
aiUant d^ns ;lU(ne que dans l^ autre y
€t si j^ en fais passer un de la gauche
dans\^<^ droite y j^cn aurai le double
dans celle-^ci* Je .voiis? demande queb
est le nombre de jetons que* j'ai dans
chacune \? .
Il ne ta'^git^ pas de ^f^'mpt ce nombre
en faisant des suppositions; yiij le 'faut
trouver en raisQnn^nJ; j, en allani; dii
connu à i'iriconnu par une suite de
iupemens.
Il y a ici deux conditions données ^
ou j pour parler comme les malhéma-
ticicns^ il y a deux données; ^une j
que si je fais passer un jeton de la tnaiii
droite dans la gauche , j'en aurai le
même nombre dans chacune ; l'autre y
que si je fais passer un jeton de la fau-
che dans la 'droite, j'en aurai le double
dans celle-ci. Or , vous voyez que s'il
est possible de trouver le nombre que
je vous donne à chercher j ce ne peuB
Î7S La L o g I q II e,'
être qu'en observant lek^^apports oùK^i
CCS deux données sont l'ur^^^à i'autre ^W
iet vous concevez que ses rapports se- If"
ront plus ou moins sensibles ^ suivant!
que les données seront exprimées d'uno
manière plus ou moins simple.
Si vous disiez : Le jiomhre que vous fc
nvez dans la main droite , lorsqu^on
^n retranche un jeton ^ est égal à celui
^ue vous avez dans la main gauche ^
lorsqu^à celui - ci on en ajoute un y
vous exprimeriez la première donnée
avec beaucoup de mots. Dites donc
plus brièvement : Le nombre de votre
main droite diminué d'une unité ^ est
égal à celui de votre gauche augmenté
d^ un^i unité ^ ou , le nombre de votre
drc^% moins une unités est égal d
celui de votre gauche plus une unité ^
ou k'vïiw plus brièvement encore^ la
droite moins un ^ égal à la gauche
plus un,
'^:^ C'est ainsi que, de traduction en
traduction^ nous arrivons. à Pexpressiou
la plus simpiô de la première donnée^
La Logique, 370
Or 9 plus vous abrégerez votre discours ^
plus vos idées se rapprocheront 5 et
plus elles seront rapprochées y plus il
vous sera facile de les saisir sous tous
leurs rapports. Il nous reste donc à
traiter la seconde donnée comme la
première ; il la faut traduire dans
l'expression la plus simple.
Par la seconde condition du pro-
blême 9 si je fais passer un jeton de la
îaviche dans la droite j j'en aurai le
louble dans celle-ci. Donc le nombre
le ma main gauche diminué d'une
mité , est la moitié de celui de ma
nain droite augmenté d'une unité , et
)ar conséquent vous exprimerez la se-
îonde donnée en disant : Le ^o^m^e
ie "votre inaîn droite aitgmeni&%^une.
mité ^ est égal à deux fois ce fui de
)ùtre gauche diminué dUine unité.
Vous traduirez cette expression en
me autre plus simple, si vous dites z
^a droite augfUentée d'une unité ^ est
gale à deux gauches diminuées cha-'
une d'une unité ^ et vous arriverez à
xSo La Logique;
cette expression ^ la plus simple de
toutes V la droite plus un , égal d
deux gauches moins deux. Voici donc!
les expressions dans lesquelles nous
avons traduit: les données.
La droite plus un , égal à la
gauche plus un.
La droite moins un , égal à deu:^i
gauches moins deux.
Ces sortes d'exprCvSsions se nommen
en mathématiques équations» Elles son
composées de deux membres égaux : Le
droite moins un est le premier membre
de la première équation } la gauche
plus un est le second,
ïj^es quantités inconnues sont mêlées
dans chacun de ces membres^ avec le
quantités connues. Le?? connues son
moins un y plus un , moins deux ^ le
inconnues sont la droite et la gauche
par où vous exprimez les deux nom
bres que vous cherchez.
Tant que les connues et les înconf"
nues sont ainsi mêlées dans chaqu]
membr
La Logique. i8i'
jîiembre des équatiops , il n'est pas
j)ossible de résoudre le problême. Maïs
il ne faut pas un grand effort de ré-
flexion pour remarquer que s'il y a un
.jnoyen de transporter les quantités
j^'^un membre dans l'autre , sans altérer
\ Tégalité qui est entre eux ^ nous pou-
vons , en ne laissant dans un membre
qu'une des deux inconnues , la dégager
;jdes conni^es avec lesquelles elle est
ïBeiee,
Ce moyeii s'offre de lui-même; car
gi la droite moins un est égale à la
gauche plus un , donc la droite entière
^era égale à la gauche plus deux ; et
«i la droite plus un est égale à deux
jgauches moins deux, donc la droite
«seule sera égale à deux gauches moins
t trois. Vous substituerez donc aux deux
premières équations les deux suivantes t
La droite égale à la gauche
plus deux.
La droite égale à deux gauchei
moins trois.
Le premier membre de ces deux
Q
îSa La Logique.
équations est la même quantité, Im
droite / et vous voyez que vous con-
îioîtrez cette quantité , lorsque vous
connoîtez la valent du second mem-
bre de l'une ou l'autre équation. Mais
le second membre de la première estî
égal au second membre de la seconde^
puisqu'ils sont égaux Pan et l'autre à
la même quantité exprimée par la
droite. Vous pouvez par conséquent
faire cette troii>ième équation :
La gauche plus deux, égala
deux gauches moins trois.
Alors il ne vous reste qu'une in-
connue , la gauche 5 et vous en con*
noîfcrez la valeur lorsque vous l'aurez
dégagée , c'est-à-dire , lorsque vou*
aurez fait passer toutes les connues dà
même côté. Vous direz donc :
Deux plus trois ^ égal k deux
gauches moins une gauche.
Deux plus trois ^ égal à unû
t ' gauche. .1
Cinq é|îal à une gauche*
La Logique. i8â
Le problème est résolu. Vous avez
3écouvert que le nombre de jetons que
j'ai dans la main pauche , est cinq. Dans
les équations ^ la droite égale à la gau^^
Jie plus deux y la droite égale à deux,
gauches moins trois ^ vous trouverez
que sept est le nombre que j'ai dans la
main droite. Or c^s, deux nombres , cinq
et sept, satisfont aux conditions du
roblême.
Vous voyez sensiblement, dans cet
exemple , commentla simplicité des ex-^
pressions facilite le raisonnement, et
vous comprenez que si l'analyse a be-
soin d'un pareil langage lorsqu'un pro«
biéme est aussi facile que celui que nous
venons de résoudre, elle en a plus be-
soin encore lorsque les problêmes sa
compliquent. Aussi l'avantage de l'ana-
lyse en mathématique vient-il unique-
ment de ce qu'elle y parle la langue la>
plus simj)le. Une légère idée de l'alpè-j
bre suffira pour la faire comprendre.
Dans cette langue on n'apas besoin de
mots. On exprime plus pé^r-f-, moins
O -•
iS4 La L o g I <j tt e.
par— j égal par = , et on désigne \ei
quantités par des lettres et par des chif-
fre», a: ^ par exemple 5 sera le nombre]
de jetons que j'ai dans la main droite j
et y celui que j'ai dans la main gauche.
Ainsi y a: — 1 =j/-f-i , signifie que le
nombre de jetons que j'ai dans la main
droite, diminué d'une unité, est égal
a celui que j'ai dans la main gauche
augmenté d'une unité ; et ^ -f- 1 =
^ y .— 2 y signifie que le nombre de ma
2iiain droite augmenté d'une unité , est
égal à deux fois celui de ma main gau-
che diminué d'une unité. Les deux
données de notre problème sont donc
(renfermées dans ces deux équations :
:r-f- 1 T=z y -+- 1 ^
quî deviennent , en dégageant l'in-
connue du premier membre ^
La I. o g I q tr e. i8S
Des deux derniers membrfis de ces
deux équations ^ nous faisons y
qui deviennent successivement
2-4-3=2=2. y "^ y j
2 -4- 3 = y j
5 =y.
Enfin , de ^* r=j/-|- 2, nous tirons
rr^S-H- 2=:75etde:mz:2j' — 3^
nous tirons également ^:n:io — ?>=zj»
Ce langage algébrique fait apperce-
voir d'une manière sensible, comment
les jugemens sont liés les uns aux autres
dans UM raisonnement. On voit que le
dernier n'est renfermé dans le pénul-
tième , le pénultième dans celui qui le
précède , et ainsi de suite en remontant^
que parce que le dernier est identique
avec le pénultième , le pénultième avec
celui qui le précède, etc. et l'on recon-
iioît que cefte identité fait toute l'évi-
d CBce dn raisonnement.
Lorsqu'un raisorincmentse développ*
Q 3
i86 La Logique.'
avec des mots , l'évidence consiste éga*
lement dans l'identité ^ qui est sensible
d'un jugement à l'autre. En effet , la
suite des jugemcns est la même y et il
n'y a que L'expression qui change. Il
faut seulement remarquer que l'identité
ts'apperçoit plus facilement lorsqu'on
s'énonce avec des signes algébriques.
Mais que l'identité s'appercoive plus
ou moins facilement, il suffît qu'elle se
montre ^ pour être assuré qu'un raison-
ïiement est une démonstration rigou-
reuse ; et il ne faut pas s'imaginer quo
les sciences ne sont exactes , et qu'on n'y
démontre à la rigueur que lorsqu'on y
parie avec des^r , des a et des b . Si quel-
ques-unes ne paroissent pas susceptibles
de démonstration ^ c'est qu'on est dans
l'usage de les parler avant d'en avoir
fait la langue , et sans se douter même
qu'il soit nécessaire de la faire 5 car
toutes auroient la même exactitude , si
on les par loi t toutes avec des langues
bien faites. C'est ainsi que nous avons
traité la métapliysique daus la i. '^^^ partis
'/
La LocxtjuE. iS/
Je cet ouvrasse. Nous n'avons par exem-
ple , expliqué la génération des facultés
de Pâme ^ que parce que nous avons tu
qu'elles sont toutes identiques avec la.
faculté de sentir , et nos raisonnemens
faits avec des mots, sont aussi rigoureu-
sement démontrés que pourroient l'être
des raisonnemens faits avec des lettres.
S^il y a donc des sciences peu exactes ^
te n'est pas parce qu'on n'y parle pas
algèbre ; c'est parce que les langues en
fiont mal faites ^ qu'on ne s'en apper-
çoit pas, ou que si l'on s'en doute ^
on les refait plus mal encore. Faut-il
s'étonner qu'on ne sache pas raisonner^
quand la langue des sciences n'est qu'un
jargon composé de beaucoup trop de
mots, dont les uns sont des mots vul-
gaires qui n'ont pas de sens déterminé ,
et les autres des mots étrangers ou bar-
bares qu'on entend mal ? Toutes les
sciencesseroientexactes, si nous savions
parler la langue de chacune.
Tuibt confirme donc ce que nous
.avons déjà prouvé ^ que les langues sont
I
i88 La L o g I q xj sî.
autant de méthocles analytiques ; qu©
leraisonnementneseperfectionnequ'au"*
tant qu'elles se perfectionnent elles-
mêuies} et que Fart de raisonner^
réduit à sa plus grande sîninllcité ^ ne
peut être qu'une langue bien faite.
Je ne dirai pas avec des mathémati-
ciens 5 que l'algèbre est ubo e?^])èce de
langue 5 je dis qu'elle est une langue ,
et qu'elle ne peut pas être autre chose.
Vous voyez dans le problème que nous
Tenons de résoudre^ qu'elle estune lan-
gue dans laquelle nous avons traduit le
raisonnement que nous avions fait avec
des mot"^. Or ^ si les lettres et les mots
expriment le même raisonnement , il
est évident que , puisqu'avec les mots
on ne fait qu3 parier une langue j on ne
fait aussi que parler une langue avec
les lettres.
On feroi.t la même observation sur
les problèmes les plus compliqués : car
toutes ie^ solutions algébriques offrent
le même langage 5 c'est-à-dire, des rûi-
snntfîieiis j ou des jugemeus successi-
La Logiquk. 1
VPment identiques j exprimés avec des
letîrçs. Mais parce que l'algèbre est la
plus méthodique des langues ^ ©tquVile
développe des raisor*n('mens qu'on ne
pourroit traduire dans a-ucun autre, on
s'est imaginé qu'elle n'est \yà^ une langue
à proprejuent parler 5 qu'elle n'en est
une qu'à certains égards , et qu'elle doit
être quelqu'autre chose encore.
L'algèbre est en effet une méthode
analytique ; mais dle.n'enest pas moins
une langue , si toutes les langues soiit
elles- mêmes des méthodes analytiques.
Or ^ c'est encolle un coup ce qu'elles sont
en effet. Mais l'algèbre est une preuve
bien frappante que les progrès des
Écîences dépendent uniquement des
progrès des langues ; et que des langues
bien faites pourroient seules donner à
l'analyse le de^ré de simplicité et de
précision dont elle estsuscepîible , sui-
Tant le genre de nos études.
Elles le pourroient, dis- je, car dans
l'art de raisonner^ comme dans l'art
de calculer , tout se réduit à des com-
iço La Logiçttk^
positions et à des décompositions 5 et îl
ne faut pas croire que ce soit-là deux
arts différens.
CHAPITRE VII I,
Un quoi consiste tout V artifice du
raisonn cnient.
XjA méthode que nous avons suivi©
dans le chapitre précédent , a pour règle
qu'on ne peut découvrir une vérité qu'on
ne connoit pas , qu'autant qu'elle se
trouve dans des vérités qui sont con-
nues, ctque par con^séquent toute ques-
tion à résoudre suppose des données 9 où
les connues et les inconnues sont mê-
lées , comme elles le sont en effet dans
les données du problême que nous avona
résolu.
Si les données ne renferment pas
toutes les connues nécessaires pour dé-
couvrir la vérité , le problème -est ir-
£oluble. Cette considération est la
première qu'il faudroit faire, et on ne
La Logique^ 391
îa fait presque jamais. On raisonne donc
xn^l y parce qu'on ne sait pas qu'on
ii^a pas assez de connues four bien
raisonner.
Cependant ^ si l'on remarquoît que
lorsqu'on a toutes les connues, on est
conduit par un langage clair et précis |
à la solution qu'on cKerche , on se dou-
teroit qu'on ne les a pas toutes , lors-
qu'on tient un langage obscur et confus
qui ne conduit à rien. On chercheroit
à mieux parler , afin de mieux raisonner y
et l'on apprendront combien ces deux
choses dépendent l'une de l'autre.
Rien n'est plus simple que le rai-
sonnement^ lorsque les données ren-
ferment toutes les connues nécessaires
à la découverte de la vérité : nous
valions de le voir. Il ne faudroit pas
dire que la question que nous nous
sommes proposé étolt facile à résoudre }
car.la manière de raisonner est une ^
elle ne change point , elle ne peut
changer, et l'objet du raisonnement
change seul à chaque nouvelle question
içs La L o g I q it e,
qu'on se propose. Dans les plus dif-
ficiles, il faut, comme dans les p!u$
faciles , aller du connu à l'inconnu. îl
faut donc que les données renfe t'oient
toutes les connues nécessaires à la so-
liilion ; çt quand elles les renferment^
il ne reste plus qu'àénoncerces données
d'une manière ai;sez simple pour déga-
î^er les inconnues avec la plus grande
facilité possible.
Il y a donc deux clioses dans une
question , l'éno.ncé des données, et lé
déra^ement des inconnues.
L'énoncé des données est proprement
ce qu'on entend par l'état de la ques-
tion , et le dégagement des inconnue^
est le raisonnement qui la résout.
Lorsque je vous ai proposé de décou*
rrir le nombre de jetons que j'avois
daîîs chaque main , j'ai énoncé toutes
les données- dont vous aviez besoin J
et il bcmble par conséquent que j'aiô
établi moi-même l'état de la question j
mais mon langage ne préparoit pas la
solution du problême. C'est pourquoi ^
an
La Logique, içS
tu iJf u de vous en tenir à répéter mon
énoncé mot pour mot ^ vous l'avez fait
pa^^ser par difiérer^tes traductions , jus-
qu'à ce que vous soyez arrivé à Pex-
pr^ssîon la j^lus simple. Alors le rai-
^ojfixjement s'est fait en quelque sorte
fout seul , parce que les inconnues so
(Sort déeas^ées comme d'elles - mémos.
Etablir l'état d'une question , c'est
donc proprement traduire les donnée*
dans l'expression la plus simple, parce
que c'est l'expression la plus simpld
cjui facilite le raisonnement ^ en faci-
ji * ■
liîant le dégagmieiit des încorniues,
. Mais, dira-t-on , c'^st ainsi qu'on
raisonne en mathématiques, où le rai-
sonnement ïîe fait ^^^c des équations.
En sera-t-il de même dans les autres
fciences , où le raisonnement se fait
livec des propositions ? Je réponds
^ ixn^ équations , propositions, jugemensj
^ont au fand la même chose, et que
par conséquent on raisonné' de la mêma
manière dans toutes les sciences.
Eu malliéxuaticj^ues ^ celui quipropos»
î(^4 La L o © î q xt e*
nue question 5 la propose d'ordîriaîrs
avec toutes ses données 5 et il ne s'agit ^
pour la résoudre , que de la traduire eu
algèbre. Dans les autres sciences y au
contraire , il semble qu'une question ne
se propose jamais avec toutes ses don-
nées. On V0U6 demandera ^ par exemple,
quelle est l'origine et la génération des
facultés de l'entendement humain , et
on vous laissera les données à chercher,
parce que celui qui fait la question n©
les connoît pas lui-même.
Mais , quoique nous ayons à chercher
les données , il n'en faudroit pas con-
clure qu'elles ne sont pas renfermées
au moins implicitement dans la ques-
tion qu'on proposa. Si elles n'y étoient
pas , nous ne les trouverions pas; et--
cependant elles doiventse trouver dans
toute question qu'on peut résoudre. Il
faut seulement remarquer qu'elles n'y
sont pas toujours d'ane manière à être
facilement reconnues. Par conséquentî
les trouver^ c'est les démêler dans un©
expression où elles ne sont qu'iniplici-
La L o g I q tt k. içS
tcment ; et pour résoudre la question ^
il faut traduire cette expression dans
une autre où toutes les données se
montrent d'une manière explicite et
distincte.
Or , demander quelle est l'origine et
la génération des facultés de l'enten-
dement humain , c'est demander quells
est l'origine et la génération des fa-
cultés par lesquelles l'horame, capable
de sensations * conçoit les choses en,
s''en formant des idées , et on voit
aussitôt que l'attention , la comparai-
son , le jugement, la réflexion, l'ima*
gination et le raisonnement sont, avec
les sensations , les connues du pro-
blème à résoudre, et que l'origine et
la génération sont les inconnues. Voilà
les données dans lesquelles les connues
sont mêlées avec les inconnues.
Mais comment dégager l'origine et
la génération , qui sont ici les incon-
nues ? Rien* n'est plus simple. Par l'ori-
gine , nous entendons la connue qui
c$t le principe ou le commencement
R 2
3ç6 La L o g î q tj e«
de toiîtCvS 1rs autres, et par la généra-
tion , nous entendons la manière dont
tontes les connues viennent d'une pre-
mière. Cette première , qui m'est con-
nue comme faculté , ne m'est pas con-
nue encore comme première. Elle est
donc proprement l'inconnue qui est
jnêlée avec toutes les connues, et qu'il
s'agit de déi>ager. Or , la plus légère
observation me fait remarquer que la
faculté de sentir est mêlée avec toutes
les autres. La sensation est donc l'in-
connue que nous avons à dégager, pour
découvrir comment elle devient suc-
cessivement attention ^ comparaison ,
jugement, etc. C'est ce que nous avons
fait , et nous avons vu que, comme les
équations :r — i=y-f-i, et:r-Hi
rr: 2. y — ^ , passent par différentes
transformations pour devenir y z=z 5 ^
et ^ = 7 j la sensation passe également
par différentes transformations pour
devenir l'entendement.
L'artifice du raisonnement est donc
1% même dans toutes les sciences»
La LociçtTE. 1
tionS) m'offrlroit différeris phénomènes;
et j'en pourrois découvrir toutes les
propriétés par un raisoniiement qui ne
seroit qu'une suite de propositions iden-
tiques. Mais ce n'est pas ainsi que je
le connois. A la vérité j cîiaque propo-
sition que je fais sur ce métal ^ si elle
est vraie, est identique. Telle est celle-
ci , Vor est malléahle:^ car elle signifie :
ZJn corps que j^ai observé être maU
léable ^ et que je nomme or y est mal"
léahle : proposition où la même idée
est affirmée d'elle-même.
Lorsque je fais sur un corps plusieurs
propositions égalementvraies , j'affirme
donc dans chacune le même du même j
mais je n'appercois poir.t d'identité
d'une proposition à l'autre. Quoique la
pesanteur, la ductilité, la malléabi-
lité ne soient vraisemblablement qu'une
même chose qui se transforme diffé-
remment, je ne le vois pas. Je ne saurois
donc arriver à la connoissance de ces
phénomènes par l'évidence de raison :
je ne les connois qu'après les avoir ob-
soo La L o c I <5 u p,.
eervés ; et j'appelle évidence de faîèXn
certitude que j'en ai.
Je pourrois également appeler évi-
dence défait^ la connoisisance certaine
des phénomènevS que j'observe en nioîj
mais je la nomme évidence de senti-*
inent,^ parce que c'est par le sentiment
que ces sortes de faits me sont connus.
Puisque les qualités absolues des corps
sont hors de la portée de nos sens, et
que nous n'en pouvons c*I^nnoltre que
des qualités relatives , il s'ensuit que
tout fait que nous découvrons ^ n'est
autre chose qu'un rapport connu. Ce-
pendant, dire que les corps ont des
qualités relatives, c'est dire qu'ils sont
quelque chose les uns par rapport aux
autres \ et dire qu'ils sont quelque chose
les uns par rapport aux autres^ c'est dire
qu'ils sont chacun , indépendamment de
tout rapport, quelque cbose d'ab^ola.
L'évidence de raison nous apprend donc
qu'il y a des quaiités absolues , et par
conséquent des corps; raâis eîlexie nous
apprend (juo leur existence.
La L o s î q 'J r. 197
Comme en mathématiques ^ on établit
la question en la traduisant en algèbre^
clans les autres sciences^ on PélabliC
en la traduisant dans l'expression la
' plus simple ; et quand ia question est
établie, le raisonnement qui la résout
n'est encore lui-même qu'une suite de
traductions ^ où une proposition qui,
traduisant celle qui la précède , est
traduite par celle qui la suit. C'est
ainsi que l'évidence passe avec l'iden-
tité depuis l'énoncé de la question
jusqu'à la conclusion duraisonnement.
CHAPITRE IX.
Des différens degrés de certitude ,
ou de r évidence^ des conjectures et
de V analogie.
J E ne ferai qu'indiquer les différens
degrés de 'certitude , et je renvoie à
l'Art de raisonner, qui est proprement
le développement de tout ce chapitre.
L'évidence dont nous venons d«
R 3
y
îçS La Logique.
parler , et que je nomme évidence de
raison ^ consiste uniquement dans
l'identité ; c'est ce que nous avons
démontré. Il faut que cette vérité soit
bien simple pour avoir échappé à tous
les philosophes , quoiqu'ils eussent tant
d'intérêt àii'assurer de l'évidence, dont:
ils avoient continuellement le mot daus
la bouche.
Je sais qu'un triangle est évidemment
une surface terminée par trois lignes ,
parce que , pour quiconque entend la
valeur des termes, 'surface terminée
par trois lignes ^ est la même chose
que triangle. Or , dès que je sais évi-
demment ce que c'est qu'un triangle ^
j^en connois l'essence ; et je puis dans
cette essence découvrir toutes les pro-
priétés de cette figure.
Je verrois également toutes les pro-
priétés de l'or dans son essence , si je
la connoissois. Sa pesanteur , sa duc-
tilité, sa malléabilité , etc. ne seroient
que son essence même qui se tranfor-
wsieroir j et qi^i , dans ses transforma-
La Logique. * aoi
Par phénomènes ^ on entend pro-
prement les faits qui sont une suite dea
loix de la nature 5 et ces loix sont elles-
mêni^s autant de faits. L'objet de la
physique est de connoitre ces pKé-
ïïomènes, ces loix ^ et d'en saisir y s'il
est possible ^ le système.
A cet effet y on donne une attention
particulière aux pîiénomènes ^ on les
considère dans tous leurs rapports j on
ne laisse échapper aucune circonstance j
et lorsqii^on s'en est assuré par des ob-
servations bien faites ^ on leur donne
encore le nom (ï* observations.
Mais pour les découvrir, il ne suffît
pas toujours d'observer ; il faut encore,
, par dilféreris moyens ^ les dégager da
tout ce qui les cache , les rapprocher
de nous , et les mettre à la portée de
notre vue : c'est ce qu'on nomme des
cxjjériences. Telle est la différence
qu'il faut mettre entre p/iénoinènes ^
observations ^ expériences >
Il est rare qu'on arrive tout-à-coup
i l'évidence : dans toutes les scieiicei
ao2 La Logique.
et dans tous les arts , on a commencé
par une espèce de lâtonneriient.
Diaprés des vérités connues ^ on en
soupçonne dont on ne s'assure pas en-
core. Ces soupçons sont fondés sur des
circonstances qui indiquent moins le
vrai que le vraisemblable 5 mais ils
nous mettent souvent dans le chemin
des découvertes ^ parce qu'ils nous
apprennent ce que nous avons à ob-
server. C^est - là ce qu'on entend par
conjecturer.
Les conjectures sont dans le plas
foible degré ^ lorsqu'on n'assure uns
chose que parce qu'on ne voit pas
pourquoi elle ne seroit pas. Si l'on peut
s'en permettre de cette espèce ^ ce ne
doit être que comme des suppositions
qui ont besoin d'être confirmées. Il
reste donc à faire des observations ou
des expériences.
Nous paroissons fondés à croire que
la nature agit par les voies les plus
simples. En Conséquence , les phi-
losophes sont portéi à jnger que ài^
\
I
La Logique" ^o3
plusieurs rcoycns dont une chose peut
être produite, la nature doit avoir choisi
ceux qu'ils imaginent les plus simples,
lis estévident qu\îne pareille conjecture
îi'aura de la force qu'autant que nous
serons capables de connoître tous les
moyens, et de juger de leur simplicité j
ce qui ne peut être que fort rare (* ).
Les conjectures sont entre l'évidence
et l'analoc'îe nui n'est souvent elle-
O -L
mcme qu'une foi ble conjecture. Il faut
tlonc distinguer dansl'analogie différens
tiegrés y suivant qu'elle est fondée sur
dos rapports de ressemblance, sur des
rapports à la fin , ou sur des rapports
des causes aux effets j et des effets
aux causes.
La terre est habitée ^ donc les pla-
nètes le sont. Voilà la plus foible des
•analogies j parce qu'elle n'est fondée
Cjue sur un rapport de ressemblance.
(*) Quant à Tusage des conjectures dans
Ttîtiide de Pliistoire , voyez Cours d'étudej^
l'iist. aacIeBne, liv. I, chap. III-VIII,
ao4 liA Logique.
Mais si on remarG|ue que les planètes
ont des révolutions diurnes et annuelles^
et que par conséquent leurs parties sont
£uccesf?ivement éclairées et échaîiffées,
ces précaiî lions ne paroissent-elles pas
avoir été prises pour la conservation de %
quelques habitans ? Cette analogie ,
qui est fondée sur le rapport des moyens
à la fin , a donc plus de force que la
première. Cependant si elle prouve quô
la terre n'est pas seule habitée , elle ne
prouve pas que toutes les planètes la
soient : car ce que l'auteur de la nature
répète dans plusieurs parties de l'univers
pour une même fin j il se peut qu'il
ne le permette quelquefois que conmia
une suite du système général : il se
peut encore qu'une révolution fasse ua
désert d'une planète habitée.
L'analogie, qui est fondée sur le rap»
port des effets à la cause, ou de la causs
auxcffets , est celle qui a le plus de
force 2 elle devient même une démons*
tration , lorsqu'elle est confirmée par la
concours d$ toutes les circonstances.
C'est
La L o c I q tr e, sc^
C'est une évidence de fait qu'il y a
lur la terre des révolulions diurnes et
annuelles; et c'est une évidence de rai-
son que ces révolutions peuvent êtro
produites par le mouvement de la terre ^
par celui du soleil , ou par tous les deux.
Mais nous observons que les pla-
nètes décrivent des orbites autour du
soleil ^ et nous nous assurons égale-
ment , par Pévidence du fait , €|U9
quelques-unes ont un mouvement da
rotation sur leur axe plus ou moins
"incliné. Or, il est d'évidence de raison
que cette double révolution doit néces-
«aireiîient produire des jours j des sai-
fions et des années ; donc la terre a
"Une double révolution ^ puisq'aelle a
des jours , des saisons^ des années.
- Cette analogie suppose que les mème9
effetsont les mêmes causes; supposition
qui , étant confirmée par de nouvelles
analogies et par de nouvelles observa-
tions ^ ne pourra plus être révoquée en
doute. C'est ainsi que les bons philo-
iophes se sont conduits. Si l'on veut
^o6 La LoeiçxTX.'
apprendre à raisonner comme eiix^ lô
Hieillenr moyeu est d'étudier les dé-*
couvertes qui ont été faites depuis Ga-
lilée jusqu'à Newton ( Cours d^ étude ^
Art de raisonner. Hist. moderne ^ lis;,
dernier y cliap, V et suivans» )
C'est encore ainsi que nous avons
essayé de raisonner dans cet ouvrage^
Nous avons observé la nature , et nous
avons appris d'e^lle l'analyse. Avec cette
méthode , nous nous sommes étudiés
nous-mêmes 5 et ayant découvert, par
une suite de propositions identiques ^
que nos idées et nos facultés ne sont
que la sensation qui prend différentes
formes ^ nous nous sommes assurés d«
l'origine et de la génération des unes
et des autres.
Nous avons remarqué que le déve-
loppement de nos idées et de nos fa-
cultés ne se fait que par le moyen àQ%
sipnes , et ne se feroifc pas sans eux;
que par conséquent notre manière Ae
raisonner ne peut se corriger qu'en
corrigeant le langage 5 et que tout l'art
La Logique. ^07
se réduit à bien faire la langue de
chaque science.
Enfin , nous avons prouve que les
premières langues , à leur origine 9 orint
été bien faites, parce que la métaphy-
sique , qui présidoit à leur foroialion ^
i^étoit pas une science comme aujour-
d'hui, mais un instinct donné par ia
nature.
C'est donc de la nalure que nous
devons apprendre la vraie logique.
Voilà quel a été mon objet j et cet
ouvrage en est devenu plus neuf, plus
simple et plus court. La nature ne
manquera jamais d'instruire quiconque
saura l'étudier : elle instruit d'autant
mieux, qu'elle parle toujours le lan-
gage le plus précis. Nous serions bien
habiles, si nous savions parler avec la
même précision 5 mais nous verbiageons
trop pour raisonner toujours bien.
Je crois devoir ajouter ici quelques
avis aux jeunes personnes qui voudront
étudier cette logique^
Puisque tout l'art de raisonner £$
S 3
La Logique.
ï'édult à bien faire la langue decHaqne
science , il est évident que l'étude
d'une science bien traitée se réduit à
l'étude d'une langue bitn faite.
Mais apprendre une langue , c'est
se la rendre familière; ce qui ne peut
être que l'effet d'un long usage» H faut
donc lire avec réflexion, à plusicurg
reprises j parler sur ce qu'on a lu y et
relire encore , pour s'assurer d'avoir
bien parlé.
On entendra facilement les premiers
chapitres de cette logique ; mais si ,
parce qu'on les entend^ on croit pou-
voir aller tout-à-coup à d'autres ^ on
ira trop vite. On ne doit passer à un
nouveau chapitre , c[u'aprà.s s'être ap-
proprié et les idées et le langage de
ceux qui le précèdent. Si l'on tient une
autre conduite y on n'entendra plus
avec la même facilité , et quelquefois
on n'entendra point du tout.
Un plus grand inconvénient ^ c'est
qu'on entendra mal , parce qu'on fera
do «on langage ^ dont on conservera
La Looïqus. ac()
quelque chose , et du mien qu'on croira
prendre , un jargon inintelligible. Voilà
sur- tout ce qui arrivera à ceux qui se
croient instruits ^ ou parce qu'ils ont
fait une étude de ce qu'on nomme sou-
vent bien nial-à-propos philosophie ^
ou parce qu'ils l'ont enseignée. Do
quelque manière qu'ils me lisent, il
Isur sera bien difficile d'oublier ce
qu'ils ont appris , pour n'apprendre
que ce que j'enseigne. Ils dédaigneront
de recommencer avec moi : ils feront
peu de cas de mon ouvrage , s'ils s'ap-
percoivent qu'ils ne l'entendent pas ; et .
fc'ils ne l'entendent pas^ ils s'ima-
ginent l'entendre ; ils en feront peu de
cas encore, parce qu'ils. l'entendront à
leur manière , et qu'ils croiront n'avoir
rien appris. Il est fort commun parmi
ceux qui se jugent savans , de ne voir
dans les meilleurs livres que ce qu'ils
savent , et 'par coniiéquent de les lire
sans rien apprendre : ils ne voient riea
3e neuf dans un ouvrage où tout est
Beuf pour euxt
S 3
^lo La L o g I q tj ».
Aussi n'ecris-je que potir les îgno-
rans. Comme ils ne parlent les langues
d'aucune science , il leur sera plus
facile d'apprendre la mienne ; elle est
plus à leur portée qu'aucun autre y
parce que je l'ai apprise de la nature j
qui leur parlera comme à moi.
Mais s'ils trouvent des endroits qui
les arrêtent ^ qu'ils se gardent bien
d'interroger des savans tels que ceux
dont je viens de parler : ils feront
mieux d'interroger d'autres ignorans
qui m'auront lu avec intelligence.
Qu'ils se disent : Dans cet ouvrage ^
en ne va que du connu à P inconnu j
donc la dijjîculté d^ entendre un cha-
pitre vient uniquement de ce que les
chapitres préccdens ne me sont pas
assez faîiiilicrs» Alors ils jugeront
qu'ils doivent revenir sur leurs pas 5
et s'ils ont la patience de le faire , ils
m'entendront sans avoir besoin ds
consulter ae^rsonne. On entend jamais
mieux que lorsqu'on ri'enîend sans se-
cours eiran^zcrs.
L À L O G T Q tr K. 211
Cette logique est courte , et par con-
séquent elle n'est pas effrayante. Pour la
lire avec la réflexion qu'elle demande,
il n'y faudra mettre que le temps qu'on
ptrdroit à lire une autre logique.
Quand uîic fois on la saura ; et par
la savoir ^ j'entends qu'on soit en état
Je la parler facilement , et de pouvoir
ail besoin la refaire : quand on la
saura ^ dis - je , on pourra lire avec
moins de lenteur les livres où les scien-
ces sont bien traitées, et quelquefois
on ^.'instruira par des lectures rapides.
Car , pour aller rapidement de con-
noissance en connoissance , il suffit de
s'être approprié la méthode qui est
l'unique bonne , et qui par conséquent
est la même dans toutes les sciences.
La facilité que donnera cette logique ,
on l'acquerra également en étudiant les
leçons préliminaires de mon cours d'é-
tude , si l'on y joint la première | ar-
lie de la grammaire. Ces éludes ayant
été bien faites , on entendra facilement
tous mes autres ou ra^^ i.
ai!S La Logique.
Mais je veux encore prévenir les jeu-
nes gens contre un préjugé qui doit
être naturel à ceux qui commencent. '
Parce qu'une méthode pour raisonner
doit nous apprendre à raisonner, noua
Êomnies portés à croire' qu^à chaque
raisonnement , la première chose dé-
troit être de penser aux règles d'après
lesquelles il doit se faire; et nous nous
trompons. Ce n'est pas à nous à penser
aux règles , c'est à elles à nous con-
duire sans que nous y pensions. On
ne parleroit pas ^ si , avant de com-
mencer chaque phrase , il falloit s'oc-
cuper de la grammaire. Or ^ l'art de
raisonner^ comme toutes les langues ^
ne se parle bien qu'autant qu'il se
parle naturellement. Mérlitcz la métho-
de j et méditez-la beaucoup ; mais n'y
pensez plus, quand vous voudrez pen-
ser à autre chose. Quelque jour elle
TOUS deviendra familière : alors, tou-
jours avec vous, ells observera vos
pensées, qui iront seules, et elle veil-
lera sur elles pour leur emnêclier tout
*"" La L o g I qV Er"""* "2i5
[ écart ; cVs^t tout ce que \ous devez
attenfîre delamclliode. Les gardes- fous
; ne^e mettent pas la long des précipices
pour faire marcher le voyageur , mais
' pour empêcher qu'il ne se précipite.
Si j dans les commencemcns y vous
, avez quelque peine à vous rendre fa-
milière la méthode que j'enseigne , es
n'est pas qu'elle soit difficile : elle ne
tauroit l'être ^ puisqu'elle est natu-
relle ; mais elle l'est devenue pour
vous j dont les mauvaises habitudes
ont corrompu la nature. Défaites-vous
donc de ces habitudes ^ et vous raison-
nerez naturellement bien.
Il semble que j'aurois dû donner
ces avis au commencement de cette
logique j mais on ne les auroit pas
entendus. D'ailleurs y pour ceux qui
l'auront su lire , dès la première fois^
ils sont aussi bien à la fin ; et ils y
sont bien au^ssî pour les autres , qui en
lentiront mieux le besoin qu'ils en ont,
FIN.
TABLE
DES CHAPITRES
Contenus dans cet Ouvrage.
(
o
B J E T de cet ouvrage , pag» 5
PREMIÈRE PARTIE. ;
1
Comment la nature même nous en^
seigne l^ analyse ^ et comment d^a^^
'près cette méthode ^ on explique
i^ origine et la génération ^ soit des
idées j soit des fa c u Ités de Va me ^ i o
Chap. I. Comment la nature nous
donne les premières leçons de Part
de penser ^ ibid.
Chap. II. que V analyse est Punique
méthode pour acquérir des connais^
sances. Comment nous V apprenons
de la nature même y 22
Chap. ÏII. Q^ue V analyse fait les es»
prits justes ^ 3i
Tae£e des Chapxtïies, 2i5
Chap. IV. Comment la nature nous
fait observer les objets sensibles y
pour nous donner des idées de
différentes espèces y P^g- 3 9
Chap. V. Des idées des choses qui
ne tombent pas sous les sens p 5j
Chap. VI. Continuation du même,
sujet 9 63
Chap. VII. Analyse des facultés de
Vame y 67
Chap. VIII. Continuation du même
sujet y 76
Chàp . IX. Des causes de la sensibi-*
lité et de la mémoire , 81
SECONDE PARTIE.
Jjf^ analyse considérée dans ses moyens
^et dans ses effets ^ ou Vart de rai^
sonner réduit à une langue bien
faite , 108
Cïîap. I. Comment les connoissances
que nous devons à la nature ^ for^
ment un système où tout est parfai*
tement lié 9 et comment nous nous
l égarons lorsgu^ nous oublions ses
hcons ^ ; J09
si6 Ta^lje.^ p%s Chapitres. |f
Chap. lly -Çoîhment le langage d^ac^
tion aJicilys.é la pensée y p^^g» 1^4 *
Chap, lil. Gomment les langues sont
des méthodes .analytiques. Imper '^ *
fection de ces méthodes y ^'4l
Chap. IV. De Vijijluence des lan^
gués y ij\'Jk\
Chap. V. Considérations sur les idées
abstraiteSy et générales y ou comment^
l'art de raisonner se réduit à une
langue bien faite ^ J 4^
Chap. VI . Combien se trompent Geujc
' gui regardent les définitions comme
i^ unique moyen, de: remédier aujs
abus dti langage \ - i5()
Chap t^ Vil. Combien le raisonnement-
est simple quand la langue est s irh'»
pie d'elle-même p ' 171
CiiAP. \ ilï. Eîi quoi consiste tout
r cLrpificedu^, raisonnement ^ i ^o
Chap, 15L. JJes différcns dégrés ds
certitude y ou de l^ évidence des
conjectures et de ^ analogie ^ 197
Fin dô la Table»
\
^ïMi Tiiyir#tfni?:!Ki^', ,, ;p^
V TJ
CONTRAT social;
■ u
PRINCIPES
DU DROIT POLITIQUE.
Par J. J. Pi. o u s s E A u i • '
K O U V E L L E É D I T [ O N.
A PARIS ^
près le qtiai de la Vallée.
i 7 9 l
D U
CONTRAT SOCIAL,
o u
PRINCIPES
DU DROIT POLITIQUE.
LIVRE PRE M 1ER.
«J E rpiîx clierfher si , dans Fordre civiî,
ii ])eiU y avoir queiqrre rè^^îe d^ulmisîrs^
tioTî lv^<:îrimeer. sûre en. prenar.r les liouisries
tels qsi'il': f^onr ^ et ie,s loix telles qu'elles
peuvenr être. Je tâcherai d'allier îoujoia'S
ci tîis ce:.te reclierclie ce que le droit pe?-
ïTiet: avec ce qr:e l'înîérêt prescrit ,aHn
que îa JT]s:ice et Futilité ne se troiivcni:
poinr divisés.
J*cntre Cît matière s^ns prouver Fimpor-
îance de mon su je?. On ine demrrnder:! si
Je SUIS prinrr oh lé^viS'-'^îtMir , t)our écrire
sur la poliiiqiie? Je répoiuTs que r-oii y et
qu^ c'est pour cela que j'écris sur la po-
îitique. Si j'éîois prince oli législateur ^
je ne perdrois ]>as mon îcnis à dire ce
qu'il faut faire -, je ferois , ou je me"
tairoîs.
Né citoyen d'un état îil:re , et membre
da souverain , quelqne fuible influence
que p'uisse avoir ma voix dans les aiïaircs
publiques, le drcit d'y vo-er suflit pour
în'imposer le devoir de m'en instruire.
Heureux rouies les ibis q'ie }e médite sur
les ^ouvernemcns, de trouver toujours
cbns mes reclierches de nouvelles raisons
«l'airner celai de mon pays!
C H A P I T II E P II E M I E R.
Suj^t de ce premier Livre,
L'
l'HoMME e?t né libre , e^^par-tour itest
élans les fers. Tel se croir Ir moirre des
autres, qui ne laisse pas d'éire ilus est Live
qu'eux. Comjuent ce chan<:;emeni- s'est- il
iair V Je l'ip^nore. Qu'est-ce qi:i peut !e^
rendre légitime 1 Je crois pouvcii résoudra
eetîe q-ucstioR.
s O C t A IL. 5
Sî je no considéroisquelalorce^ etTeffet
qui on dérive , jedirois : tant qu'un peuple
est contraint d'obéir et <|iîlii obéit » il
fait bien; siiôt qu'il peut secouer le jciig.
Cl qu'il le secoue , il tiit encore îiiieux :
car recouvrant sa liberlé var le même
droit qui la lui a ravie, ou il esi fan dé à
la reprend: e , ou Ton ne l'éfoit p(;ir.t à la
lui orer. i> ai^ ' ^l'iïit sociai t-à^ un droip
Siirro qui srri de ba,:>e n tous tes a litres.
Cep« ntlani ce dr r ne vîenr pcin? de la
nature-, i! est donc iondé nu uei^i conven-
tions. Il .'^'aji.it i^e savoif qiîcile.s sont ces
conveniions. A.v;..ii dVn \e'ùr la, je dois
établir ce que je vii ns d^avancer.
mutJ juumw . nmiiu mts!y m «m. : jM> >g»igR<6£fc'>-iaitei»c5^».-^^wtgaB.>Ata7J^
* ii» ■■ I l ■ ■ 1 I II ■ Il ■ ■■
C H A P I ï K £ I I.
Des premières Sociétés.
L
A plus ancienne de tonfes les sociétés
et la feule nf*îureile, esî cel'e de iamiîîe,
Encore les entans ne restenv-ils lies au
père , qii^iifssi long- reins qu'ils ont besoin,
de lui pour le conserver. Sitôt que ce
besoin cesse , le lien narurel se dissout.
Les eiifansj exempts de Pobéis8f»nce qu'il»
"6' DU CoN'TRAT
xloiveiu au père , le [)èie exeirpt des soins
qîi'il devoir, aux enfans , rentrent tous
éa ilerneiit dans rindépendaiice. S'ils con-
ti.iuenî: de rester unis, ce n'est plus natii-
relleinent; c'est voîoiitaiienient , et la
iamilie elie-inéaie ne se maintien!: que pac
convetuioa.
Cette Hberté commune est nne consé-
£|uence de îa nature de l'homme. Sa pre-
mière loi est de veiller k sa propre con-
servation; ses premiers soir.s sont ceux
qu'il se doit à lui-même ; et , sitôt qu'il
est en âge de raison, lui seul étant j'age
des moyens propres à se conserver, devient
par-là son propre maître,
La famille est donc, si l'on veut, le
premier modèle des sociétés politiques :
le chef est l'image du père, le peuple est
l'image des en l'a us ; et tous étant nés égaux
et libres , n'aliènent leur liberté que pour
leur utilité. Toure la différence est que ,
dans la familie , l'amour du père pourses
enfans le paye des soins qu'il leur rend ; et
que, dans l'état, le plaisir de commander
supplée à cet amour que le chef n'a pas
pour ses peuples.
Grotius nie que tout pouvoir humaia
poit établi en faveur de ceux qui sont
gou.yej.nes j ii cite i .esclavage en exemplç»
Social. J
Sa plus constante manière de raisonner est
(f établir toujours le droit pnr le fait (i)-
On pourroit employer une méthode plus
conséquente, mais non pus plus favorable
aux tyrans.
Il est iXov^c douteux , selon Grotîus , si
îe genre humain appartientàune centaine
ëUiommes, ou si cerre centaine d'*hommes
appartient au genre humain ; er il paroit
dans tout son livre pencher pour le premier
a^is. C'est aussi le sentiment de Hobbes.
Ainsi voilà l'espèce humaine divisée eil
troupeaux de bétail , dont chacun a son
chef, qui te garde pour le dévorer.
Comme un paire est d'une nature supé-
rieure à celte de son troupeau, les pas-
t-eurs d'hommes, qui sont leurs chefs, sont
aussi d'une nature supérieure à celle d($
leurs peuples. Ainsi raisonnait, au rapport
de Philon, l'empereur Cali|:;u]a ; concluant
assez bie^i <le cette analogie, que les roi»
(i) « Les savantes recherches sur lô
t> droit public ne sont souvent que Tliis-
vi toire <)es anciens abus ; et on s'est en-
w tête mal à propos , quand on s'est donné
w la peina de trop érudier». ( Traité ma-
nuscrit des inrérers de la France avec ses
yiiisins , par M» L- M. d'A. ) Voilà préei-
séiïifiut ce ,qu'ii fait Groiius.
A4
8 BU Contrat
ëîoienr des dieux, ou que les peuples
Le rniRriîiK'uiîciu de Gî^li^rnla revient à
ce'iii lie Kobces et de (}roiins. Arisioie,
^\ec eux tous , avoir dit aussi que les
lioïnuies lie sont polnr iiafureiieuieut
ègau:^, luais que les ur.s naissent pour
l'esclavage, et les aiitres pour ia doiXiiiia-
îion.
Aristoîe avoît raison , mais il prenoit
rei'iel. |)our la cause. Tout liomiue né
iioîis res( Ja-^age jiair pour l'escliivaji^e *,
jien n'esî plus certain : les esclaves perdeii!:
tout daus leurs iers , jusqu'au désir d'en ^
sorîir -, ils aiuieii' *eia* serviriule , comuiô
les coiuDaanuns d^Uiisse aiinoienî leur
abruris«eî)!ent ( i ). S'il y a tiojic des
çsci ivf s par la naiuie , c'esr parce qu'il y
a eu (les esclaves contre nature. La force
a lait ies prejuiers esclaves , leur làclieté
les a pérpeiues.
Je n'ai rien dit du roi Adam , ni de Pern-,
perei;r fioé . père de trois i^rands nionar-
ques qui se partagèrent ]'i:niveîs , comme
iirent les etî^ans de Saturne , qu'on a cru
(i) ^'(iycz un petit Trairédc Pîurarque^
îr.îiîuié -, Que i^i^s letbs vsejst ^:^
5-AISOIi»
R O C ï A L« ^
ï^comunfre en enx. J'esnère qu'on me
s.înr.'i <,\ré c]e cette ruodéralion -, cnr tles-
er ]:e;jî-etre de îa ])raiKbG ainéc , cjiie
sais- je si, par la vérincaiion <ies tines, je
lie me rr(;ii\erois noi?u le !railinîe roi du
^vYïve humain'^ Quoi qu'il en soit, on ne
peuf disconvenir qu'Adam n'ait été souve-
rain du mon(!e, comme Jlo[;în<îO?i de sou
âsie, taiu qu'il en ïu\ le seul habitani ; et
ce qii'il y av(;ir de conur.ode dans cet
empire, éroit que ie monarque, assuré
*nr son trône ^ n'avoir, à craincire ni rebel-
liens, ni guerres^ ni conspiraieurs.
K A P I T R E I ï I.
Du droit du plus fort*
E pins îbrt n'est jamais assez Tort pour
éire ioujours le maiîre, s'il ne iransforme
t>a iorce en diroit . et l'obéissance en de-
yoir. I3e-là le durcit du ]>liis ioit, druiî:
pris ironiq\iemçnt en a|>paren(:e et réelle-
]^ni nr établi en ])iîîi('ii>es. r>uais ne noua
çxpliqueia- r-on jamais ce mot'? La lorccj
f.st une puissance physique ; je ne vois^
A 5.
lO DU Contrat
pojnt quelle moralité peut résulter de se-S
ellcis. Céder à la force est nu acte tle né-
cessité, non de volonté -, c'est iout an plus
un acte de prudence. En quel sens pourra-
ce être un devoir i
Supposons un moment, ce préiendîi
tiroir. Je dis qu'il n en lésuhe (ju'un gali-
maîhias iî!exprimal)îe ; car silot que
c'est la loice qui lait le droit, retieC
change avec là cause : iouic force qui
suiiuonie la pieuHere, suuxHieàson droit.
5iiOî qu'on ]>cut désobéir iinpiaiément ,
on ie jieut iéii^iriiuenieni, et puisque le pins
iort a toujours raison, il ne s'agit que de
iaire ensoi le qu'on soit le plus ibrt. Or ,
qu'est-ce qu'un droit qui périt, quand Va
lorce cesse? S'il faut obéir par fc.rce , oîî
îi'a pas bcSiiin d'obéir pi^v devoir ; et si
Vini n'est ])!us iorcé d'obéir, on n'y est
plus oblii^é. On voit donc que ce mot droit
n'ajoure rien à la force j il ne siii^nifie ni
rien du tout.
Obéissez aux puissances î Si cela veut
dire, cédez a la lorce, le précepte esc
bon , mais su])eri]u ; je réponds qu'il ne
sera jamais violé. Toute puissance vient
de Dieu, je favoue; maïs toute maladie
en vi(nt aussi : est-ce à dire qu'il soi!
défendu d'/îppcler le médecin"? Qu'un bri»
s O C ï A t.' ïî^
^nVid me surprenne an coin (l'on bois s
won-seuirment il faut que je donne ma
Isoiu'se, mais quand je pourrois la sons-
U'iiire , snis-je en ronscif^nce obligé de I*
iî.onner '^ Car enfin le pistolet quUl lient
^st aussi une puissance.
Convenvons donc que force ne fait pas
^roit^ et qn'on n'est obligé d'obéir qu'aux:
puissances iéii,î?iiiies.. Ainsi ma question
piimiîive revient toujours.
CHAPITRE IV.
o
P
uisQu'Aucu>r homme n'a une autorit»
naturelle sur son semblable , et puisque \x
force ne produit aucun droit, restent donc
les conveniions pv)ur î^ase a« toute auto-
riié ié^iiinie païuii les iionimes.
Si un paniculier, dit Grotius, peuf
aliéner sa liberté et se rendre esclave d'uiï
îïiaitre, pourquoi tout un peuple ne pour-
ïoit il pas^aiiéner la sienne et se rendre"
Sujet d'un r-i? il y a là bien des mots-
équivGcjues qui guroient besoin d'expli-
laiion; mais tenons- no us- en à celui ^'*i^
3 ^ -D V C G K T B. A T ,
liéner. Alici'.er, c'est donnor on vendre i
O;', ini iKHîiUîe qui se lait esclave àhm
iiMtve , r.e se (Icîitîc pa^, il se vend tout
fin ïMfins y-uitr sa snbsisfance : nsais iiîi
]M.M;|)îe j ]>0!,'iH]'!oi fie vf^îui-ii ' Bien ioiu
qiiV a r(;i iiiiiiui:!;se à ses si^jcts leur sub-
&js?aiur, il r,e tire ia sic!ine qne d'eux $
t-'! , selon Habelais, un roi ne vit. pas lie
peu. ]Jes sujtîs iu;ïrnr.î]i àoui: leur ];CV-,
sr>]ir.e à (O'Uiiiirïi qu'on |,re?Hlra ou.ssi
1( ur (.;ier.. Je ne vcjs pas ce qui leur
rr.sf<-- à con.'-crver.
Oa dira qi!e le c]e:%po^^ assure à ses;
s;;je-.s la tra!?quil;iié civile. S^ût ; triKis
<ju\ g;igneîU*i:s , si les guerres que S'-m
anibl'iou leur attire, si srn iiisaîiable
avitiiré, f^.i ir-ç vexatiî.;us de son tuiiiislère
les (lesolciit jjlîis que ite leroient îeins
clisseufioTis ^ (>i;W »^a:'nf îîî-ils , si cetîe
tranq uiliiié inôiiie est nue c!e \cl}rr^ mî-
j^ètes ? On vit IraDqîiiile aussi (K;r;s les ca-
i îio;s ; en (=sT-ccas?^e/; j^-ur sS trouver bien?
les Grecs enierî^tés (sans ra;;î'rc iln ey-
çitij^e y viv(.ùeiu tTavHjfnilesj en ciiiçiiduîU
f«i'e eur tour via^ iTè-ie tié\Ot'es.
i'ite q^i'aîi Itou.ivne se (jiiiiui" ^raJuiîe-
pu^Tiî, <'esî dire une ehc.se absurde- cr iiîr
çcmeevable , un tri aeié esi. ili-^di ne et,
'^,id^ P4r cela sçiil quç ççiui <_|ui le iab*
s ô C T A T.. jS
îi'est pas clans son bon-sens. Pire la mrrt©
chr^sede îoiiî un peuple, ('esî supposer un
peuple de fo??*;: la folie v.e fair. pas droit.
Qjiand ohaciiii pou n oit s'alicner Ini-
3T"eme il ne ])eiît aliéner ses enfan'î : ils
nrâss.'nt hommes et libres; leur liberté
leîir apparfienf ; nul n'a droii. d'; ji dispo-
ser qu'eux. Âvnnt qu'ils soient eu àf>,e d©
raison, ie {;àre peut en leur nom siipuler
des (^onditioiis pour leur conservation,
])0iîr leur biea-êîre ; mais non les donner
irrëvooableîDCîU et sans condition', carim
tel d,>n est contraire aux lins de la nature,
et passe les droits de la paîernité. Il tau-
droir d;^nc, poui- qu'un gouvernement ar-
bitrai ro iiYt léc^irînie, qu'vi chaqise géné-
ral io!i le pei.'ple ilï! le maure (.ic l'adRiertro
ou de le rejeter; mais alors ce ^^oiiverne-f
liieni. ne seroit pk;s arhiîra'ire.
Ileiioncer à .'-a liber! é, c'est renoncer a,
Ka quaîiîo d'iKuiHUO , aux droits de i'huuîiif
niiCj jiioîi:e a s;^s d.c ci-s. il n'y a md dé-
(ÎO!iiii.iij..ç!UOiir j;Cssibie ];our q!iiconr|i;e:
renonce a îon-. I/ne îclle rci:on;.iaiiou es£
încuu!j;aiib:c .n ce la naiiirc de fiiouinie^
C' c'esr ôrer îo^iîo liioraiité à se^ aonons ,
fjne ti'oiev lOîHe liberté à ^a voUjîJié. Kniiu
cesr î.iiie convtuuou vaine ei. couiiadic-
îoiie^ i\:^ siJprder^ dHaicî)art^ unç ^alo-:
î4 ï>^ CoKTRAT
thé absolue; de Tautre, une obéissance
sans bornes. îs'est il pas clair qu'on n'est
engaoré à rion envers celui dont on a droit
de tout exigera Et celle seule comiition ,
sans équivalent , sans écliange, n'entraîne-
t-elle pas la nullité de l^acte? Car quel
droit mon esclave auroit-il contre moi ,
puisque tout ce qu'il a m'appartient, et
que son droit étant !e mien, ce droit de
riioi contre rnoi-mérne est un mot qui n^a
aucun sens 5
Groiius et les autres tirent de la p^iierre
liue autre origine du préiendu droit d'es-
clavage. Le vainqueur ayant, selon eux,
îe droif de tuer le vaincu, celui-ci ci peut
racheter sa vie aux dépens de sa libellé;
convcniion d'autant plus légitime, qu'elle
tourne au profit de tous deux.
Mais il est clair que ce prétendu droit
de ti:erles vaincus, ne résulte en aucuna
manière de Tétat de guerre. Par ce la sent
que les hommes, vivant dans leur primi-
tive indépendance, n'ont point entrVux da
rapport assez constant pour ci>nstituer ni
l'état de paix ni l'état de guerre , ils ne sont
point naturellement ennemis. C'est le
rapport des choses., et non des hommes,
c|ui constitue la guerre *, et l'état de guene
îie pouvc-iit nuiue de simples relii^tion^f^
Social»' î5
personnelles, mais seiiieineiir des relations
réelles, la e;'ierie privée, ou, d' ho m me à
iioiniiie, ne peut exisler, ni dans Pétar, de
natnre, où il *^i'y a poinr. de propriété
consîanie, ni dans Tetat social, ou tout
esr sous l'autoiité îles loix. _
Lescoîiîbaîs parliculIeiSj les duels, les
rcnconfres, sont des actes qi.i ne cons-
lili:ent point un erai ; er à l'é^i^ard des
guerres privées^ ât!i<)rî.<'ces ])ar les éîa-
biissemens de i oins JX, roi de France ^
et suspendues p^u- la paix de Diei:, ce
gont des a])tîS du gouvernenienr iéodai;
système absurde s^iî en fut jan^nis, con-
traire aux principes du droit naturel , et ai
touie bonne po'iîiqne.
La guerre n'est donc point nne re^aiion
d'ii(Mîin;e à ininine, mnis line lela'ion
d'éiat à érai, dans laquelle le s par! icnliei s
ne sont enruiîîis qn'acc itlen-ellenK nî: , non
point coiiHiie iioinnies^ni rnêa>e conune
ciiovens, umùs ccwrrxe si-Ulais ; non poin£
comme inendiresde !a patrie, mais coîuu.a
ses dcfen&eurs. Eniin clif>que éîaî ne peut
avoir pour ennemis qi;e d'antres états, et
non pas des hommes; ar.'cndn qu'entre
choses de dij»e ses vit res ^ on ne peut
fixer aucun vrai ra p(.r:.
Ce principe est mêuie conforme i\)xx
î6
B IT
C O N T Tx A T
iiiaxinics ér/Uî'irs ce îimis \vs {«mîks, et à îfl
T>raîi<;[:c cufv-ioTUo <;e fous !es pp(j;)'rs p^>*»
Îiré5. Les dr'claranoîis de usicrro soiit
iii;'iTis lies avenis'^rnic^s -Mr^: pHis^uincc?
qîi\i Inirs snje's. !.'i:t!"a:i^rr , soif roi, soit
jîarMriilier, soit |>c}î?pl(^, r^ni v-lr, tne <'Ji
ilélicîU U^s snier;^, sans ('.'( Saror la «.^nme
an pt'inie, Ti'cs! pas mi eancati; c'est iirt
î.;ri£:aTui. I\^cn;e en pi iiic uuerrc , ua
pnT>C(» i;!iîc sVnipare bien, cm p:^ys eTirn-
ï\û j (le loiir re (miî apparîîe!:r an publie,
lirais il rrsîîv*c:î(^ ia n'^sonne cl ii-'S bien*?
<le5> pai'iiraîner:-; il iesrecî;e tîes ('roiis si;r
le8q:;eU Ronl l'onviés les siens. La iin t'e
la £:^i:Crre éranî la (ie«;îî action de l'éîaC
ennciiii, on a, (ii\.ii d'ru incr les dv'leïi-
fiOîirs, îantqa'ils epî les aruie'> à la râiain;
liiajssirpî '"jii'i's les posmr et se reneciir ,
ce'i'^aiit <>';}* rc einiCinis, e:i insrrv.iiîens dp
l'eiiaen;!, ils rcch viesnii^ut 5;iiiii;!einiiiie
ij:>îînrî(^s ; Ql Vvn n'a plus tie dia-ir snr !o!îj:
vie, «'^:'el.r;eFMis on jîesjr ieer l'eîat san<3
tuer liTî fieui. de ses nîesuUres : or la i^uerrQ
ne tienne aiieun iha.i?. (M»i ue seir lu;-
ressaire à sa îi;i. Ce^î prinei;;es ne seiiç
pas ceax de Grotins; ils re S(Kit pas ton-
nés Huv des auîoîiîéfi de peë;;'S, nîais i!!|
^lérisent de ia iiainre iies cilesti^j ei 6uii|
|ondés sur la i-ai^on.
Soc I A 3L. 17
A regard du droit de conquête , il n'a
d\'ïiirre ioiidernenr q.ie la loi du pins fort.
Si la ^'lerre ne donne poin! an Yainqiie:a'
le droit de luas^acrer les peiip'es vaincu.s'^
ce droit qu'il n'a |,as,ne peut iondcr ce-
h?i de les asservir. On li a le droit de tuer
l'enneuii que quand on ne \)vnt le iaivees»
cîave. le dicitde le taire esciave ne vient
tîonc pas du droit deleiuer*, c'est donc nu
échange itnque, de lui l'aire acheter, au
prix de sa liberié ^ sa vie, sur laquelle ou
îi'a aucun droit. En ciablissanr h- droit de
vie et de niort sur le droit d'esclavai?.c, et
le droii d'es'lavape sur le droit de vje et
de mort, n*est-il pas clair qu*on tonibo
dans le cercle vicieux'?
En supposant même ce îerriuîe droit de
tout tuer, je dis qu'un esclave iair à U
j^ueire , ou un peuple conquis, n'est unii
à rien du tout envers sua riiairre^ q^i'^
lui obéir autant qu'il y est forcé. En pre-;
nant un équivalent a sa vie, le vainqueur
ne lui en a point i'air ^race : au lieu de le
tuer sans IVuit, il Ta tué utiicmenr. Loin
donc qu'il ait acquis sur lui ni.'lle autorité
joinie à -la i'orce , l'état de guerre subsiste
«ni r'e(jx connue auparavant; lenr relatiou
ineniO en est l'elTet; et rusa<j,e du droit dp
îa gueiTC ne suppose aucun traité de pai^^
i8 BIT CoNTHAT
l's ont fait une convention, soit; mais
cette conveniion, loin de détruire l'état
de guerre, en suppose la continuité.
Ainsi, de quelque sens qu'on envisage
les choses, le droit d'esclave est nui, non-
seulement parce qu'il est illégitime, mais
parte qu'il est absurde et ne signifie rie n.
Ces mots esclavage et droit sont con-
tradictoires; ils s'exclwent mutuellement*
Soit d'un homme à un homme, soit d'un
homme à un peuple , ce discours sera tou-
jours également insensé. Je fais avec toi
une convention toute à ta charge^ et toute à
mon profit y que j'observerai tant qu'il me
plaira y et que tu observeras tant qu'il fng
plaira.
H
CHAPITRE V.
i^u^il faut toujours remonter à uno
première convention*
a A N D j'accorderoîs tout ce que j'ai
réiuté jusqu'ici , les fauteurs du despo-
tisme n'en seroient pas plus avancés. Il
y aura toujours une grande différence
&iiiïù saiiKiettra une tauiûtude et ré^ii'
Social/ 19
une société. Que des hommes épars soient
tuccessivcment asservis à nu seul, eu quel-
que nombre qu'ils puissent être, je ne
vois là qu'un maître et ces esclaves;
je n'y vois point un peuple et son chef:
c'est , si l'on veut , une a^^^régation ,
mais non pas une association; il n'y a
là ni bien public , ni corps politique.
Cet homme eùî^-il asservi la moiûé du
inonde, n'est toujours qu'un parLiculier;
son intérêt, séparé de celui d<^s arJres,
n'est toujours qu'un intérêt privé. Si ce
même homme vient à périr, son empire
après lui , resîe épars et sans liaison ,
comme un chêne se dissout , et touibe
en un tas de cendres , après que le feu
l'a consumé.
Un peuple, dit Grotius,peut se donner
à un roi. Selon Grotius , un peup'e est
donc un peuple avant de se donner à
un roi. Ce don même est, un acte civil;
il suppose une délibérai ion publique.
Avant donc que d'cxanÛRcr Tacîe pî»r
lequel un peuple élit un roi , il serrit
bon d'examiner l'acte par lequel un
peuple est un peuple ; car cet acie érant
nécessairement antérieur a l'autre, est le
vrai fontienient de la société.
En eifet , s'il n'y avoit point dd
^O BU C O N T Tu A T
convention aiiu^rlenie_, où seroif, à moins
<]ue l'élection ne Ifir lirraninie , Tobli-
li^ariou pour 1^* ])eiit ik >u.l>rfî , de r.e
soijîïîe; îre aa choix du gvajul '^ et ii\m
cent .qui veulent un maitre , ont ils un
iirolt de voier pour dix qui r\hn\ VMilent
.poiur'^ra loi de !a pluralité des 8ui*ira<^es
est elle-ioénie un éi'abfisseiTîent. de am^
îveniion, et suppose, au moins une fois,
l'iaianiinil/j.
G H A P I T 11 E VI.
Du Fade social.
J
E suppose les hommes parvenus à ce
point où les obstacles qiii nuisent à leur
jcoijsrrvtnion dans Pérat de nature , rem-
portent , ptTr lenr rési<fanre , sur les
forons que chaque in<ii\îdH peut em-
plnycr ])oi!r se maintfiii! dans <et élal^
^dors cet éîai: piiniilit* T5C peut plus
sal).sjsier ; cl le «enre liinii^iin périroit ,
s'il ne (.Iiarf;coiî S3 ninnièra d'èîre,
Ov , c<.;n.me les hommes ne peuvent
«îH.;ciulrer de nouvelles iorces , i\\<ns
s.Cî.'hnient iniir et diri<;cr celles qui
m'h&-ail.ii 5 ils n'ont plus d'autre Bio^cn
Social. îîi
poiiY se conserver^ vue cie former, ]>ar
^^aî'Cgaîion _, nr.e sounr.e de iVu-ces , (ini
piiisse l'emporier Sîir ia rosisian-ce , de
k'S lîîcrire en jen , par isn seul uicibi'e ^
ei; de les f'iiro i\'dî' ^ie conceir.
Ceîic sciTiîïie (ie lorces \\e veut nù'Y&
q:ic (iu co'îcoîirs de plusieurs; mais la
force (t la liberlé de (haqj-e liomnîe
étnnt les 'preniiej's- insu'un^ens de sa
cr.nserrat.i-ori ^ eoainienl (e.^ eng-raera- t-ii
5?;ins se inïiïe , sans lU'^'iaer le? soi'i<^
qi'il vSC (!'.>'.! { C'jtie (litiicnlrt^ , fri^iienrô'
à ïYion fi'jjer. , ])e;iî: s'ér-onc^er en c e^
îerr.ies :
et ^Prn'îvf^r r:ne fV/rn>'^ ci'-.îs^^ooiarioîi qirî
i) dcUcndo (n protège tle touîe la iorce'
îj conr!)n?ne la ]>f^rson';'e er les î)i<M!S
>j rie ( ! = en')e a«"o:-ie , ei p«r brM'ei'e'
>; }>onr''tm? qu';! iin-inf-nie , o^ res!e arssî
î> iihiT q^'-riin^a M i-niir >). T^-l est îe pro-
l;!è!ec f'Mnd inienr.ïl donî leC'>nrrrï{, social:
tloiiîîe la si:l(i!{on.
J<es ( la:i*^;es tte re e»'^iTfrn! .conî irHe*
re.enl (icWerîViiriées per la i:?a!ni'e de racî'"»;^
qi^e la mcindre lîKuiioeatioo les rendroVi
Tnine*^ er («e n\\\ efter ; ensorre q'ne ,
hxQu r^u\^\\v'^ iràieeiî peiii-eire janiais été
iuriueneaieut énoncées , clies sont pir-
S2 X) u Contrat
tout les mêmes , par- tout tacitement
fidmises et reconnues , jusqu'à ce que
le pacte social étant -violé , chacun rentre
alors dans ses premiers droits, et reprenne
sa liberté na(ureHe,en perdint la liberté
ccnveniionneile pour laquelle ii y re-
îTonca.
Ces danses , ];ien entendues , se ré-
cliîiscîit toutes à une seule; savoir, Palié-
iiation totale de chaque associé , avec
tous ses droits à touie la communauté :
car premièrement , cliacun se donnarrt
tout entier, la condition eî^t égale pour
tous ; et, la condition étant é<4:de poi^
tous , nul n'a juiérêt de la rendre oné-
reuse aux autres.
De plus j raliénation se faisant ssi^sr
réserve, Vunion esi aussi pariaire qu'elle
peut Fètre , et mit associe n'a pins vien à
léclau-.er ; car s'il resroit quelque-, dl'oi^»
<aux particuliers , fouime il n'y a i: roi t au-
cun supérieur comuiun qui pi\t prononcer
euîr'eux et le public, chacun étant ea
quelque point son propre ji'iie , prétcn-
droit bientôt l'être en tous -, i'éiat de na-
ture subsisteroit , et Tassociation devien-
droit nécessairement tyrannique ou vaine.
Eniin , chacun se. donnant à tous ne se
doriue à persomie \ et comme il n'y a pas
s o c T A r..^ 23
tîTi associé sur lequel on n'acquière lc3
îïienie droit qu'on lui cède sur soi ^ on
gagne ^équivalent de tout ce qu'on perd,
et plus de force pour conserver ce
qu'on a.
Si donc on écarte du pacte social ce qui
n'est pas de son essence , on trouvera
qu'il se réduit aux termes suivans : Cha-
cun de nous met en commun sa personne cS
toute sa puissance sous la suprême direction
de la volonté générale ; et nous recevons en
corps chaque membre comme partie indivi"
sible du tout*
A l'instant, au îieu de la personne par-
ticulière de chaque contractant , cet acte
d'association produit un corps moral et
collectif, composé d'autant de membres
que l'assemblée a de voix; lequel jecoÎÊ
de ce même acte son unité, son moi com-
mun , sa vie et sa volonté. Cette ])er-'
somie publique qui se forme par Tu-
Tiion de tous les autres, prenoit autre-
lois le nom de Cité ( i ) , et prend main-
■ I I « I ^1 ■ Il II r . . ..Il I I ■ I . I. . » !
(i) Le vrai sens de ce mot s'est pres-
queenlièrement elïacéchez les modernes t
îa plupart prennent une ville pour une ciré^^
et un bourgeois pour un ciioyen. lis ne
savent pas que les maisons fout ia ville,
©4 î> ^ C O N T îl A T
tennnt celui de république ou de cor/îi
poliiiqi'c , leqnel est appelé par f-es mem-
bres eVi-î , quand i) e3,t passif ; souverain ,
quarui ii est a;crif ; pfnssançe , rn le corn-
])araitt à ses semblables. A Pégaid des
associés^ ils prennent collectivement le
iiom de peuple j, et s'appellent en ])articii-
innis que les ciroyens l'ont bi ciié. Cerfé
iT^vire erreur coûta cher ai:x Carrha<;irioi.S;
Jo n'.ii pas In qi?e !e iiire de CTVJj^S ait
î îmais été diiiîné aux *?\îjers d'im prince ^
îîHsirit'me anciermeuicnr aiix^Vlriccdoniens^
îîi de î*OR io'.irs aiîx Anrî;!ais , quoique pUis
|)rè< delà liberté que tons U\s auir(:^>i. i.es
spîds j'iarK ns prenncnr tous ce nom de
CïTOY]t?fS, parce qu'ils n'cnimr aucîsnéf
v;u'irable idée, couane on peur le vo-ir
clans îcirs du iîonnaires; sans quoi ils tcnt-
lieroieut , en rnsîirpnnt , dans le crirué
«se ièze-majesré. Ce nom , cbez eux, cx-
])rime une vorîJi , er non pas nn droit*
(luf'ud Robin a voub' pt^r'er de nos ciroycr.s
er bôiirceois, il n tait, nne lourde bévue
eu ])re!»anî les uns pour tes autres. M.
d'Alemberr ne s'y est ]>as trompé , et a
bien disiingué . dansson article CrFÎ^^Î EVE,
les quaire (*rdr.'vs d'hi>nime (même cinq^
en V comprenant les «impies étranjzers )
cjui Fonî dans no're ville, et dont <bM?x
seidcmrnt couriMiScnt la ré|>ub!ique. Nul
autio au'eur braTu ais . que je sacb^^, n'^a
eompris le vrai sens du mot CiToyiiN".
Her
s O C ï A tJ 5.5
Frer citoyens^ comme pariicipans à Pau*
toriré souveraine, et 5£/;eij, comme sou-
mis aux loix de Pétau Mais ces termes se*
coni'ondent souvenr, et se prennent Viin.
pour Pautre ; il suffit de les savoir dis*
tir.i^iier quand ils sont employés dans toute
leur précision.
CHAPITRE VIL
Du Souverain^
\J N voit , par cetie foroîiîle , qne Pacte
cVassociation renferme nn eneaL^ement rc-
ciproque du j)ul>Iic avec les particiiUcrs j,
et que chaque individu j ronlractant ^
pour ainsi dire, ^w^c hn-mênie, se trouve'
€r»g«igé sons un double rappor? *, savoir,.
comme mcmÎ3re du souverain envers
les particuliers , et comme merr-bre de
Férat envers le souverain. Taxais en ne
peut appliquer ici îa maxime du drois
civj! y que nul n'ev^t tenu aux eugf^cemens^
pris avec Uii-même ; car il y a bien de la-
dilTérence entre s'obliger envers soi ^
©u envers un tout dont on fai;; parîîe.
5-1 faut remarq^.uer encore que la délii»^
^6 î>U CoKTTtAt
béraiion publique , qui peut obîig^î* tritiS
les siiieîs envers le souverain , à cause
des deux diîïérens rapports sous lesqiielsi
chacun d'eux est envisagé, ne peut , pat*
la raison contraire, obliger le souverain
envers lui-wèxne , et que, par conséquenfj
il est contre la nature du corps politique,
que le souverain s'impose une loi qu'il ne
puisse eîlfVeindre* iS'e y)ouvant se consi^
dérer que sous un seul et même rapport,
il est alors dans le cas d'un particnliei'
contractant avec soi-même; par où. Ton
voit qu'il n'y a ni ne peut y avoir niîiie
esDcce de loi fondamentalo, oblifiatoire
pour ce corps du peuple, pas même le con-
trat social. Ce qui ne signiiie pas que ce
corps ne ]}uisse fort bien s'eng/iger en-
vers autrui, en ce qui ne déroge poiitt
rn ce contrat ; car à i'cgard de l'eîrnngeF,
il devient un être simple, un individu.
Mais ie corps p(;liîïque ou le souverain ,
31 c lirant son être que de la sainteté <\n
contrat, ne peutiainais s'obliger, mem^
envers autrui , à rien qui tlcroge à cet
acte primiîii, comme d\ili«::ner quelque
])ortion de kii-meme , ou de se soumettre
à un autre souverain. Violer Tacte paT
leqsîel il existe , seroit s'anéantir *, et c^
qui n'est rien neproduil lien*
s O C I A L. 1^7
SItôr que tfcitie nvuUituâe esf: ainsi réu-
nie en un corps, on ne peut offenser un
des membres sans attaquer le corps , en-
core nu3ins offenser le corps sans que les
mcnifres sVn ressentent. Ainsi le devoir
ei l'intérêt ohJi^ent également les deux
parlies conlractaïues a s'enlr'aider nui-
tueilemeut, eties moines liommesdoiveut
cf'ercliera réunir suus ce double rapport
tous les avantages qai en dépendent.
Or, le souverain n'étant formé que des
particuliers qui le composent , n'a ni ne
peut avoir d'intérêt contraire au leur;
par conséquent la puissance souveraine
n'a nul besoin de garant envers les
sujets, parce qu'il est impossible que le
corps veuille nuire à tous ses membres;
et nous verrons ci-aprôs qu'il ne peuE
nuire à aucun en pariicuiier. Le sou\e-
rain , par cela seul qu'il est, est toujours
tout ce qu'il doit être.
Mais il n'en est pas ainsi des su je: s
envtrs le souverain , auquel , mai^riS
liniérét conjmun , rien ne répondioit
de leurs enga^ijemens , îj'il ne trou voit
des moyens de s'assurer de leur fidélité.
Eu effet , chaque individu peur,couimô
jioinme , avoir une volonté particulièia
j^.Qftlraiie uh dissemblable ù la voloul^it
Ïâ8 DU C O ÎT T ïl A ^
générale qu'il a comme cifoyen. Soii
intérêt particulier peut lui parier tout
aiitrenient que 1 intérêt connnun ; soit
^exkster.ce absolue , et narnrellement in-
dépendante , peut lui faire envisager ce
qu'il doit à !a cause commune comme
une contribution gratuite^ dont la perte
«era moins nuisible aux autres , que le
paiement n'en est onéreux pour lui , et
Tegardant la personne morale qui cons-
fitue î'érat coinme un être de raison ,
parce que ce n'est pas un homme ^ il
jouiroit des droits du citoyen sans
w^ouîoir remplir les devoirs du sujet ;
injustice dont le progrés causeroit la
ruine du corps politique.
Aiin donc que le pacte social ne
soit pas un vain formulaire, il renferme
tacirement cet engagement , qui seul
peut donner de la force aux autres ,' que
quiconque refusera d'obéir à la volonté
générale , y seia contraint par tout le
corps ; ce qui ne signiEe autre chose ,
$inon qu'on le forcera d'être libre : cac
telle est la condition qui donnant chaque
<:itoyen à la pairie, le garantit de toutô
dépendance personnelle ; condition qui
fiiit i'arrilice et le jeu de la machine
ûque j jgt qui seule rend légitiingi
Social.
les cnoa.oeiiiens civils , les-iuels, sans cela,
seroient absurdes , ryraniiit|u€S , et sujets
-aux plus énormes abus.
- ■ — - ---*- — — - ■ - - - "
CHAPITRE Y m.
JD^ r Etai civil.
c
E passai^e 4e réîat, de nature à Tétat
ci\il , pcaduit dans Thomnie \\i\ change-
Tn^nr très-remarqnabie , en substituant
dans sa conduite la justice à l'insîinct ^
'^t donnant à ses actions la moralité qui
leur m.uiquoit auparavant. C'est alors
seulement que la voix du devoir succédant
à l'impulsion physique , et le droit a
i-appétit , i homme qin jusqacs-ià n'avoic
rei^ard'é <jue iui-nième , se Toit forcé
ilnt^ù' sur d'autres principes, et de con-
sulur sa raison avant d'écouier ses pen»
<;hans. Quoiqu'il s<j prive dans cet élat
de plusieurs avantages qu'il lient de la
nature , il en regagne de si grands î ses-
facultés s'exercent et se déveioppent ,
ses iiiées s'étendent , ses sentimeus
s'ennoblissent , son ame toute entière
je'élève à tel pciftt , que si les abus ds
3ô î) XJ C O N T R A T
celte nouvelle coîulitioîî ne le ciepradoicrit
€oiiv(ïsr. au-ilessoiiS de celle clone ii est
scitî , il dcvroit bénir sdïis cesse l'instanS
[leurenx qui l'en arrnclja pour jamais , et
Cfui, dUiv nniiiial sinpitle et Ijorné ^ lit uu
eue inul iji.eiit et un iiomme,
P.èciiiisuus tonfe cette balance k des
ternies i'aci!ç5î à ct mpaiei. C!j.c[i[e l'Iiomaïc
perd par le contiat sccial , c'est sa liberlé
:|iatureiîe et un droit alurnité a lout cç
qui le \enie et qu^ii peut aiieindre *, ce
tju'ii ga^ne , c'est la hberié civile et la
propncre de roiu ce (|ii'ii |>(>ssède. Four
re pas se rroniper dans ces tompensa ions^
ii tant bien disîingier ia liberré naturelle,-
tj;;i ii\\ your bornes que les iorces oe
ViruiivRiu , iie la iiberlé civile, qui est
liiiiirce par la iil.oné i^eiicraie ; et la
possession , «|iii n'est qj e i'eiiet de U
lor( e <.'iî !e iiitiU ùii preînier c>(:<jnpanr,
de la piopr'fcué , qui ne peut êtie ioîulce
qî<e sur v.n iiîie posinf,
(3 I pouirirJ>sur ce qui précède, a;oii: (f^
|i Tacquif ac i'c^îar civil Ui lii^erre nioi-aie,
qui s«'u'e rc îui rHît/niniC vrai'îieni iiiaitio
i.e lui , car l'inipuision du seui appétit
est i'esi Iav.ij<e . et TvibeisôSi^ce a fa ici
qu'on s'c:5î pri'scrite esi liberté, i^'iais ]é-
]^*ei4 id ùeia que trc-p dit &.UX n'vî Si^i'îicl-ç »
s o c r A t^ 3r
et le sens puilusophique du mot liberté
u'e^jt pas ici de liiou sujet.
C H A P I T R E I X.
jDu Domaine réel.
C
H A Q u E membre de la communauté s©
donne a eiie un moment qu^elte se forme y
tel qu'il se trouve aclueliemenr, lui et
tomes ses i'orces, dont les biens quM poS'
scde iont partie. Ce n'est pv^s que, par C( t
acie^ la possession change de natnre en
changeant de mains , etdevienne propriété
dans celle du souverain; mais comme les
forces tie la ciié sont incomparablemenc
pins grandes que celles d'un particulier,
ia possessiov publi(|iîe est ans.si dans le fait
plus i'orre ei. plus irrévocab-e, sans è.VcQ
plus lc<zi!iiiie, au moins pour les cnanpers :•
car i'éiar, a l\'^ard de ses mcndjres, esc
laaitie tie rons lenrs biens ^^ar le contrai:
social, (^iiijd.Uis l'ctai, sei'l de base a toas
les droiis ;. ►mais il ne Testa l'égard des
ÇLUîJes p5iLSS;-i u{x'S fjiie par le dridr de pn*-
|ider ucci!p-int (pi'il tient des particalie!* ,
X-'c dvolL vîe »i)ieinier occupant j (laoiquc
32 DU C O ÎT T K A T
plus réel que celui du plûs fort ^ ne devietit
un vrai droit qu'après l'établi ssenieiu de
celui de propriété. Tout homme a naturel-
lement droit à tout ce qui lui esE nécessai-
re j mais Pacte positif qui le rend proprié-
taire de quelque bien , l'exclut de tout le
resrc. Sa ]>art étant faite, il doit s'y borner,
et n'a plus «ucnu droit à la comuiiKiaut 3.
Voilà pouquoi le droit de premier occu-
pant, si loible dans i'érat île nature^ est
respectable à lout boniiue civil. On res-
pecte moins dans ce droit ce qui est autrui ^
qrie ce qui n'est, p.is à soi.
£n général, pour autoriser sur un ter-
rein quelconque îe droit de premier occu-
pant, il faut les conditions suivantes. Pre-
înièreuicnt, que ce lerroin ne soit eucOie
habité par personne; secondement, qu'on
n'en occupe que la quantité dont on a be-
soin pour subsister -, en troisième lieu ,
qu'on en prenne possession, non par une
vaine cérémonie, mais par le travail et la
culture , seul signe de propriété, qui, au
défaut de titres juridiques, doive être res-
pecté d'autrui.
En cfier, accorder au besoin et au tra-
YiJÏi le droit (ie premier occupant, n'est-ce
pas l'étendre aussi loin qu'il peut aller I
Fcut-on ne pas donner de^ bornes à c^
*S O C I A 'L. 3l»'
.'^féit'? SunirA-t-H lie mettre le \r.Qd sur un
îerreiii coiumun j pour s'en prête mire aussi-
tôt le maître ; Snf'/ira-t-il d'avoir la force
--d^en écarîer un mcmeni les autres ho ni*-
mes, pour leur ôier le droit d'y jamai«
revenir! Comai^îU un liomiRe ou un j-ea-
ple peut-il s'emparer d\in. territoire im-
ïnense et en priver tout le genre huRjaia
auivement que par une usurpation punis-
sable, puisqu'ôllâ ôte au resie des lioai-
.jfues le séjour et 1^8 alimcns que la nature
leur donne en commun 1 Quand ^i usiez
^l^albao prenoitsur le rivage possession de
la mer du sud et 4e toute l'Amérique mé-
ridionale, an nom de la couronne de
■Çasiille , étoit-ce assez pour en dépossé-
der tous les lisibitanset en exclure tous
les princes du monde? Sur ce pied^In. , ces
cérémonies se multipiioient assez vaine-
înent, et le roi catholique n'avoit tout
4Ïan coup qu'à prendre de $on cabinet
possession de tout Punivers^ sauf à re-
:t:ranciicr ensuite de son empire ce quî
<;toit auparavant possédé par les autres
i princes.
On conçoit comment les terres des par-
ticuliers réunies et ccntigiiës deviennent
i^ lerrlioir.fi public.; .codaient Le droit ds
34 DU Contrat
{SOiiveraineié s'éîendanr des sujets au ter«-
leiii fju'ils occupent, Uevieut à ia-iois it^l
et persoiiurij ce qui. met les possesseurs
dans une plus grande déj^endaucc, et iait
ile leurs forces niêiiie les garans de leur
iidélité. Avantage qui ne paroit pas av^(âr
ëré bien senrj des an( ieus monarqurs,
çjui, ne s'appeisnt que rois des Perses,
des Scythes, des jViacédoniens, sem-
l)loient se regarder coin nie les chels ties
iK^ajines, plutôt que cofàiriie les niuitres du
pays. Ceux d'aujoifrdiiîji s'appellent plus
liabilement r(>j.s de France, i?Espat*ne.j
d'An^leierjc , erc. En (enanr ainsi le ler^
rein, ils sont bien sûrs çVesi tenir les lia--
bilans»
Ce qu'il y a de {singulier dans cette alié-
na rion , c'est que, loin qu'en accepianr le,s
biens tles pariiciilicrs, la conununauré les»
en dépouille, elle ne iàit que leur en as-
$urer la lé^iiime possçssioîi, chanrer [\i^
surpaîion en un véritable droit, et la
jouissance en propriété. Alors les posses*
seurs étant considérés connue déposiial-
les du bien public, leurs droits étant ieS*
pectés ilû TOUS les nieaibres de l'état, et
inaintenus de foutes les forces contre l'é-
tranger, p;ir une cession avantageuse au
public j Gt pius euco^-e à. eux-mêmeâ ^ il^
t^ O C î Â te S5
iftYi^ , ponr ninsi dire, acquis îOîtî ce qii'ifsi
t>ni donné. Paradoxe qui s'e\{)liq!ië f»isé-
r.;enr ppr la distinction des droits qne le»
souverain er ie propriétaire ont sur 1^
ir.eine fond , roîiune on verra ci après.
Il peut arriver aussi que les hommes
r(nnîue7«ranî à s'uîiir avant que de rien
posséder, pi: que s^emparani ensuire d'uri
îerrein Ruftisi-^nt pour tous , i's en jouissent
en coiîsn^i'.u y ou qu'ils le partagent enrré
eux, s<'>it éoa'emenr , soit seion les pro^
^iorrions éiahlies par le ponverain. De
qiTeîqiu* manière qiie se fasse cerre acnu.i-
rîtîon, !e droit que cliaquv^, ])arfjcniier
a Sîir son propre* Fonds, €!sr toujours subor-
donné au droit que la ccjurnunauré a sur
tQus; ^sàns■ quoi, il n'y auroit ni Solidité
dans îf* îieii social, ni l'oree réelle dans
Tcxercice de la souveraineté.
Je terminerai ce cl^apitréer ce llvr.^nar
ime rémarque qui doit servir de base à
to'it le svsrèmc social -, c'esi qu'au lieu de
€!''rruire l\\c;aViré nature!!^, le pacîe l'on-
tiamenîal substitue au contraire Tme épa-
lire moiaie et ]égirin>e, à ce que la na^
ture avoir ]){\ mer ire d'inégalire phvsiqiie
entre les hommes; et (\ue ^ pô'ivant éîrig
inégaux euiorce ou eu génie, ils deviens
^6 Ti V C O' K T U" A- T-
■n&ut tous égaus par conreniioii et d^'
(droit, (i)
(i) Sous les nmuvafs goi^verncmeiis y..-
cette égalitén'est qu'apparente eî iilusoire^
el e re sert qu'à mainienir le pauvre dans
sa misère, et le ri*' Ueilrins s<J\ii usnrpaîioiu-
I')ansle[Air , les luix sont toujcrirs uîilesv
à ceux qui posscc«^Kt, et nuisent à ceux
qui r.'oîîl rien ; d'bu il sui! qvie 'i*éfaî sociai'I
K'ost arantagcr^fc anx l»OiJiuii*s qu'aiitang
q il 'ils ont roiis quel que chose ^. et qu'auci
a'èiLx n'a rien de trop.
Fin du premier L iwe^
Eî^aff
Social.
H.
rf'-sL :TjetxxiÊamsjetxinm'.i*sit%^^jyasu9KîixoijmwtsmuLvm^
LIVRE I î
ksmsî:::^^^s^&:30sM;^^!mi?s^m^wisssasSk
CHAPITRE PS.E M I E îi^i
Que la Souveraineté est iiialidnahleA
jL/A prcir.ière et la plus importante con*
•séquence des principes ci-devant, établis ,>
est que Livo'ionié générale peut seule di-
riger les forces de l'état , ^clm îâ îin de
son insii[nri« Tî , qui est le bien comiimn ^
car, si Popposiîiou des inrérérs p-uTicu--
lîc.rs a rcîuiii nécessaire réiablissen)esa2
des sociétés, t'est i'accord de ces ni^hnes
întcrèrs qui l'a rcnd!i possible. C'est ce
qa'il y a de cooiiniin dans ces ditfércns
intérêts, qui fornse le lien social ; et,
s'il n'y avoit pasqr.elque point dans lequel^
tons les intérêts s'accordent , nui'c société*
ne sauroit exister. Or c'est iini.:y,îemeni£
S!irce;intcrêtcommun, que la société doit
être gouvernée.
Je dis donc qne la soiiveraineré n'étant:
ijue l'exercice delà volonté g^'\néraîe ne
peutjaujaîïi s'aliéner ; et que le souverain^
S8 B TJ C O N T H A T
qui n'est qii'uii être collectif, ne peut être
représenté que par lui-môine', le pouvoir
peut bien se transmettre , mais non pas
la volonté.
En efiet, s^il n'^est pas possible qu'une
"volonlîé particulière s'accorde , sur quel-
qtie point, avec la volonté générale ^ i!:
€st impossible au moins que cet accord
soit durable et constant *, car la volonté
particulière tend, par sa nature , auxpré-
i^érences et à la volonté générale k l'éga-
lité. Il est plus impossible encore qu'on
lîit un garant de cet accord , quand même
5! devroît lOujOurs exister ; ce ne seroic
pas un effet de Fart , mais du hasard. Le
souverain peut bien dire : je veux actuel-
lemen; ce que veut un ici liomme^ ou du
jnoins ce qu'il dît vouloir; mais il ne peut
jms dire; ce que cet homme voudra de*
jîiain , je le voiuirp.i encore, puisqu'il esS
absurde que la volouié se donne des chaî-
?ics pour l'avenir , et pnir.qu'il ne dépend
d'auriine volonté de consentir à rien de
contraire au bien de l'être qui veut. Si
iloncle peuple ]>ron)er simplement d'obéir,
il se dissout par cet acte; il perd sa qua=*
lîté de peuplera l'instant qu'il y a ui^
îi'iaîîre , il n'y a plus de souverain , et dè»^
lois, le corps politique est déiruiu
s O C T A !.♦ 39
Ce n'est point à dire que les ordres des
teîiefs ne puissent passer pour des volonté»
générales, tant que le souverain , libre
de s'y opposer , ne le fait pas. En pareil
cas, dttsiî-^nce universel, on doit 'résu-
mer leconseiuernenr du peuple. Ceci s^ex-
pliqueia plus a»i long.
CHAPITRE II.
Que la Souveraineté est indlvisihîe»
AR la même raison que la souveraineté
est inaliénable, elle est indivisible. Car
ia volonté est «générale (1) , ou elle ne l'est
pas \ ellt" est du corps Ou peuple _, ou seu-
lement dUine partie. Dans le premier cas,
cette volonté déclarée est un acte de sou-
Teraineié et fait loi : dans le second, c®
ji'esj: qu'nne volonté particulière , ou un
acte de magistrature \ c'est nn décret tout
au plus.
(1) Pour qu'une volonté soit p;énéraîe ^
il n'est pas toujours nécessaire qu'elle soit
unanime; mais il est nécessaire que toutes
les voix soient comptées; toute exclusiûia
l^rnacUe rompt la généralité.
Ça
4o DU Contrat
Mais no» politique» ne pouvant dirîser
la souveraineté dans son principe , la divi-
sent eu force et en volonté , en puissance
législative et en pnisvSance executive y en
droit d'impôts , de justice et de guerre,
en administration intérieure et en pouvoir
de traiter avec l'étranger: tantôt ils con-
fondent toutes ces parties, et tantôt ils
les séparent : ils font dn souverain un être
fantastique et formé de pièces rapportées;
c'est comme s'ils com])osoient l'Iiommede
plusieurs corps , dont l'un auroit des yeux,
Tautre ties bras » l'autre des pieds -, et riea
de ])!us. Les charlaians du Japon dépe*
cent , (lit-on, un enlknt aux yeux des
«pecrateurs; puis jetant en l'air tous ses
mem!)res l'un après Tautre, ils fout re-
tomber l'enfant vivant et tout rassemblé^
Tels sont à-peu-près les tours de aobeleri
de nos politiques ; aprt's avoir démembré
le corps social par un presîir^e digne delà
foire , ils rassemblent les pièces et on ne
sait comment.
Cette erreur vient de ne sVtrc pas laît
des notions exactes de l'autorité souve-
raine , et d'avoir pris pour des parties de
cette autorité ce qui n'en éroît (ine des
émanat'ons. Ainsi , par exemple, on a re-
gardé l'acte de déclarer la guerre^ et celui
Social. 4*
lie faire la paix comme des actes de sou-
Teraineté , ce qui n'es,t>as, puisque cha-
cun de ces acles n'est point une loi , mais
seuifment une application de la loi, un
acte particulier qui déterniire l*^ ^ as de la
loi , comme on le verra clairemenr quand
l'idée attachée au mot loi sera fixée.
En suivant de même les autres divi-
sions , en trouveroit que toutes les fois
qu'on croit Toir la souveraineté partagée ,
on se trompe ; que les droits que Von
prend pour des parties de cette souveraineté
lui sont tous subordonnés, et supposent
toujours des volontés suprêmes dont ces
droits ne donnent que ^exécution.
Ou ne sauroit dire combien ce défaut
d^-rîxactitude a ieté d'obscurité sur les dé-
cisions des auteurs en matière de droit po-
litique , qrrud ils ont voulu juger des
droits respectifs des rois et des peuples y
sur les principes qu'ils a voient établis.
Chacun peut voir dans les chapitres III et
IV du premier livre deGrotius, comment
ce savant homme et son traducteur Ear-
bevrac s'enchevrêtent , s'embarrassent
cir.ns leurs* scphism.es, crainte d'en dire
trop ou de n'en pas dire assez, selon leurs
Yi:es, et de choquer les intérêts qu'il»
avoieut à concilier. Grotius réfugié en
C S
4^3 DU ContuaT
France , mécontent de sa parrie , et vou^
îant faire sa courk Louis XIIÎ, à qui son
livre esr déuié , n'épar«,ne rien pour dé-
potîiller les pennies de tous leurs droits ^
et pour en revêtir les rois avec tout l'art
possible. C'eût ])ien été aussi du «oût de
Barbeyrac, qui dédioit sa traduction aix
roi d'Angleterre <Teorges I. Mais malheu-
reusenu nt Pexj)ulsion de Jacques Li , qu'il
appel ( abdiraîiou , le foiçoic k se tenir
«ui la réserve, a gauchir^ à tergiverser ^
pour ne pas faire de Guillaume un usur-
pateur. Si ces deux écrivains a voient adop-
té les vrais principes , roui<^s les dirhcul-
tés éioient levées , ei i '3 eu>^senf été tou-
jours conséquens ; mais ils auroient tris-
tement dit la vérité . et n'auroien^ laic
leur cour t^uau pejHde. Or la vérité ne
înène point à la fortune , ei le peuple ne
donne ni embassades, ni chaires , ni peu-
«ions.
«■m
CHAPITRE III.
Si la ■volonté générale peut errer*
J.L s'ensîiit de ce qui précède, que îa
t^pluiiié générale est toujours droite et
s O C t A 1.'
ièncl toujours à l'utilité publique î mais ii
ne s'ensuit pas que les délibévatiotîs du
peupiô aient toujours la mênaf^ reciitude.
On veut toujours son bien , mais on ne le
voir pas toujours : jamais on ne corrompt
le peuple j mais souvent on le tî^ompe ; et
c'est alors seulement qu'il paroît vouloir
ce qui est mal.
Il y a souverU- bien de la différence en-,
tfe la volonié de tous et la volonté gêné*
raie; celie-ci ne regarde qu'a l'intérêt
commun : l'auîre regarde à l'iutérêl privén
ei n'est qu'une somme de volontés parti-
ciili'res : mais ôiez de ces mêmes volorités
îes plus et les ynoins qui s'entre- détrui-.
cent (i)^ reste pour somme des diffé"^
l'cnces la volonté générale.
Si, quand le peuple, suflisamment in-i
(r) « Chaque intérêt, dit le M. d'A»^
»> a des principes diftéiens. L'accord da
9> deux iiitérèls particuliers se forme pafi
» opposition à celui du liers ». Il eut pit
ajouter que l'aceord de îous les intérêts fs&i
iorm.e par ouposirion a cehn de ciiacuri^
S'il n'y avoit poiut d'iruérèts différens ^'
à peine sc^'^itiroit-on i'^ntérêt commun q^î
ne tiouvércit jamais d'obstacle: loutiroiC
de lui-même, é't la politique cesseroit d'êtraf
uu ^rt«
44 BU CoNTUAT
formé , délibère , les ciîoveiis ii'avoienr fl«- ]
cuKe coîDiiiiiniraiioii entr'eux, dn ^'and
nombre de petites ditierences resnheroit
îoîiioiiis î«i voloîiré générale , er la déiibé-
xation seron loi: jours bonne. A: ai s qnand
51 se fait des bij^iies, des associations par-
tielles aiTx dépens de la grande , la volon-
té d^.' chacune de ces associations devient
j^énérale par rapport à sfs membres, et
paiticuîière par rap;;or{ à l'état; on peut
ilire alors qu'il n'v a r)U:s aurant de votans
qne d'hommes, mais seuIcTTienî autant que
«l'associations : les diiïércnces deviennent
moins nombreuses , et donnent un résuhat
aroJns géi'éral. Enfin , (j:mnd une de ces
osiociations est si ^/-ande qu^elte remporte
sur ^.»u,»s les autres ^ vouf n'avez p'us
pour résultat m\e somme de petites diii'é-
jences, mais ure d^îTéren^fe unique; alors
31 n y a vn:"> «'e vo'on?^ ci^enerale* et
I'.
avi&
^lîi rrrr^pcne nV\Sj qa'uii avis particulier,
,. il înipone oonc , pour avoir bien l'é*
nonce de !a volonté «énérale^ qu'il n'y ait
.|.ii.s de société pr^rtiel'e dans i'etat, et que
chaque riroyon nV>pinô que dVq)rès lui
( 1 ). Amélie fut Punique et sublime insîi-
( 1 ) « \ cra cosa e (dit Machiavel.)
«;he aicune divisioîii naucono aile Hc|)3i-
s o c I A r. ^5
tiîîîon cîii grand Lycuvii^ne, Que s'il y a
des sociétés partielles^ il en faut multi-
piier le nombre er en prévenir rinéiialiré,
conntic firent Scion , JN'^iiiTia , Servius. Ces
jnécauiioiis sont les s^uiles lionnes pour
qnc la voîonté générale soit toujours ëclai*
réc , et que îe peuple ne se trompe point.
<» . -S [:»» mm^T rasasn'sem'^'i
CHAPITRE IV.
JDes bornes du Pouvoir souverain.
S
I Pétat ou la cité n'est qu'une personne
morale, dont la vie consiste dans l'union
de ses inendjres, et si le plus important de
se»; soins est celui de sa propre conserva-
tien , il lui faut une force ui^verselle et
compulsive pour mouvoir et disposer clia-
<|ue parlie delà manière la plus convena*
bip nu tout. Comme la nature donno à cUa-
î>liche , e alcune giovano ; queîîf» nuocono
che sono d'allc setfe eda psrtiiiiani accom-
pn^^nnte : quelle p^iovr.no , che sen/a seîie,
reir/a pnrli^iani si manieu^ono. IS'on po-
tencio adrnrj/jr pvoveu'ere un fundaîore
ji'una Hepifbh'ca ( lie non sifino inimiciîie
in qcel'e,, h à é'^ provcder al mené ehe
pon viasiano settc ». Hist. Florent. L. VU»
C 5
46 BTT CoNTHAT
que homme un pouvoir absolu sur tous ses
nienibies , le pacre social donne au corps
politique un pouvoir absolu sur tous les
siens; et c'est ce même pouvoir j qui;, lii-
rit^ë par la yobnté générale, porte , comme
î'ai dit, le nom de souveraineté.
Mais, outre la personne publique, nous
avons à considérer les personnes privées
qui ia coujposent, eî. dont la vie et la li-
berté sont naturellement indépendantes
d'elles. I] s'a<j;it donc de bien distinguer
îes droits rospecrirs des citoyens et du
fiouverain (i), et les devoirs qu'ont à
remplir les premiers en qualité de sujets,
du droit naturel dont ils doivent jouir ea
qualité d'hommes.
Ou convient que tout ce que chacun
aliène par le pacte social de sa puissance,
de ses biens , de sa liberté , c'est seule-
ment la partie de tout cela dont l'usage
importe à la communauté; mais il faut
convenir aussi que 4e souverain seul est
Juge de cette importance.
Tous les services qu'un citoyen peut
( 1 ) Lecteujs attentifs , ne vous presses
. pas , je vous prie , de m'accuser ici de con-
^^tradiction-.je n'ai pu.l'éviter dans le.-î îermo.?^
*tii la pauvreté de ialangue j mais attendez,.
rentîre à Pcfax, il les liiL4oit sitôt que I9
souverain les demande*, mais le souverâi|t
de son côté ne peuc charger les sujet»
d'aucune chaîne inutile à la communauté^'
i! ne pei^t pas m<^uie le vouloir : car sous
la loi de raisou, rien ne se fait sans cause^,;
Jîon plus que sous lii ici de nature.
Xes ea|jap^enieîis qui nau3 lient au corps
isqciaLne aoiÀt ol>li|.»^aiojres que parce qu'ils
s an r,, mutuels ^. et leur n«ture est tejle ^
qu/erijôs rejiiy) lissant j.oîi ne peut travailler
poiîi; c^^rui saiis tra/vaiiler aussi pour soi»
Pourquoi , la voî«pflté générale est -elle
touioœrs,droite,ei pourquoi tous veulent-ils
constamiuent ie boniieur de chacun d'eux ^
,^i ce. n'est parce qu'il, n'y a personne qui
31e s'approprie ce mût chacun ^ et qui ne^
,.son|^e ^ iuiTmème en yoîant pour tous 1
.Ce qui prouve que l'égalité de droit et îa
notion de jusiice qu'elle produir , dérivent
de la préférence qu^^chacuii se donne, et
par conséquent de la nature de l'ho'mmef.
que la yolonîé s^énérale , pour être vra^-
înent telle , doit Fèîre dans son objet >
ainsi que dans son essence ; qu'elle doi&
partir de tous pour s'appliquer à tous, et
qu'elle perd sa rectitude naturelle, lors-
qu'elle tend à quelque objet individuel ^i
déterminé , parce qu'alors jugeant d^ Q^'
15 tr C ON T R A
qui nous esî: él ranger, îioiis n'avons niicalî
•*i^rai prim rpe €i^é<|i;ité qui nous guide.
En' «-"fïct , siîof qii'/l s'agit d^un fiiir o^î
!ci'i,iî droit parritél>er, vSur !în point qui n'a
|>as été ré^fé par une convention ^ènér«lè
ér intérieure, l'iiilaire tlevienr contt-nîieuse.
<j-est un procès ouïes par^ ietiiiers îhtéresséîs
sont nne des parties , et ie public Paulre ^
mais cù je né vois ni îa ici q;i'il ta lit
suivre V ti^ le jiig'ci qui doit prononcer,
11 seroit ridicule (ie vouloir aKrs s en
lapporter a i;n: espi esse décision de ia
Tolcnlé géré. au; , qui ne })ent ét?e q^e ?a
•conclnsio7"« de P'ïhe'-cres parties, et qui |;aF
<:onséq!:ent n'es! 'pour l'autre qu'une vid-
îoîiîé éîrangèrc , pèn'ieulière, portée eh
ceue C4vasion a l^in-jp.stice er sujette è
■^î'erreur. / ili^i d-e 'Vùème qn^ure vOlonré:
parrit:ulièi'e ne pei'.îrepVéseuier le voi»>nré
générale, la volouré générale , a son îour,
ciiar'ge de riattire /iyant tr objet parti-
cviUer ^ e»^ ne peut j cowme générale , pro-
'poncer ni sur un h(;innje ni sur un iait.
f^uau4.^ ie peuple d'Aiîiènes, par exeirVple^
laom^iioiî on cassoi t ses chf is , déc <^'rn'oi t
des iionneurs a i'un , impo*îoit <les poines à
î^1Uile, et par des nmlfiîiules de décrets
\rrti( i^licis^ exercûit indistinctement :ous
Jfi^ac.csdu «gouvernement j le peuple alors
s o c î A t.* 49
n'a voit plus (le volonté générale propre-
rnenr dite ; il n'agissoir plus comme so^ive-
rain , mais comme magistrat. Ceci pavcîtra
contraire aux idées communes , mois il laiit
nie laisser le tems d'exposer les miennes.
On doit concevoir par-ià y que ce qui 5^é-
néralise la Tolonté , .est moins le nombre
des voix,querintérôt cornmiin qui les unit :
car dan.s une institution , chacun se soumet
nécesvsairement aux coi aillions qu'il impose
auxa'utrcs ; accord admirable tîe l'intérêi. et
de la justice , qui donne aux dciibéraîioiiS
comuiuncs un caractère d'équité qu'on voit
évanouir dans la discussion de roiue alTairo
particulière , t'auié d'un intérêt com.mun
qui unisse et idtûtilie la lè^It: A\i j^'^^
avec celle de la partie.
Par quelque coié qu'eu reaionle au
principe , on arrive toujours à ia même
.conclusion *, savoir , q\\x^ le pacîe social
éia!)lit entre les cit03ens une ieiie égalité ^
qu'ils s'engagent tous sous l*^^ mêmes
condiLÏons , et doivent jouir tous des
mêmes droils. Ainsi , par la nature du
pacte, tout acte de souveraineié ^ c'est-à-
dire , tout acte authentique de la volonté
j>énei*ale , oblige ou favorise également
tous \ç,^ citoyens, cnsorte que ie souve-
jain ccnnoît 6euleineut ie corps de la na-
Î3ÎJ CoîTTI^A'y
tion , et ne distingue aucun de ceux qiiâ
la composent. Qu'est-ce donc proprement
qu'un acte de souveraineté ? Ce n'est pas
une convention du supérieur avec l'infé-
rieur , maisun^ convention du corps avec
chacun de ses membres : convention légi-
time , parce qu'elle a pour base le Contrat
social ; éqvdtable parce qu'elle est com-
mune à tous *, uîile , parce qu'elle ne peut
avoir d'autre objet que le bien général ;
et solj.de , parce qu'elle a pour i^arant la
force publique et le pouvoir suprême'.
Tant que les sujets ne sont soumis qu'à
de telles conventions , ils n'obéissent à
personne , mais seulement à leur propre
volonté; et demander jusqu'où s'étendent
les droits respectifs du souverain et des
citoyens, c'est demander jusqu'à quel
point ceux-ci peuvent s'engager avec eus-
mémes , chacun envers tous _, et tous eiî:«
Ters chacun d'eux.
On voit par-là que le pouvoir souverain ,
tout absolu, tout sacré ^ tout inviolable
qu'il est, ne passe ni ne peut passer les
l)ornes des conventions générales, et que
tout homme peut disposer pieinement de
ce qui lui a été laissé de ses biens et de sa
liberté par ces conventions; de sortequeî©
souveraki n'est iaioais en di'oii de eiiarg^
s o r T A t. 5l
tit! 5îî}]ef pins qu'nn autre^ parce qu'alors,
Taffaire deveDant particulière, son pou-
Toir iî*est plus compétent.
Cesfiiisiinctioiis une ibis admises, il est
si faux que dans le Contrat social il y ait
»de iapart tles parîieuliers, aucune reuorà-
ciaîion véritable, que leur situation , par
l'cfiee de ce Contrat , se trouve réeiiement
préférable à ce qu'elle éioit auparavant;
^ii'aa lieu d'une aliénation, ils n'ont Tait
qu'un échange avantageux d'une manière
iocerraine et précaire conîre une autre
meiïletîre et plus sûre, de l'indépendance
naiureîle contre la liberté, du pouvoir de
nuire à autrui contre leur propre sûreté ,
et de leur force que d'autres pou voient
surmonter contre un droit que l'union so-
ciiùe rend invincible. Leur vie môme qu'ils
oni dévouée à l'élat., en est continuellement
protégée ; et lorsqu'ils l'exposent pour sa
défense, que font>ils alors, que hii rendre
ce qu'ils ont reçu de îui? Que font- ils
qu'ils ne fissent plus iréqu€mment ei avec
piiis tle dani^cr dans l'état de nature , lors-
que livrant des combats inévitables, ils
4éi'endole'nt, au péril de leur vie, ce qui
eur sert à la conserver ? Tous ont à com-
battre au besoin pour la patrie, il est vrai,
faaiî aussi nul n'a jamais à combattre ppusr
5a BU CoîfTRAT
soi. Ne i^a|>ne-t-ou pa-> r^ncore à courir î"
pour ce qLîi hAi noire sûreté, une partie
des risques qu'il fandrojt courir |)Our nous-
mêmes sitôt qu'elle nous scroit otée'^
CHAPITRE V.
JJu droit de vie et de inorÈ»
\_x N demande comment les particalicrj
ii^aj'aui puint droit de disposer de leur pro-
pre Tie, penv€.25t îransineUre au souveraiit
c:e meine droii qn'iîs n'ont ])as \ Celte ques*
lion ne paroît dit'ilcile k résoudre que parce
qu'elle est niai posée» Tout honnine a droit
deris:juersa p;'opre vie pour la conserver.
A-l-on jauiais dit que cehâ qui se jette par
une ier.êtrc pour échapper à un incendie
soit coupable de suicide ? A ton môme
jamais imputé ce crime à celui qui périî:
daîis une tcmpâte dont, en s'embarquant^
il n'ignore pas Je dang€?r^
Le traité sorial a pour lin la consevratioii
des contractans. Qui veut la fin , vent auss^
\ç.2< moyens, et ce<; moyens sont insépara-..
blés de quelques risques , même de quel-
ques perres. Qui veut conserver sa vie auiç
dépens ù.^% autres, doit la donner aua&i
s O C T A £. 53
pour eux quand il faut. Or, le citoyen
nVst plus jn^e du péril auquel la loi vent
qn*jl s^expose ; et quand le prhue lui a
dit: il est expédienià l'éiat que tuiueures,
il doit mourir, puisque ce n'est qu'a cette
condition qii'ila vécuensûreté jusqu^ilors,
et qjie sa vie nest plus seultiiient un bien-
fait de la nature j mais un don condition-
nel de l*état.
La j)eine de mort infli^iée aux criminels
peut être envisagée à- peu-près sous le
même point de vue : c'est pour n'être pas
-la victime d*un assassin que l'on consent
à mourir , si on le devient. Dans ce traité,
loin de disposer de sa propî*e vie, on ne
songe qu'à la garantir, et il n'egt pas à
présumer qu'un des coutracians prémédite
alors de se faire pendre. «
D'ailleurs , tout mallkiteur attaquant le
droit social, devient ] ar ses forfaits rebelle
et traître à sa patrie *, il cesse d'être
menihre en violant ses loix, et même il lui
fait la guerre. Alors la conservation ila
l'état est incompatible avec la sienne; il
faut qu'iîU des deux périsse; et quand on.
fait périr le coupable, c'est moins comme
citoyen que ^omme ennemi. Les procé»
dures, le jugement, sont les preuves de
4a déclaration qu'il a rompu le traité social,^
S4 ^^ CoNTÎlAl*
et par conséquent ^u-il n'est plus membrô
de l'état. Or, comme il s'est leconnu tel ^
tout au moins par son séjour, il en doit
être retranché par l'exil, comme intVac-
teur (îupfUie, ou par la inort , comme
ennemi public *, car un tel ennemi n'est
pas une personne morale ; c'est un homme,
et c'est alois que le droit de la guerre est
de tuer le vaincu.
Mais, dira-t-on , la condamnation d'un
criminel est unactcpaiiicidier. D'accord:
aussi cette condanmation n' appartient-elle
point au souverain ; c'est un droit qu'il
peut conférer sans pouvoir l'exercer lui-
même. Toutes mes idées se tiennent, mais
je ne saurois les exposer toutes à- la- lois.
l Au reste , la fréquence de supplices est
toujours un signe de foibîesse eu de pa-
resse danî^ le gouvernement : il n'y a point
de méchant quV^n ne pût rendre bon à
quelqr.e chose. On n'a droit de faire mou-
rir, Kiême pour l'exemple, que celui qu'on
ne peut conserver sans danger.
A l'égard du droit de faire grâce, ou
d'exempter un coupable de la peine portée
par îa loi et prononcée par le juge, il n'ap-
partient qu'à celui qui est au-dessus du
]uge et de la loi , c'est-à-dire, au souve-
,Y€ïâiîi ; €Jicoi^ son droit en ceci ix'est-U
s o c ï A r.; 55
|>asl)îcn nef , et îts cas (Ven user soiu-ils
très-nires. Dans un état bien gouverné, ii
y a peu de pimirions, non pf^rre qu'on
l'ait beaucoup clt giiices, mais parce qu'il
y a peu de criminels-, la nmliiiude des
crimes en assi-re l'impunité ^ lorsque l'état
dépérit. *"^otî s îa république romaine, jamais
le sénat ni îes consuls ne tentèrent de faire
^at,e; îe peiîple même n'en faisoit. pas ,
pui/i^u'il révoqua quelqueîois son propre
îu^;eînent. Les fréquentes grâces annou-
çoient que bien loi ï«s forfaits n'en au-
roient plus besoin ; er chacun voit où cela
mène. Maifv je bens que mon rœur mur-
mure et relient ma plume ; laissons dis-
cerner cifs qiie.«itions à l'homme juste qui
n'a point failli , et qui lui-même n'eût ja*
mais besoin de ârace.
-^
CHAPITPlE VI-
JDe la Loi\
Xa-R le pacte social, nous avons donné
l'ex^steme et îa vie au corps politique ; ii
s'aj^ît iivaîîïîenant de lui donner le inouve-
hncuî et la volonté par la légistancn. Car
l'acte primitif par lequel ce corps se form(Bi
56 DU Contrat
^t s'unit , ne. (léîei'ïiîine rien encore de cô
^u'il di-ir iaire pour se conserver.
Ce qui err bien er coriforme à l'ordre
'€sr tel par la luirure des clioses 5 ei mdé-
peudatniiient des convenions iiuinaiiies.
Tou'^ justice vient de Dieu ; Ji i seul ea
-est la sonrcc: mais si nous savions la re--
ce voir de si ha?u, nous n'aurions be-
soin ui de ^oiîvei irement ni de loix. Sans
<lonîc i( est une jusiice liniverseiieemaiiée
de la raison seule; mais ceîfe juîstice,
pour être iuînuseentre nous , doit être ré-
ciproque. A considérer humainement les
choses , faute de sanction naturelle, les
Icix de !a jus lice sont vaines pariiii les
hommes ; elles ne font que le bien du mé-
cliant et le mal du juste , quand cehd-ci
les observe avec tout ie monde , sans que
personne le?^ observe avec lui. Il faut donc
ûvs conventions et des loix pour unir des
droits aux devoirs, et ramener la justice
à son obier. Dans Térat de nature ^ où tout
est ci'mmn.n , je ne dois rieii à ceux à qui
je n'ai rien pronds ', je ne reconnois powr
être k autrui que ce qui m'est inutile. Il
îî'en G,t pas aiiitû dans l'éîat civil ^ oii
tous 1rs ilroiîs soiir Mxos par la loi.
Miiis qu'est-ce. donc enlin qu'une loi 1
Tant qu'on se conLenîera de n'attticher à
s O C î A L. 57
cen'.ot que des idées mérapliysiq^ies ., on
continuera de raisonner sans s'entendre :
etqeand on aura dit ce qne c'est qîi'ime
loi <ie la naîiire, on n'en sajra pas mieux
ce que c'est qu*i ne loi àa l'état.
J'fli déjà dit qu'il n'y avoir point de co-
lonie générale sur nn obje? pari icu lier. En
ctïet , cet objet parîicylier est dans Te rat
on ! ors de Péiat ; me volonté qui lui est
cHrani^ère n'esî ])0(nt générale par rapport
il lui; 61 si cer oojet est dans Tétai , il en
lait parlie : alors il se forme en ne le tout
et sa partie nne r^^larion qui en (ait deux
f*rres séparés , donr la |)ni{ie est T'in , et
le i ont. moins cr ne n\è\re partie est 'huître.
Mais le t;n;t iiîohîs une parrie n'est point
Je tout-, et tant que- ce rapport siibsis.'e,
il n'y a plus de mut, mais deuN: ])arties
iné^zalcs : d'où snit que la volouré de i'une
n'cpt point non plus générale par rapport
à l'auîre.
Mais qnnnd tout îe penple statue snr
tout le perii)]e, il ne considère que lui-
inéuie ; et s'ii se forme alors iin rapport ,
c'est de l'objet entier sons un point de
vne ta I'o]>jet enrier sons nn autre point
ile vue, sans aticune division du tout.
Alors la matière sur laquelle on statue est
SB BTT CôNtîlAlf
générale comme la volonté qui statnëi
C'est cet acte que j'appelle une loi.
Quand je dis que robjet des lois es8
toujours général, j'entends quo la loi con-
sidère les sujets en < orps et les aclioiis
comme abstraites; jamais uti Ii,om3ie
comme iruiividtip ni une action parûcii-
lière. Ainsi ia loi peut bien sîaîy^r qu'iï
y aura des privilèges , mnis ^îîe n^en peut
donner^noniniéiuent à personne; lafioii&e
peut faire plusieurs classas de citoyeiis y
assigne r rr. ê m e l e s q u alités q ul donneronî:
droit à ces classes , mais elle ne peat
îîorumer tels et tels pour j èliQ&dzms t
elle peut établir un gouvernement royal ^
et une succession héréditaire, inms elle
peut élire nn roi ni une faimiie royaSes
en un mot , toute fonc lion qui se rr*pport«
à un objet individuel , irapparàera. poiai
à la puissance lé{>islative.
Sur cette idée , on volt à rïnsiam qclï
Tie faut plus demander à qui îl5ppariieïïi&
de faire des loix, puisqii'eiies soat des
actes de la volonté générate; ni si le
prince est au dessus des loix, pi.3isî|a.*iî!
est membre de Tétat-, ni si la Ici peutèîre
injuste , puisque nul n'est injusie esîvers
Itîi-môxiie*^ ni commsut on est libre %%
s O C T A tT
snnmÎ5î aux loix, puisqu'elles ne sont que
cies rc<'isires de nos volontés.
Ou voit encore que , îa loi réunissant
l'universalité de la volonté, et celle de
Pobjetj ce qu'un homme , quel qu'il puisse
êUc , ordonne de son chef" n'est point un®
loi : ce qu'ordonne même le souverain sur
un objet particulier , n'est pas non plus
une ioi , maïs un décret; ni un acte de
souveraineté , mais de magistrature.
- J'appelle donc république tout état régi
par les loix , sous quelque forme d'admi-
nistration que ce puisse être *, car alors
seulement, Tiatérêt public gouverne , et
la chose publique est quelque chose. Tout
gouvernement légitime est républicain (i).
J'expliquerai ci-après ce que c'est que
gouvernement.
Les loix ne sont proprement que les
condiiions de l'association civile. Le peuple
I
1 W ■ Om i H II •>tl II. III I '. Illilll H . l <« ■■! Il I M i n .l lM »
(i) Je n'enterîils pas seuïenient par ce
mot une aristocratie ou une démocratie,
itiais en général tout i:^ouvernement p;uidé
par la volonté gcnérale qui est la loi. Pour
être légitime*, ilne faut pas quels gourer-
îiement se contbnde avec le souverain ,
mais qu'il eu soit ie ministre : alors la
monarchie elle-même est république» Ceci
s'écUircira dans le Uyie suivivu;,
€o n V Contrat
SLMiniis aux loix , en doit être l'auteur î il
r/apparîieîir qu'à ceux qui s'associent de
rc'f;!cr les coiulitions de !a sociéré *, mais
comment les réaieroiu-ils'? Sera-ce d'un
<(nnruiiii accord , parinie inspiralion su-
blime ? Le corps |)Gli tique a - t - il un or-
gane pour énoncer st's volontés'^ Oui lui
dvjunera la prévoyance nécesnaire pour en
ioriner les acîeset les publier d'avaiue'?
ou coninic:]! les prononcera-r-il un niouient
du besciiî '{ Coîr.inent une nuiîtilude aveu-
|.>ie qui f>r.uvcrit ne sait ce qu'elle veut ,
parce qu'elle saiî. rarement ce qui lui est
bon , exécuieroir-elle d'elle-môîr.e une cu-
Ivepiibe aussi grande, aussi diuJciie qu'un
sysîenie de législation '{ De lui-même , le
peuple veut toujours le bien; mais, de
lui-mènie , il ne le voit vaà toujo?jrs. La
volonté <j^?'néraU' est toujours droite; niais
Je ingénient qi'i la t^'fHi^' n'est pas toii-
jonrs ( claire. Il faut lui inire voir lesob-'
jets tels qu'ils sc^nt, quelquefois teU qu'ils
doivent lui paroirre; lui montrer le l)oii
clictiou qu'elle ( lu r( lie , la ^»arantir de la
s6(iu( rion des voloniés particulières, rap-
proclier ;i ses yeux les lieux et les ten^s ,»
balancer l'attrait des avantages présens et'
sensibles , par le danj^er des maux eloi-"
^nés et caciiés. Les particuliers voient îe"„
bien
1
s o c î A t. 6i
h\^t) qu'ils rejettenr; ^e public veut le bien
qu'il ne voit pas. Tous onr v^^galement l)e-
soin vie guides ; il faut obliger les uns à
conloriner leurs volontés à leur raison ; il
faut Ini apprendre a connoître ce quUl
Tout. Alors des lumières publiques, résulte
Tunionde Penrendeinent et de la volonté
clans le corps social t de-là^ Pexact con-
cours des parties , et enfin la ]>liis grande
force du tout. Voilà d'où naît la nécessité
d'un législateur.
8£
CHAPITRE VII.
jDu Législateur*
X ouR découvrir les meilleures règles c^e
société qui convieunent aux nalions, H
faudroit une iniellip^ence Supérieure, qui
vît toutes les passions, et qui n*en éprou-
vât aucune ; qui n'eût aucun rapport avec
notre nature , et qui la connût à fond ;
clonl le bonheur fût indépendant de nous,.
et qui pourtant voulût bien ^'occuper du
nôtre; enfin qui, dans le progrès des teirrs
ménageant une gloire éloignée, pût
travailler dans xm siècle, et jotm- duii»
€a T3tJ CoKTnAf
un antre ( i ). Il faudroit des Dieux poîiî?
donner des loix aux hommes.
Le même raisonnement que iaisoit Ca*
îigula , quant au fait, Platon le f'aisoit ^
quant audroir, pourdéfinir Phomme civil
ou royal , qu'il cherche dans son Livre du
règne ; mais il est vrai qu'an ^rand prince
est un homme rare; que sera-ce cVan
grand législateur '( Le premier ïi'a qu'à
suivre le modèle que Tautredoit proposer.
Celui ci est le méchanicien qui invente la
machine ; celui-là n'est que l'ouvrier qui
larinonte et la tait marcher. Dans la nais-
sance des sociohés, dit Montesquieu, ce
sont lôs chefs des républiques qui font
rinstitution ; et c'est ensuite l'institution
qui forme les chefs des républiques»
Celui qui ose entreprendre d'instituer
vtn peuple , doit se sentir en état de chan-
ger, pour ainsi dire, la nature humaine;
ùe transformer chaqne individu , qui, par
lui-même , est un tout parfait en solitairej
(i) Un peuple ne devient célèbre q!îe
quand sa k^^islariou commence à décliner.-
Un ij2,nore durant eomluen de siècles l'ins-
tiîuiion de Lycur^;ue iit le boriheur dés
Spartiates , avant qu'il lut question d'eu^
dans ie reste de U Gïèccr
Social. 63
en panie d'un plus grand tout, doiU cec
îruiividii reçoive, en quelque sorte , sa vie
et son êîre ; d'altérer la constitution de
rkomrne pour la renforcer ; de substituer
une existence pariielle et morale à l'exis-
tence physiqiie et indépendante que nous
avons reçue de la naîure. li fant* en un
.s '
mot, qu'il are à IMionurie se^ forces pro-
pres , poiw lui en doT^ner qui lui soient
étrangères , (^t dont il ne puisse faire lisage
sans le secours d'autnii- Plus ces forces
paturelles sont mortes et an('^anîies ^
plus les acquises «^ont grandes et durables,
plus aussi rinstirution est s >Hde et par-
laite : ensort^ q"<^ » si chaque citoyen n'e8lt
rien , ne i^eut rien ^ que par tous les
autres , et que la forjçe acquise par le tout
soit é>^:aîe ou sup^^-rieure a la sonirrie des
forces naturelles de tous les individus, oi^
peut dire que la lé^isl;ition esr au plus
haut point de perfection qu'elle puissa
atteindre.
Le législateur est , à tous égards , un
homme extraordinaire dans l'état. S'il doit
l'être par son genîe , il ne l'est pas moiija
par son emploi. Ce n'est point m«fii<str^-
ture, ce n'est point souveraineté, Cer em-
ploi, qui constitue ia république, ï\ enti:*
yoiftt dans la constitution : c'est une fouçji
D ^
^4 ^tr CONTRÀV
tion particulière et supérieure, qui n'«
rien de commun ayec l'empire humain ;
car, si celui qui commande aux lT)mmQS
ne doit pas commander aux ioix, celui qui
commande aux Ioix ne doit pas non plus
commander aux hommes ; autrement ses
Ioix, ministres de sespassions^ ne feroiect
souvent que perpétuer ses injustices , et
jamais il ne pourroit éviter qne des vues
particulières n'altérassent la sainteté de
«on ouvrage.
Quand Lycurgue donna des Ioix a sa pa-
trie , il commença par abdiquer la royauté.
Cétoit la coutume de la plupart des ville»
grecques , de confier à des étrangers l'é-
tablissement des leurs. Les républiques
modernes dei'Iiaiie imitèrent souvent cet
«sage ; celle de Genève en Ht autant , et
s'en trouva bien (i), Rome, dans sonplu8
W m i 11 I I . Il M l , I . r u ' ■' ■ ■ ■ • • •• I — w— in
(i) Ceux qui ne considèrent Calvin quô
comme thcû'cgien , connoissent mal l'é-
tenîlue de son génie. La rédaction de nos
«âges édi^s, à laquelle il eut beaucoup
de part , lui fait autant d'bonneur que soa
ïn*iiu.tion. Quelque révolution que le tem^
puisse aynener dans notre culte, tant qu^
ranio^ï* de la pa^i'ie çf ^jg ]a liberté bq
«era pas éteint par^^i nous , jamais la mé-
moire d^ ce grand "ommc ne cessejra d*y f
êm en bénédigtiou» |
s O C I A t. ^5
Ici -kge , vit renaître en sou sein tous les
crimes delà tyrannie, et se vit prête àt
périr , pour avoir réuni sur l«s raêmess
téres l'autorité législative et le pouvoii:
souverain.
Cependant les décemvirs eux-mémç»
«e s^arrogcrent jamais le droit de faire
passer aucune loi de leur seule autorités
Rien de ce que nous tous proposons y disoient-'
ils au peuple , ne peut passer en loi sans
yotre consentement r Romains , soye^ vous^
mêmes les auteurs des loix qui doivent faits
votre bonheur*
Celui qui rédige les loix n'a donc otf
ne doit avoir aucun droit lé|^islatit ; et le
peuple même ne peut, quand il le vou--
droit j se dépouiller de ce droit communi*''
câbla, parce que, selon le pacte fonda-'
mental, il n'y a que la volonté générale
qui oblige les particuliers^ et qu'on ne
peut jamais s^assurer qu'une volonté par-
ticulière est conforme à la volonté gêné-*
raie, qu'après l'avoir soumise aux suf-
frages libres du peuple ; j'ai déjà dit cela|,
mais il n'est ])as inutile de le répéter.
Ainsi l'on trouve à-la-fois dans l'ou-'
vrar^e xle la législation deux choses qui
scinbleat incompatibles 5 une cntrepri^<r
D 5
^66 BU CoKTKAT
«lî-dessus de la force bunmine , et , pour
' 3*exécuter, une autorité qui n'est rien.
Autre diniciiUé qui mérite attenîioiî,
I^es sages qui veulrnt pnrier an vulgaire
lèurlangïîge au Heu du- sieu, n'en sauroient
être entefidus. Or , ii y a iniiie sortes d'^i-^
ttéesqu^l'esl iinpossibîe de rradiîire duns;
la langue du peuple. 4jes vues trop géné-
^ a*ales er fes objets trop éloignés sent é^a-
leinehr hors de sa portée ; chaque individu
lie oe^îant d^autre plan de gouvemPineat
"^ue celîii qui se rapporte à son intérêt
" parricrriier , appercoît difficileinent les
avantages qu'il doit reiifer des privaxiona
' contiritiolles qu*iaiposent les bonnes loix,,
'Poux qu'im iieupie naissant pût j:ïoiiteri€S
saiii-tes ma naines, de îc4polili(|ue^ et suivre
•^ 3es règles iondaaientales-de la raison de
.l'état, il faudrO'it que l'eliet pût devernr
ia cause, que l'espiiî social, quidoit être
î*o-uvr£|gGS de l*insritution, présidât à l'ins-
titution inême^ et qwe les hommes lussent
ftvant les loix ce qu'ils doivent être par
elles. 'Ainsi donc, le législateur- ne pouvant;
çmplo^jr'êsr lû là force ïii le raisonnenîenîj ^
c^st Mne nécessité qu'il recoureà une aa-
iorité d'un autre ordre ,- qui pîiisse en-%
traîner sans Yiol^iiçej et peïéiiader saA%
s o c I A r' ^
Toilà ce qui força.-de tout tems les pères
cles nations tle recourir à Pinîerveniion du
ciel et d'iioiiorer les Dieux de leur propue
sagesse, afin que les peuples , soumis aiiX
ioix <ie l'état comme à celles de lu nature,
et rcconnoissarir le même pouvoir dans Ja
Icrmation de l'iiomme et dans celle de la
ci^é , obéissent avec liberië , et portassent
dociienient le joug de la félicilé publique.
Cette raison sublime qui s*eiève au-des-
sus de la portée des hommes vulgaires, est
celle dont le législateur mel les décisioi^s
clans la bouche des immortels, pour ea-
trainer , dans l'autorité divine, ceux qî\e
ne pourront ébranler la prudence hu-
maine (i). Mais il n'appartient pas à
tout homme de faire parler les dieux, ni
d'en êirecru, quand ii s'annonce pour
être leur interprète. La grande anie du lé-
gislateur e;;t le vrai miracle qui doit prou-
w a ^fi i i^ im i M i % * ^mi^i i '1.^ i > M wi^i T M. »^ w h hwi t ; »? ^
(t) (t E verîamenre (dit Machiavel )
i> uieis non ia alcuno ordiuartne di lengi
ïJ straonlinarie in un polo, cJie îu<n ri-
a> corresse a iJio , perche altrimenli noji
«> sarebbero accettate ; prêche sono molti
w béni conosciuti da uno prudente i qua^il
f> non hanno in se ra|:^^ioni evidrnii d^
«> poler^li persiiaderead ahrui «. DisQ^jt
fi so.pra Tito Livio, L. I* C» Xu
68 OV GOKTUAW
Yôr 8a mission. Tout homme peut grà»
ver lies tables de pierre, ou acbeier un
oracle , ou feindre un secret coninierce
avec quelque divinité , ou dresser un oi*
seau pour lui parlera l'oreille , ou trouver
d'autres moyens grossiers d'en imposer aa
peuple. Celui qui ne saura que cela pourra
même assembler par hasard une troupe
d'insensés ; mais il ne fondra jamais ua
empire , et son extravagant ouvrage pé-
rira bientôt avec lui. De vains prestiges
forment un lien passager; il n'y a que la
sagesse qui le rende durable, La loi ju-
daïque toujours subsistante ; celle de Ten-
fant d'Ismaël , qui depuis dix siècles régit
la moitié du monde, annoncent encore
aujourd'hui les grands hommes qui les ont
dictées; et tandis que l'orgueilleuse philo-
sophie ou l'aveugle esprit de parti ne voit
en eux que d'heureux imposteurs, le vrai
politique admire dans leurs institutions ce
grand et puissant génie qui préside aux
éiablissemens durables.
II ne faut pas de tout ceci conclure avec
Warburton que la poliriqueet la religion-
aient parmi nous un objet commun-, mais,
^ue, dans l'origine des nations^ l'une sert^
d'instrumeni; à l'autre*
s O C î A t. ^9
■»«t«uamK < »uiui-M-« "B
fc III II ' ■ ■ ' ■ ' ' ' ' ' " '
CHAPITRE VIII.
Du Peuple.
C
OMME avant ^relever un grand édilîc^^
rarchitecte abserve et sonde !e sol pour
voir s'il en peut soutenir le poids , le sagô
instituteur ne commence pas par rédiger
de bonnes loix en elles-mêmes; mais il
examine auparavant si le peuple anqr.el i£
les destine , est propre à les supporter»
Oest pour cela que Platon refusa de don-,
ner des loix aux Arcadiens et aux Cyré—
^iens, sachant que ces deux peuples éîoienC
riches et ne ])ouvoient souilrir lV|^alité ;
c'est pourceîa qu'on vit en Crète debonnes
loix et de iiifithans hommes, parce que
Minos n'avoit discipliné qu'un peuples
chargé de vices.
Mille nations ont brillé sur la terre ^
ijuin'auroienr jamais pu soutïrirde bonnes
loix; et celles mêmes qui TaiToieni pu ^
n'ont eu dans toute leur durée qu'un tems
fort court pour cela. Lc<ï «ieuples, ainsi
que les hommes , ne sont dociles qued':ins
leur jeunesse ; ils deviennent incorrigibles
€U Vieillissant ; quand une lois les coii-j
fo DU Çont:çiat
îumes sont établies et les préjugés en^à
3'aciné.s, c'est une entreprise dangcreitise
et Vi'îjîie, de vouloir ies réformer; le
peiipie ne peut pas même sonfi'rir qu ou
touche à ses maux pour les ciétvuir<î ;
semblable à ces malades sti2pides et sans
cojirage ^ui frémissent à Taspect du mé-
decin.
Ce n'est pas que , comme quelques 'ma*
Jadies bouleversent la têre des hommes ,
et leur Qtenr le souvenir du passé, il ne
se trouve quelquefois dans la durée des
^tats des époques violentes où les révolu-t
îions font sur les peuples ce que certaines
crises font sur les individus, où l'horreur
cîu passé tient lieu d'oubli , et oii l'état
embrasé par les guerres civiles j^ renaît ,
pour ainsi dire , de sa cendre , et reprend
3a vigueur de la jeunesse en sortant des
"Lras de la mort Telle fut Sparte au tems
ée Lycurgue; telle lut Rome après les.
Tarquins , et telle fut parmi nous la HoU
* îaude et la Suisse a,pres Pexpuîsion de$
îyran^,
JVIais ces évènemens sont rares ) ce sont
* <îcs exceptions dent la raison se trouve to^^«
jo^r^, dans la < onstituîion particulière de
* l'état excepté. Elles ne saurcient même
avoir Uèu 4eux fois jpovu* le jnême peuçlej
s O C î A £* 71^
car il peut se leuclpe libre tant qu'il
Ti'est que barbare, mais il ne lépeutqiia
quand le ressort civil est usé. Alors les
troubles peuvent le détruire sans que les
révolutions puissentt le rétablir ; et sitôt
que ses fers sont brisés , il tombe éparsr
et n'existe plus ; il lui faut désormais ua
niaitre , er non pas un libérateur. Peuples
libres, souvenez- vous de cette maxime a;
on peut acquérir la liberté, mais on ne».
la recouvre jamais.
Il est pour les nations , comme pour les
hommes, un tems de maturité qu'il faut
attendre avant de les soumettre à des
loix ; mais la maturité d'un peuple n^esB
p*ts toujours facile à connoître ; et si ont
la prévient, Touvrage est manqué. Tel
peuple est disciplinable en naissant , tel
fiutre ne l'est pas au bout de dix siècles.
Les Russes ne seront jamais vrai mène
policés, ])arce qu'ils l'ont été trop {ôt*
Pierre avcit le «énie inimiiatii"; il n'avoifc'
pas le vrai génie , celui qui crée et fait:
tout de rior.. Oueiqués-unes des choses,
qu^il iit étoient bien, la plupart etoienc
déplacées. Il a vu que son peuple étoit
bnrbare , il n^'a point vu qu'il 11 étoir pag
\ mur pour la pcUice; il l'a voulu civiliser*
^nand il ne falloit que l'aguerrir, U ^
^2 B r Contrat
d'abord voulu faire des Allemands , de#
AngLûs , quand il falloit commencer par
faire des Russes \ ï\ a empêché ses sujets
de jamais devenir ce qu'ils pourroient
être , en leur persuadant qu'ils étoiei^»^ ce
qu'ils ne sont pas. C'est ainsi qu'un pré-
cepteur Français forme son élève pour
"briller au moment de son enfance , ç^ puis
a'être iamais n en.- L'empire de Russie
TOudra su!) jn^uer l Europe , et sera subju-
gué lui-même. Le? Tartares , suiets ou ses
ses voisins, deWend.on:: ses maities et le*
nôtres : cette révolution me pardir infail-
lible. Tous îesrois de ^Europe travaillent
de concert à Paccéierer.
CH A TITRE IX.
Suite du Chapitre précédente
IOM35E la nature a dcnné des ternies»
la stature à -an liomme b'en conformé y
passé lesquels e^le ne fait plus qiie des
pcans ou des nains, if va de mèiwe,. ei»
é^ardà la meiiloure constitution d'un érat^
cîes bornes k Téfendue qu'il peut avoir y.
a£n qu'il ne soit ni trop grand pour pi>»-
I
s O C I À i.i 7S
yoîr être bien gouverné , ni trop petiB
foiir pouvoir se mainîenir par îui° aéme*
l y a dans tour, corps politique un mati^
ïniim de force qull ne saurait passer , eC
auquel souvent il s'éloigne à force de
«'agrandir. Pjus le lien social s'étend ,
plus il se relâche : et 0;i <!ér.é:al , un petic
état est proportionnellement plus fort
qti'un grand.
Biille raisons démontrent cette maxime*
Premièrement; )%idministraîion devi(int
pliis pénii)le dans les grandes distances ^
comme un poids devient plus lourd ait
bout, d'un plus i^rand levier^ Elle de^^ieiit:
aussi plus onéreuse à mesure que îes de-
grés >se muUip!ie*ht ; car chaque ville a
d'abord la sienne encore payée p^r i©
peuplé ; «msuite chaque province* puis
îes gràrids gouverneuiens , les satrapies,
les vice -royautés , qu'il f^iut toujours
•payer plus cliei* à mesure qu on monte ^ e*
toujours aux dépens du paurrè peuple ;
ënlin vient, l'administration suprême, qui
écrase tout: Tant de surcharges épuisant
ëontinuellement lès sujets, loin d'être
nûeux |>ouVeinés par ces ditférens crdre.s^
ils !^ sont bien moins que s'il n'y en avoïc
4^u'iiri seul au-dessus d'eîix. Cependant , àt"
Jéine reste- t-ii des ressources pour lesç^f
^4 55 tj Contrat
♦xtraorfimaires-, et q'!and il faut y rc*
courir, l'elai est tunjoiirsà'fà' teille dô
fia vuiiie. ^
^ Ce n*est pas toiu : non»seu'emenf le
goiive nement a iiioins^ de vigueur ei ds
célérité poi^r taire obseirver rés loîx ^ eju-
péciier ie.s vexaiiotis , corriger les aîùîs ^
p ré V en i r I f s èhire p rïiks sodi ? i e f i ses q '.lî
peuvent se Faire d^ms les lieux é'oîguos ,
iiiiais le p Hi?)ie «"trioirv^" d'aiFecii^n noui:
«PS cliets qu'if TiéToir )amrîis , pour sa pa-
trie qui esr a .«^e^'yenx i.onimé \t) ftionde, et
pour se.** coHMioy; ns dont la plu})art liii
sont érran|jeis. 1 es mémos loix ne (peuvent
ton venir a tant de province^ diverses ']tii
Oîù des mœurs diiïérenfesV qui viv;eiit
SOUS des cliîiiars opnosc^^ , et qui ne
ipcuvetit SijuFtiir la inêiiie foraio de|',ouver-
iiemeni. Des ] >ix dUTére!i'esn'en|jendrea|î
que iroiible et coritusi» n parmi les peu-
ples qiti, vivant sons les iii.hïies chefiS
©L (l.uvs une cornniumcaîion continuelle *.
passent on se marient les uns thiz les
auties, et soiînis k d'autres coutumes \
ne savent jamaivS si leur patrimoine est
l)ien à eux. ii< s raîens sont enfouis , lea
Tertus i|:^norî'e.s, les vices impunis , dan»
ce..e niuUiîuiie d'Hommes inconnus les
ïins aux autres, que le siège de l'adi^i*
!Éï{55fràtîon supièîiie ra«îsemf>ie dstn^ wii
iiiéme lieu. Les ebei's accablés d'^lTaiies^ •
ne Toient janiîiis rien par eux-niômes; des
commis gouvernent l'état. l'iiliii, les me*
sures qu'il faut prerjcîré poar inainîerir
Paiitorité générale^ à lafjMeiîe tarit tfoifi-
rîcrs éloignes veulent se soustraire ou ert.
imposer, absorbent tous les soins publics 5
il n'eu reste plus pour le bonheur du
peuple; à peine en reste-il pour sa défense
au besoin ; et c'est ainsi qu'uti corps trop
jorand pour sa constitution, s'aifaisse et'
périt écrasé sous son propre poids.
D'un autre côté, i'ét'dt doit se doni^eir
tine certaine base pour avoir de la soli*
dite, pour résister aux secousses qu'il nâ
manque ra pas cV é prou ver, et aux e f f o r r »
^u'ii sera contraint de faire pour se sou-
tenir i car tous lespeuples ont lîne espèce
de force centiiî'uge , par la:|Lie!.!e ils a^'^is*
Spnt continuellement les uns contre les
autres, et tendent à s'agrandir aux dé-
pens de leurs voisins , comme les tour-*
biilons de Descarîes. Ainsi les, foiblcs
risquent d'être bienîot en|^loutis , et nul
fie peut guèreS te conserver qu'en se met-
tant avec tous dans une espèce d'équilibre'
qui rend la compression par- tout à-p©u-
Jjiùs é^ale*
76 r> V C O N T 31 A #
. On voit par- là qu'il 3^ a des raisOTts lï^
s'étendre et des raisons de se resserrer ^
et ce n'est pas le moindre talent du poli-
tique , de trouver , enire les uns et l€0
autres^ ia proportion la plus avantageuses
à îâ conservation de Pétat. On peut dire .,
en général, que les premières, n^étaHH ^
qu'extérieures et relatives , doivent ètrô'
«ubordonnées aux autres^ qui sont internes?
et absolues. Une saine et forte constitu-
tion est la première chose qu'il faut cher-
cJîer, et l'on doit plus coin[)ier sur ia vi-
gueur qui nait d'un bon gouvernement g^.
que sur les ressources que fournit un
grand territoire.
Au reste , on a vu des états rellement
constitués, que la nécessité des conquêtes
«ntroit dans leur constitution même j 'et
que^ pour se maintenir, ils étoient forcés
de s'agrandir sans cesse. Peut-êire se féii-v
eitoient-ils beaucoup de celte heureuse
ïiécessiié, qui leur montroit pourtant^
avec le terme de leur grandeur , Tiaé^i-
s o G r A t.* 77
CHAPITRE X.
Suite^
o
ISX peur mesurer un corps politique <îô
^eiix manières: savoir, par l'étendue du
territoire^ Pt par le nombre du peuple; e%
^ y a eîttie rune et i'afitre de ce?? me*
aisres , un rapport convenable pour donner
à relût sa véritable grandeur. Ce sont
îes hommes: qui font Péîat ^ et c'est le
terrein qui nourrit les hommes : ce rap-
liort est donc que ia ferre sutlîse à l'entre-
lûerr tle ses habitans , et qu'il y ait autant
«l'habitanç que \?l terre en peut nourrir.
C'est dans cette proportion que se trouve
îe maximum, de force é'^im nombre donné
4le peuple : car s'il y a du terrein de trop^
Jagcirdeest onéreuse^ Ia culture insuf*
usante, le produit superflu; c'est la
cause procbaiue il^s guerres défensives :
s*il n'y en a pas assez, l'état se trouv»
pour le supplément à ia discrétion de se»
V4>isins^ c'est ia cause prochaine des
guerres oiïensives. Tout peuple qui n'a ^
jiar sa position , que l'alternative entre la
f^;3am.çrc€ ou la guerre, est forw)le en lui»-
r^'S r^ V C o n r ^ A r
inéme ; il dépend ^e ses voisins^ il dcpen4
des évèneii:er.s ; ii n'a jamais qu'une exis-^
îiCiice incertaine et tourte; il subjugue et
cÎHui|5G de sitiiarion, ou il est .sul>jii^ué at
n'e&t rien. Il ne peut se conserver libri>
i^ii'à force de peiites^e ou de ^nandeur.
. On ne peut donner en calcul un rapport
fi%e entre l'étendue de terre et le nombre
-fd'iîonimes qui se sulfi.^ent l*un à l'autre |
fiinr à cause des différences qui se trouvent
.tlans ies qualités du terrein, dans ses de-
grés de ferrilité, dans la nature de se»
|>rodti€îions, dans l'inlli.'ence des rîiinats,
que de celles quVm remarque dans lesîem^
péramens des hommes qui les liibirent,
dont les uns consomment peu dans un
pays fertile , les autres beaucoup sur ua
jBol ingrat. Il faut encore avoir éf^ard à la
* plus grande ou moindre fécondité de»
femmes, à ce que le ]>ays peut avoir d%
plus ou moinj; fuvorable à la population ^
à la quantité dont le lé^^isiateur peut espé*
l'sv d'y concourir par de» établissemens ; !
de sorte qu'il ne doit pas fonder son in-
génient sur ce qu'il voit j mais sur ce qu'ii
.j>révcit, îû s'arrêter autant a l'état actuel
de ift population , qu'a celui où elle doit
|iaturelleincnt parvenir. Enfin il y a mille
litTa^iûiis où i^s accidens parliculiers 4|l
s o c I A r. 7^
Ken OYic^nr on î erirenent qsi'on enilnash^^
p!t:s oii u.».iiis te leueiii fjnïl ne paroît
T)é( es.saire. A insi Ton h\* î enui a' l ea nconp
dans un pays, (ie inon'a^ th s , ( ù les pro-
ductions naruîelles, sf.\nir, les, bcis, les
pâ:urii^ejî, demanticnt noiiis de ira\ail'^
où l%x|)éiieiue appieiui que ks ieiunse*
çorr plus iecA^DCiCs que d ns les pl4ines, et
où un i^vand sol incline ne cUnr.e qu'iina
peii:e hase bcristniaîe, ia setiU qu'il faut
C(imp:er pour la vét^ef.ui^n. Au ci iiîraire^
en ]!euî se ressener a:i bord de la nier..^
lïiètuc iians oes roc lieis et des fialîles
presqie Sîcriies, parce qiie la î*é<he y
peut st ppl< er en grande pi/riie aux pro-
ducrio s de In (ene , q; e 'es lu>n!ni€S
doivent eue plus rassemblés *[H)uv re-
pousser lespirate?, et qu'on a tirailleurs
plus <;e ['.KÎlilé j)our délivrer le p.-ys , par
les ('lonies, des habiîans uont il esê
«urclmrge.
A ces ((.ndiiions, })Our insiiruer uti
peuj)ie, il eu l.iut ajouter iine qui ne peut
fiuppiter à nulle aune, mais sans iaqu' lie
elles sonr f(.u'e.^ inuiiles; c'est. q!i*(iii
jouisvse d< l abondance e? de la paix; car
le ieuKs où* s'urdonne un ciai est comme
celui où se foiiue uu b-iaillon , l'instant
6Ù le corps est le moins capable oe résiâ-
£ 4
tance et îc plus facile à détruire. On ré-
«istcroit ïDÎeux d^iis un désordre absolu
que dans ur moment de fermentation , oit
chacun s'o« < une de san rrum. et non du
péril. OiiV^ne gnerre , iir.0 famine, une
çédiîion survienne en ce tems de crise j?
Pérat est infaiiiibienieMt renversé.
Ce n'est pas qu'il y ait beaucoup de
^ouvernemeRS établis durant ces orages y
ïnais alors ce sont ces gouvernemens
ïnérFjes qui <lérrnisent l'état. Les usurpa-
teurs amènent ou choisissent toujours ces
îems (îe troubles, pour faire passer, à la
faveur cie î'clïroi public , des loix destruc-
tives que ie peuple n/adopteroU pas de
$ang-ir<3id. Le choix du moment de Tins-
ïituîion est un des caractères les plus 8iirs
par lesquels on peut disîiiguer roeuvr^
du îépiKÎateur d'avec celle du tyran-
Quel peuple est donc propre à la légis-
lation 1 Celui qui , se trouvant déjà lié paç
quelque union' d'origine , d*intérêt ou dçj
«convention , n*a point eiicore porté le vrai
^oug dçs loix; celui qid n'a ni coiftumeç
ïii superstitions bien enracinées ; celui qii^
lie craïut pas d'être accablé par une inva-
sion subite , qui? sans enfrerdans les que-^
celles de ses voisins , peut réxsister seul ^
çtecua d*eux , ou s'aider de Tun pour r€i«
s o c î A L* 5i
potrsserrau're; ceiui dont chaque membre
peurêîie connu ô-e tons, et où l'on n'est
p-omî force de cliar«er un homme d'un
pL'»s grand fardeau qu'un hoiiîme ne jjeut
porter; celui qui peut se passer des au-
tres peuples, et dont tout autre peuple
peut se pa.sser (i) ; celui qui n'est ni ri-
che ni pauvre , er. peut se suifire à îui-
xiîême ; enfin cehii oui rénnit Su consis-
tièr«ce d\in ancien peuple avec la docilité
«i*uïi peuple nouvi au. Ce qui rend pénible
rouvrijge de la îégishîijon est mohis ce
^a'ii lauL établir que ce qu'il iaut défruire;
et c^ qui rend le succès si rarc^ c'est Tim-
possibilîté de irouver la simplicité delà
^1} Si de deijx peuples voisins l'un ne
pouvr-Jt se (îasser de l'autre, ce seioif uiîe
situation très duie po'a- le premier, et
îrès-dangereuse pour le secoiîd. Toliô
ïîation sa<^e , en pareil cas, s'e.iorceru
bien vite de délivrer l'autre de cette dé-
pendance. Là république de ThLjscala ,
Ci'iclavée <ians Tempiie du Mexivque ,
«îma mieux se passer de sel , a a a d'eu
acheter des Mexicains, et niôaie d'en,
accepter graruitemsinr. les sages Tlila.'^-
«alaîss virent le piège caché .^.ous. cette li»
Léralité. Ils se C'jnservèr( nt libres j er c«e
jieiîtétat, eniérmé dans ce j^rand em-
j»ire , fut &nliii riniitruaicnr de ^a ruîn^*
8^ r>vCoi>(Tl!iA^
naturô jointe aux besoins de la société;
Toutes ces condiiioas, il est vrai, ^0
trouvent iliificilemerit rassemblées. Aussi
voit-on peu d'étaîs bien constitués.
Il est encore en Europe un pays capable
<de législation ; c'est l'isie cie Gorss* La
.valeur et la constance avec laqneLle c«
])rave peuple a su recouvrer et défendre
«a liberté, nicriierolt bien qiie «iielque
îiornnîe sage lui apprit à bi conserver. J'ai
quelque pressenliîneiît qu'un joar cetîô
petite isie étonnera l'iZurope.
CHAPITPlE XL
JDes div'ers sys te m es de L é gis la tio n •
Q
,t_>r l'on clierche en quoi con:?iste précî-
«éujent le plus t;rand bien de tous , qui
doit être la fin de tout sysiéuie de législa-
tion j on :roiJvera qaUL se réduit a cet
deux cbjcrs jîrlncipaux , la liberté et Véga*
lité* la Uberîé, parce que toute iiuiépen^
. dance particulière est autant de force otée
^u corps de Férat ; l'égalité, parce qu^
la liberté ne peut subsister saiiî? eiie.
J^ii déjà dit ce f^ue c^est que la lH>evt4
Social. HS
civile; k l'égarii ùe r<galiré, il ne faut
pas tniendie, pai te riix>L , qutt les ile^rés
d<^ puissance tri (ie licliesse soien abso-
li;mi< H! le.v niériK s -, umis t^ne , {.|i!r.nr a la
j-jui^.sari. e , elie soit aa-ti ssoiis 4ie fcitîe
violv n( L% ei ire s'eACtce jamais qu'eu verla
àa idïi^ ei lits U ix *, ei , qîjwnl a la ri-
chesse , t]!ie nul ciiovcn ne s ir assez oj)u-
Itui pour en pouvoir aLhe.er im auire,
€t nui assez paiisre puiu\éue contraint fie
se vendre (i):(e q.ii sijp;yos8, du côté
<ies giaiius, niodéraiion un li.euseï de cré-
dit; et du côté, des peliis, modéraûort
cl*avaric€ €t de convoifise.
Cetre égalité j disent -i's, e^t thic clii-
ïnèie df spéculation , qui ue pem exister
clans la prariqiie ; niais si l*al}i:s est inévî-
/able , s'ensîàl-il qfi'iî ne faille pas au
liJôins le régler 1 C'e»i picci:;ënienî parcer
II».. . . — — ' ' ^ — — •
(i) V^onlez-vous ilonr ti<»anfr à Té ta t. de
lu ' c*;nsî.stanc^ ] ,.Fii'{)prv't;li.t-^j îesvdc|?,res
€xt rêrîi es a i : t a r, t qu i 1 est ' possible •, ne
fcoiiîïtez ni de^ penfi opn en's 111 des ç^'.evx*
Ces (ieux étais n.urn r-lleueru insép;îrai)les^
«ont égaiement t une tes au bien cominnn :
cle i^un sorleniles taateurs (ie buyrannie^
et <!•* ratifie ies tyians ; c-csî tr-niours
r-ntr*eux ([\\e se i»\\ le rra^îc de liberté pu-^
liii(£ue*^ Tua Paciîtîie è£ l'autre !a vend,
IL a
IP4 ^ ^ G O N T R A 31
que 1-1 torce des choses tend touiours à d^r.
traire Pégaliré, que la force de la îégis«
l[ti!ion dou toujours tendre à ia iiiain-i
îeiîir.
Mais ces objets aénéréiux de toute bon-
ne iiîslilution j doivent être niv>dilîës en
chaque pays par les rapports qui naissent
jjant de la situation locale que du carac-
tèiçt des habiîûns; tt c'est sur ces rap-
ports qu'il- faut assigner à chaque peuple
^n systêuie particulier d'institution , qui
$oit le îueiileur , non peut-être en lui-
îwônïe, niais pour i'état auquel il- est des-
tiné. Par exemple, le sol est-il ingrat f^t
stérile j ou le pays trop serré pour les ha-
gitans! tournez vous du côté de Piadus-
trie et des arts , dont vous échan|^f rcz Ie$
productions contre les denrées qui vous
manquent. An contraire, occupez-vous
^e riches plaines et des coteaux fertiles I
X)ansunbeau terrein, manquez-vous dMia-
î)itans '? donnez tous vos soins a l'agricul-
ture qui multiplie les honifiies, et chasse^
les arts qui ne feroicnî: qu'achever de dé-r
penpîer le pays , en attroupant sur quel-
ques points du territoire le peu d'habitang
gu'ii y a (*i). Occupez- vous des riva^ca
(i): Quelque bïanclie de coniroerce eiti^-j
8 o c I A £.' S5
^tendus et commodes'? Couvrez la mer da
^aisseaux j cu'itivez le commerce et la na-r
vigarion *, yous aurez une exisi^ence biiL-
laiiîe et courre. la mer ne bai^ne-î-elle
sur vos côtes q ne des rochers presque inac-
cessibles î Eesiez barbares et iclityo-
pLaoe.s , vous en vivrez pins tranquilles,
ineilieurs , peut-être, et sûrement plus
heureux. Eu un mot, outre les maximes
communes a tous^ chaque peuple ren-
ferme en lui quelque cause qui les or-
donne d'une manière pnrnculière^ et rend
«a ié^islaiion propre à lui seul. C'est ain-
si qu'autrelois les H'.breux, et récem-
nieur!^les Arabes, onr. eu pour. p_^i;inci pal
objet ls( reli^j^ion -, les Afbénieus, les
letnes-, Carlhage et Tyr, le commerce;
Rodes, la marine; Sparte, la guerre, et
Rome la \ertu. L'auîeur de l'Esprit des
Loix a montré dans des touîe.s d'exemples,
par quel art le lé^^islaieur dirige l'insti-
tution vers chacun de ces objets.
rieur, dit M. d'A. , ne répand ^^uères
qu^lniB lansse utilité pour un royaiane ca
général; elle peut enrichir quelqiies par-
^^iculiers , même quelques villes-, mais là
nation eiUièie îj'v g^i^vîue rien , et l©
peuple n'en est pas iiueux. ' *
-D V Contrat
Ce qi'i rend la (onsiiiution d'un état
Tcri:ab.e)iii !ir solide er ciuiahle , c'est
qiiaïui les convenances si/Hi îeUeuient ob»
serves, que les lappoiîs naiuiels et lei
loix «m bi ur loujoiirsdc conceit sur les
iri'^^^riies poinss, cî que cei.es ci ne font, pour
aJn.vi l^il^, quab^uinr, iu ( onipa^rer , rec-
tilier le> anircs. A.ais si le ir^islaieur, se
Iroiiipanr oan> son objet , piend un prin-
cipe uittéient de celai qui ni-ii cela nauire
des choses , qiit- l'un leniie à la sei vil ude
et Tauire à la iiberié , Tun aux lichesses,
l'atiire aux conquêtes , on verra les ioijj
s"aa( iijlir insensiblement, la conslitiitioii
il'aîiercr , et l'erat ne cessera d'être a^ité,
jusqu'à ce <jiri!s< it détruit ou cbani^é , et
qtie PiBvincible nature ait repris i^on em»
pire.
CHAPITRE XII.
Division des Loi ce.
V
OT7R ordonner le tont , on donner T«
rnei îerro forme possible à la chose pu-
îjiiquc, il y a diverses relations à consî^
^éi'er» JPreixiièrenient^ Faction du corp$
s O C î A L. Sf
Jpîitîcr af;K^flant suiliii-mt'nie, cVst k-tVire,
le ri»p|W)rt du tout au toui , on ilu so ive-
raîn à l'c ta t ; er-ec rappoir est romp.sé
^ie celuitles termes in reriu^diaires, comme
^oiiS lèverions ci-aprés.
Les loix f\\iï lè^lîîp.t ce rapj.OKr portf nt
le nom oe l^ix p.<Jiîif|ues , et s'a ppui lent
«usfi loix fomiamenîaies, non sans qiiel-
.C|ue !ajs(n si <es loix sont sa^'rs. Car
s*il n*y a di\u% (\\i\que étal qu'une h(;niîe
jrianicre «le IVtuh mur, le p'Up'e qui i'a
tiouvce tîoit s* s tenir : mais si l*ordie éia*
0/ • «
îjli est mauvais, ])Ourqnoi prciuiioit on
pour i<^ndanjen aies des luix qui Tem-,
j)éc lient d'éiie bc-n ^ D'f».îll< i.rs , en tout
€tar de choses, isn peiiple est tcju.ours le
fRaîire de changer ses loix, n^^me les
laeiileurrvS ; cai s il lui plan d« se Faire
>n^l a lui-même, qui est-ce quia droit de
l'eu emjx'^cher i
La seconde relation est cello des mem-
bres entr'eiix ou avec le corps euiier; et
ce rapport doit êireau premier i^ard aussi
petit, et au second aussi grand qu'il est
possible; ensorte que chaque ciîoyen soit
.dan£ une pariai le indépendance de tous
les aiiîiÊS ; c*est une excessive d(']îeudance
^e îa cité, ce qui se lait toujours par lesf
-pèuîesmovcris*, car il n'y a i|ue la forçai
88 BIT Contrat
de l'état qui fasse la liberré de ses inem^
bres. C'est de ce deuxième rapport que
^laissent ies loix civiles.
On peut considérer une troisième sortô
de relation entre l'komme et la loi; savoir,
celle de la désobûîssance à la peine ; et
celle-ci donne lieu à l'établissement des
Jcix criiiiinôUes, qui, dans le fond, sont
inoins une espèce p'articiiiière de loix ^
qr.e la sanction de toutes les autres.
A ces trois sortes de lois , il s'en joint
tîne quatrième, la plus importiînîe de
toutes, qui ne se grave ni sur le marbre
ni sur l'airain, mais dans les cœurs deâ
citoyens; qui fait la véritable consîitutiosi
de Pétat; qui pventî tous les jours de non-
Telles forces ; qui , lorsque les autres loix
vieillissent ou s'éteignent, les ranime ou
les supplée, conserve un peuple dans
Vesprit de son institution , et substitue
insensiblement la force de l'habitude à
celte de l'autorité. Je parle des mœurs ^
des coutumes , et snr-roat de l'opinion ,
partie inconnue à nos politiques, niais de
laqueHe dépend le {.uccés de toute:^ les
autres; partie dont le .^^rand lé^iskîteur
^'ccupe en secret, tandis qw'il paroit se
liurncr à des règfeniens particuliers; qui
Hé stnit <]iie ie ceinire de ia:^c^te , (i^uM
I
Social Sq
les moeurs plus lentes à naitre y forment
enfin l'iné!>ranlable clef.
Entre ces diverçes classes , les loîx po-?
litiques qui constituent la forme du gou-
vernement, sont U seule relative à moi^
fUJÊt.
i^i'n du Livre secçndo^
«JO
DU Contrat
LIVRE II.
A'
.VA.NT de parler des diverses formes de
goîivt rncinenr , lâchons de fixer le sens
précis de ce iiiOi /qui n'a pas encore été
fort bi<^îî expliqué. .
4WMIfWA*-'^*?f-C!l^W!>itf»'"W!?*?*flSPfïi
■ I 1H1I-IH JW W i i lJI. 'M H iaWWffaH
CHAPITRE PREMIER.
JDu G Olive même nt en général.
T
O 'avertis le docteur que ce rfiapîfre
doit être lu ]u>sémenî, et que je ne sais
pas Part d'erre t lair j)v i-r qui ne veut par
être atreiTiit".
Tonte nrticn fibre a denx caiisen qui
concoiirenf- à la piodnire : INsne noiale,
«avoir la vo'onre qui detc rnnîie Pacte ;
l'anîrc physique . savoir l«i puissance qui
rex^'cute. Qi'OPil je n«ar< \\v vers un objet^
il faut premieTetuenr que j'v veuille aller ;
en vii( ( nd lieu , q'^' mes pieds ?n'y porteur.
Qu'un pînalyîi(pu v(-niîie (ourir, qu'un
bomaie aj^ile ziô le veuille pas, tous deuis
s O C T A t» «l
t€s^rront en place. Le corps poliiîquo a
Ie« iiiéjïies ino!Mles:(m y €iisiiii»^iie de
in(*nie la torce et la volonté ; cri le- ci sou»
le nom ÙQ puissance U^islati'^k , l'auire .itjus
te nom de puissance cxéiiiùvc, IVieu ne s^y
l'ait ou ne s'y doit iaire saus itur cou-
Nous avons va que la ptiissanre législa-»
the apparMentan peuple-^ e\ ne peut ap-
parrenir qu'à. lui. 11 est iâsé de voir , au
contraire, par les pr ncipts ci uevant éia*
bli> , que a puis ance t^xecuûve ne peut
aiyprUieTiir à la ^enéraliré conune L gisla-
tri*'t' ou souvtniiiie , parce que cette nuis-
«aiice ne ron.sisu- qu en tics actes particu*
îiers qui ne >onr point du ressort de ta loi,
et par consévjiienr c!e celui du souverain,
dont tous îes actes ne peu veut être que des
loix-
II faut donc > la force puMîqup un a*
gent propre qui la réiuisse ei la uiertc eu
ceuvre seion les diicctions d(^ sa solonté
générale, qui serve à la roinjuiinicaîioi^
de Vérai. et du souverain , qrii tas^e en
quelque façon dins la pers:'n!'e pii'^liquç
ce que fait l'homme dans l\ii]iotï ô^ Tauîe
et dii corps. Voilk quelle ei^l t.au< INnat
îa raison du i^ouvememcur, çoniuiidu mai*
t>u Contrat
à-propos avec le souverain , dont il n'<5s|
^ue le ministre.
Qu'est-ce donc que le gouvernement "5
TJn corps iniermédiaire établi eniie les su-
jets et le souverain pour leur niuîuellô
^correspondance , chargé de l'exécuiirm
<les îoix et du maintien de la liberté , tauj:
,civile que politiqu/j».
JLes membres de ce corps s'appellent ma-
gistrats o-ii rois , clest à dire gouverneurs ^
rCt le corps entier porte le nom de prince {i)^
Ainsi ceux qui prétendent que l'acte par
lequel un peuple se soumet à des chef?
îi'est point un contrat j ont grande rai*
«on. Ce n'est absolument qu'une commis^
«ion , un emploi, dans lequel., simples
ofïicicrs du souverain , ils exercent en soij
nom le pouvoir dont il les a figiits déposi-
taires , et qu'il peut limiter, modifier et
reprendre quand il lui pl*iit *, l'aliéuaiion
d'un tel droit étant incompaii-bfe avec la
nature du corps social , et contraire au
tut de l'association.
J'appeile donc gouvernement , ou suprê-^
ine administration , l'.exercîcc légitime de
(i) C'est ainsi qu'^ Venise on donne au
.coUége le nom de sÉRÉNissi^iE PKiKCJE I
fïxèpxt quand h doge n'y assitlje piis.
i o c I Â r. 9^
la p'inssance executive -, et prince ou ma-
gistrat , l'homme ou lé corps chargé de
cette administration.
C'est dans le gouvernement que se trou-
TPnt les forces intermédiaires dont les
rapports composent celui du tout au tout,'
ou du souverain à l'état; On peut repré-
senter ce dernier rapport par celui des
extrêmes d'une proportion ( onîinue , dont
la moyenne proportionnelle ;, est le gou-
Ternement. Le gouvernement reçoit dit
souverain les ordres qu'il donne an peu*"
pie ; et pour que Tétai soir dans un boii
équilibre , il i'aut , tout compensé , qu'il
y ait égalité entre le produit ou la puis-
sance du gouvernement pris en iui-iji^ème ,
et le produit ou la puissance des citoyens^
•qui sont souverains d'un côté et sujets de
l'autre.
i3e plus , on ne sauroit altérer aucun
des trois termes sans rompre à l'insfant la
proponion. Si le souverain veut gouver*
ner , ou si le magistrat vent donner des
joix , ou si les sujets reiusent d'obéir , le
désordre succède à la règle ; la force et
la volonté n agissent pi us de concert ,
et l'état dissous, tombe ainsi dans 1®
despotisme ou dans l'anarchie. Enun.y
tgianie il n'j a qu'un© moyenne prupoï-*
Î>l6r C 6 1^ 'f ^ ai a
tlotitiello en'^re chaque rapport, i! n'y i
tioïï phi?! qti^îii b<;n ^oiirtrnemenî possible?
dans lin état. Mais , comme mille évène*
ineris peuvent (hain*er les rapports u'^an
peuple, non*seijlemeiit difforen^ t^ouverne-*
ïïîPTJS peuvent être bons à divers peuples ^
niais au tneme pe'n)'e en dilTéreHS tfms*
Pour fâcher de doimer m ne idée des cîî-
vers rapports qr^î penrenr régner enrre eei
deux extrêmes , je pr/narai pourexeinp'o
le iiomVre du pe pia , €<.»mme un rapport
plus fa( île à exprimer.
Sîipp> S( îis qne l'état soit coînposé dg
dix nii!!e ti/oy ns. Le sonverain ne peut
erre considéré que colierîivfment et en
corps ; mais chaque particulier , en qi;a-
li é de sirjeî , esl cou-sidéré comins indi- "
vidti : ain i, le souverain' est au sifjet
comme dix nsi îe est à un ; c'esuk-dire ^
•que chaque nsémbre de Fétaî n'a pour sa
part que là dix mi'iième prtrîie de Pauto^
riîé souveraine , quoiqu'il lui soit soumis
tout entier. Qiie le T-euple soit coînpo^é
de cenî mille hommes, Teiat des sujets ntî
ch'^n'^;é pt*?-» , ei ciiacun porte é^aleuicnt
tout ren!])iie des loix , tandis que soa
Iiu«ïr9ge, réduit a urs <■ n- inillième , -a di^C
ïo . nu ins d'iuliucnce dans leur rédaction*
Aiois le sujet s.ei>iaat toajouiiuu, i&
s o c t Â. t: ^©
fnpnnrt du soiivordiri aniimenie en ralsoa
du j<oiiïbre des c'noyens : <roù il suit q le
})lus l'eut d'a^iaiiciit , plus ia liberté tii-
iinniie.
Quand je dis que le rnpport anp^mente ^
î'eni'riids qu'il s'el(»Tg?ie de i (^^atiié. Ain-
si , pliis l<' r.ifipo: I iisi ^Vdwd , dans i'ac-
cep; ion des ^eunièires , mvdns il y a <!«
rapport dans i'a( ctpiion coniniuiie : dans
la preiftière , le ra;q)o r , consiu ro selon
la qiianiir,* ^ se mesure par TexposaTr ; et
clftns In litre , considéré selon l'idtij iié ^
il vS'estiuie par la siuiiliiude*
Or^ moins de volonrés particulières r.e
rapportent a la volonté générale , c'est- à-
tlire , les mœurs aux icix;, plus la loi ce
répriinanfe dwir anj^^meiuer. Donc le gon*
vernenienr , pour èîie bon , doir être re-
lativement plus 'fôrr , à inesure qu«ï la
peuple esf plus nombreux.
I)*un aurre (ôré, Pa^-randissoment do
l'érat donnant aux déposiiaires de raïuo-
rilé pnbiique plus de tentarïons f?t de
moyens d'abuser de leur pouvoir , plus le
gouvernement doit avoir de force p^ur
contenir le peuple, plus le souverain doit
en avcir à son tour pour conieuir le fjOu-
Ytrnjmenu Je ne parle pas ici d'une iuicç
^6 BûCoNTHÀï
absolue , mais de la force relative des d!^.
verses parties de L'état.
Il suit de ce double rapport > c|ue là
j)ropoftion coiuiriuë entre le souverain ^
le prince et le peuple , n'est point une
idée arbiriaire , mais urie conséquence
liécessairede la nature du corps politique;
îl suit encore que l'un dès extrêmes , sa-
voir le peuple coinn.rne sujet, étarit fixe et
rerîrésenté par l'unité, toutes les fois que
ta raisoii doublée aiigmente ou diminue ;
la raison simple âugmenîe ou diminue
kemblablemenl , et que par conséquent le
îïiovrn terme est changé. Ce qui fait voir
qu'il li'y a pas une constitution de go'u-
Ternement unique et absolue , mais qu'il
peut y avoir autant de «ouvernemens dif-i
i'érens en nature , que d'états différens eu
grandeur.
Si tournant ce système en ridicule , ont
flisoit que pour trouver cette moyenne?
pioportionnelie et former le corps du goa-
Vernement j il ne faut , selon moi, qiie
tirer la racine quarréè du nombre da
peuple, je répondrois que je ne prends
ici ce non»ibré que pour un exemple; que
îes rapports dont je parle ne se mesurent
pas seulemeni ppr le nonî])re d'hommes/
jaiais en générai par la q^iantité d'actions,*
laq.uëilà'
s O C I A zl €ff
laquelle se combine par des multhiides de
causes; qu'au reste, si, pour m'exprimec
en moins de paroles , j'emprunte un mo-'
nient des termes de gôonictrie, je n'ignore
pas cependant que la précision géomé-
trique n'a point lieu dans les quantités ma*
l'aies.
Le gouvernement est en petit, ce qii^
le corps poliiique qui le reniernie est en
grand. C'est une personne morale douéer-
de ceriain<*s facultés , active comme le sou-
Terain , passive comme Pétat , et qii'oa
peut décomposer en d'autres rapports sem-
î)Ial)les ; d'où nait par conséquent une
nouvelle proportion,, une autre encore
dans celle-ci ; selon l'ordre des tribun&'ux,
j-usqu'à ce qu'oa arrive à un moyen terme
indivisible , c'est-à-dire , à un seul chef,
ou magistrat suprême, qu'on peut se re-
présenter au milieu de cette progression.
comme l'unité entre la série des fractions-
et; celle des nombres.
Sans nous embarrasser dans cette mul-
lîplicatiou 4e termes, conientons - bous-
dç considérer le gouvernement comme un
nouveau corps dans l'état, distinct du peu-
ple et du souverain, et intermédiaire entre
J'un et l'autre.
II y a cette difféiettce essôntielle entr^
ces deux corp.'î , que l'éîat existe par îuî-
même, et que le gouvernement n'exisré
^îie par le souverain. Ains;i la volonté do-
iraiKinré du prince n'est du ne doit êîré
que la volonté générale ou la loi ; sa forcé'
n'est que la force pubiiqae concentrée eu
lui : sirôt qu'il veut tirer de lui- aiênië
qnelqu'acte absolu et indépenilant , là
liaison dû tout commence d se relâcher;
S'il àrrivoit enfin que le prince eût une
To'onté particulière plus active que relia
Au souverain, et qu'il usât, pour faire
obéir à cette vrdouié parricunère , delà
force publique qui est dans ses mains ^
Bnsorte qu'on euî, pour ainsi dire, deux
«ouveraiîis, l'un de droit et l'autre de fait^
à Pinsîant l'union sociale s'évanouiroit , et
le corps politique seroit dissous.
Cependaiit, pour que le corps du gcu-'
yernementait une existence, une vie réelle
qui le distingue du corps de l'état, pour
que tous ses membres puissent agir dé
concert et répondre à la iin pour laquelle
il est institué , il lui faut un moi parti-
Ciilier , une sensibilité commune à ses
membres, une forcé , une volonté propre
qui tende à sa conservation. Cette exis-
tence particulière suppose des assemblées^
àe& çQBaeïh ^ un puiiToir «Je délibéif^^l
s O € î A 1. ^5
4Î0 résQïidre , des ciroiis , des sitics , deç
piivilé^cs qtaappani nncnt au piiru.e exr
..çlusi\e!îie\ît , ef ([ui ieuûint la conditioi;!
du iTwigisîiat plus lioiiorabie à proporûon
qu'el'e est plus pt'-idble. î.es iliilîçuhé^
sont dans la tiianièie d'ordonner, <ians
Je roHt , ce tout suljalieiue , de sorie qu'il
i**a!:èrû point la constitution générale exi
^ilej!flissaiit Ja sienne; <}nUl disiingue
Ion jour s sa force particulière destinée à
sa propre conserva lion , de la force pu-
î)iique destinée à la coitservaiiôn de Térat;^
^l cju'eii un mot , il soit toujours prêt à
sacrifier \e ^ouvorneincnt au peuple j cl
lion le peuple aii^iiVèri^emenr.
DViilleirs, bien que le corps artifi^ciel
^u p^oarernement soit l'ouvrage d'un âufi^e
corps arliliciel, et qu'il n'ait en quelque
sorte qu'une vie cm])rnntée et subordon-
-lîéej^ cela n'einpéche pas qu'il ne p'.:isse
'agir avec plus ou moins de vigueur ou tl©
célérité-, jouir, pour ainsi dire, d'une
«anfé plus ou ^loius robuste. Enfin , sans
s'éloigner direciement du but de son ins-
titution, il peut s en écarter plus ou
n oins , selon la manière dont il est cons-
titué.
C'?st de toutes ces différeBces qu^
|\«?fissent léJS rapports divers que le^^^ou*
300 BV^CONTHAT
irernement doit avoir avec le corps d»
i'état , selon les rapports accidentels et
particuliers par lesquels ce même état est
modifié. Car souvent le ^ouyernement le
meilleur en soi deviendra le plus vicieux,
-«i ses rapports ne sont altérés selon les
défauts du corps politique auquel il ap-
partient.
^*'*' m- ■MIIIMII ■liai ■![ Mil III I ■■ . I_. I. _ I ■ ■IIWII — ■■■IMIl I^IIIIIMM^ ■ ■ I ■■Wlll 1
CHAPITRE II,
JDu Principe qui constitue les di-'
i^ers es formes, de Gcuv^memens*
A ouR expos-er la cause générale da
ces différences , il f^^ut disîiiiouer ici le
prince et le go^uvernement , comme j'ai
•distingué cidev^nt i'^tat et le souve-
a*ain.
Le corps du magistrat peut être com-
posé d'un plus grand ou moindre nom*
i)re de membi^s. Nous avons dit que le
rapport du souverain aux sujets étoiî
•d'autant plus grand , que le peuple étoit
plus nombreux , et par une évidente ana-
logie, nous en pouvons dire autant dugou»'
^.exn^meiu à l'égard des jtûagifitiats.
s O C 1 A t. 101
<5r, la force totale du gouvernement
iétaft toujours celie de l'état, ne varie
^oint : d'où il si:it que, |jlus il use de
cette tbrce sur ses propres menîbres,
moins il lui en resie pour iî^ir sur tout le
peuple.
Doiic , plus les maf*istrais sont nom-
))reux, plus le ^^ouvcrnsinent est ïoiblc-
Comme cette maxime est iondamearale ,
«i|)plH|uO'ns-nous à la luicu.x ccîaircir.
Nous pouvons distinguer dans la per-
sonne du magistrat trois T-olontés esseniiel-
lemeïit dii'iéjrentes. Premièrement, la vo*
lonië propre de l'individu, qui ne tend
qu'à son avantage particulier ; seconde-
ment, la volonté commune desnjanijj^'raLS,
qui se rapporte uniquement à l'avanta^^^
dîi prince, et qu'on peut appeler volonté
de corps, jaquellc est générale par rap-
port au gouvernement , et particulière
parrap; ort à l'état, ilont le ^oiivernenient
fait pariie; eçi troisième Heu, U volonré
iiupeupleoula volonté souveraine, laqueHe
est générale , tant par rapport à l'état
considéré comme le tout, que par rapport
au gouvernement considéré comnve parliâ
du tout.
Dans une législation parfaite, la volonté
jfârticuUère ou indifldueile doit être niiUe»é.
^OÊ B tr C O N T B. A T
I.a voîODîé du corps propre au cronvevîî®-
ïDent irès^sr-bordonrjce, et par conséquçn^
îiîvohiiiié générale ou souveraine, toujours^
^îonii.umîe, est la lè^le unique de toutes
les autres.
Selon l'ordre naturel, an çoiitraire ^
<es différentes Tolontés deviennent plus,
îîciives à mesure qu'elles se concentrent,
i^iusi, la volonté générale est toujours
la plus foibi© : la volonté du corps a le
fécond rang^ et la volonté particulière.
le premier de toiH : de sorte que dans
3e gouvernement , chaque membre est
premièrement soi-même , et puis njagis-
îï'at 5 et puis citoyen ; gradaîion diiec-
tentent op|:osée à celle qu'exige l'ordre
social.
Cela pose, que lout le gouvernemenî;
i;oit entre les mains d'un se al ii^mu^e i
Toi là la volonté particulière et la yolonté
^ u c r p s p a v l'a h e m e n t r '^ u n i t-: s , et p a r
conséquciit ceUe-d au {>Ij:s liaut «iiogré,
^l'intensiLé qu'elle piûssc avair. Or., comme.
ç'est du degré de la volon'ué que déj^en^
l'usnge de la iorc e , et que la force ab-
solue du gouvernement ne varie point ^
il s'ensiât que le plus actif àçz gouverne*
ippen^s est celui d'mi vseuL
j^l'^^^^^'^K^'^À^'^v iiîiV&oHs le gOLivernQmQ;r*.li
s o c I A t-* io5
i PaïUorité législative; faisons !e prince
<lii soiiverf^in , et de tons les ciroyeni
pillant de magistiats ; alors la volonté
du corps, coniondiie avec la volonté
pjénérule , n'aura pas plus d'activité
f}uVllç, et laissera Li volonrô parliculière
flans toute sa force. Ainsi le gouverne-'
inent, toirjftiîrs avec la môme force ab-
çoltie , sera; dans son maximum de force
relatire ou d'activité.
Ces rapports sonr, incontestablexS, et
^'autres considérarions servent encore à,
le? conliriïîer. On voit, par exemple^ que
chaque magistrat est plus actif dans sou
^orps que chaque citoyen dans le sien^
«t que ])ar conséquent, la volonté*' parti-
culière a beaucou]> plus d'inOuence dans
les actes du gouverneuient, que dans ceux
ilu soMverain^ car chaque magistrat est
presque toujours chargé de quelque fonc-.
tion. du gouvernement , au lieu que chaque
citoyen , pris à part , n'a aucune f(;ncnoïi,
ide la soiTvVeraineré. D'ailleurs, plus l'état
«'étend, plus sa force réelle a<ip;4icu{0 ,^
quoiqu'elle n'augmente pas en raison de
àon étendue : mais l'état restant le mciue <>
les magistrats ont beau se multiplier, f^-
gOKvernemeat n'en acquiert pas une t)Ius
^rao^dç ib\ç^ réelle ^ vï^ïc^ q^i^ celte forc^»
■est celle de Pérat , dont la mesure est tou«»
jours égale. Ainsi, la force relative ou
l'acîiviié du gonvernement diminue , sans
<que sa foiH:e absolue ou réelle puisse au^*
înenîer.
îl esr sûr encore que l'expédition des
affaires devient plus 1-enîe, à mesure que
plus de ^;ens en sont chargés; qu'en
4fionnant trop à îa prudence ,• on ne donne
pas assez à la fortune -, qu'on laisse échap-
per l'occasion, et qu'à force <le délibérer,
en perd souvent le fruit de la délibéra-
tion.
Je viens de prouver que le gouverne-
ment se rel-àche à nsesuie que les ma-
^isîniis se muliiplieni -, et j'ai prouvé ci-»
devant que plus le peuple est nombreux ,
plus la fur^e ropriutanie doit au<>uienter»
i)'où il suit que le rapportdes magistrats
-du gouvernement doit être inverse du
rapport des sujets au souverain : c'est-à-
dire , que plus l'éiat s'agrandit , plus lô
gouvernement doit se resserrer.; tellement
^que le nombre -des chefs diminue en rai*
fion de i'augmenîaîioR du peuple.
Au resîe , je ne parle ici que de la force
relative du gouverneu>etU , et non de sa
rectitude : car , au contraire, p'us le ma*»
^isa^t est iiumbreux^ plus ^ yoloiuô dm
s o c I A X. so5
eorps se rapproche de la volont<^ générale;
«u lieu que, sous un ma<^islrat unique,
cette même volonté de corps n'est, comme
•je l'ai dit , qu'une volonté paniculièie.
Ainsi Ton perd d'un côté ce qu'on peut
gagner de l'autre ; et l'art du lé^^isiateur
€st de savoir fixer le point où la force et
la volonté du gouvernement , toujours ea
proportion réciproque , se combinent
<ians le rappert le plu« avantageux à
rétar*
■WMMMMMMMMMMMBMMMMBM ■Mil «Il IIMIIWBMMM— H— il
— 1 1„. I , I -^-
CHAPITRE III.
Division des G ouvememens^
\_/N a TU, cbns le chapitre précèdent^
pourquoi Ton distingue les diverses espèces
ouibni'.es de gouvernemens par les nom-
lires des membres qui les composent ; il
resteàvcir dans ceiui-ci comment se fait
celte divibiou.
I.e souverain peut, en premier lieu ^
commettre le dépôt du gouvernement à
tout le peuple ou à la plus grande partie
Âïx peuple, ensortô c^u'il y ait pLu5 dft
|o6 D xr C o N T :è A T I
citoyens ma|_isî:rats que de citoyens si^pples i
Particuliers. On donne à cetie ibrme Ue i
jgoijyernenient le nom de déinocratic^ \
. pu bien qu'il peur resserrer le gonvejrne*
lîient entre les mains ^''un peut nombre ,
eîisorre qu'il y ait plus de simples citoyens ■
f^i e de 2îia[;isîrats \ et cetie loraie porte le
|îr|ii Ci aristocratie ,
Enfin il peut concentrer tout le gouver-
nement dans les mains d'un n^agisrra^
Tiniijiie dont tous les autres tiennent leur
ppiiv oii\ Cette troisième forme est la plus
COUMHune 5 et s'appelle monarchie^ pu gou-
TpînemeriE royal.
Ou doit remarquer que toutes ces formeSj,
ou (lu inoins les deux preniières , sonî
«^isceptibîes de p»lus ou denipins, et ont
^eme nne assez grande latitude ; car la
^éiiaocraliepeut embrasser tout le peuplcj^
ffii le resserrer iusqu'à la nioitié. L'aristo-
cratie, à son tour, peut , delà moitié du
]*euple , se resserrer jusqu'au plus petit
jb ombre in dé terminé ni en t. La royauté
jnême est susceptible de quelque partage»
Sparte eut constainment deux rois par sa
fonsîituiion ; et Ton a vu, dans l'empire
romain, jusqu'à huit empereurs à*la-foiSj,
»ans qu'on put dire que l'empire iî\\ divisé»
^iiisi il y a im point oii çiiaque ionne 4»
s o c I À ti \of
gouvernement se confond avec la sui-
vant e, er. Ton voit que y sous trois seules
ilônominetions , le <Jouvernenient est réel-
lement Susceptible d'ajitant de l'orme»
diverses que l'état a de citoyens.
Il y a plus : ce même gouverncmenl»
pouvant , à certains égards ^ se subdivisei^
eu «rautres parties, l'une adminisiréel
d'une manière^ et l'autre d'une autre, il
peut résulter de ces trois formes combi-
iices une multitude de formes mixtes, donc
chacune est multiplicable par toutes Iq%
formes simples.
On a de tout téms beaucoup disputé
sur la meilleure forme de gouvernement ^
sans considérer que chacune d'eljes est
la meilleure en certains cas, et la pire eri
d'aiitres.
Si dans les différens états , le nombre
des magistrats suprêmes doit érrè en rai*
èon inverse de celui des citoyens ^ il s'eii*
suit qu'en général le gouvernement dé-r
tnocratique convient aux ])erits états ^
, l'aristocratique aux médiocres , et le mo-r
harchique aux grands; Cerje règle se lirai
immédiatement du principe; mais com-
harnt compter la. multitude de circons*
tances qui peuven;. faviriaii* d(?3 e^cep--
DU Contrat
CHAPITRE IV.
jDe la Démocratie*
VJELiri qui fait la loi sait mieux que per-
sonne comment elle doit être exécutée eî
inrerprêtée. Il semble donc qu'on ne sau-
roit avoir une meilleure eonsrirutîon ou©
celle où le pouvoir exécutit" est joint au
législatif: mais c'est cela même qui rend
ce gouvernement inshfiisant à certain»
égards , parce que les choses qui doivent
être distinguées ne Je sont pas, et que
le prince et Je souverain n'étant que la
mêm« personne, ne forment , pour ainsi
dire , qu'un gouvernement sansgouverne-
jnent.
Il n'est pas bon que celui qui fait le»
loix les exécute , ni que le corps dix peuple
détourne son attention des vues générales^
pour les donner aux objets particuliers*
Kien n'est plus dangereux que l'influence
des intérêts privés dans les «flaires pu-
bliques 5 et l'abus des loix par le gouver-
nement, est un mal moindre que la corrup-
tion du législateur, suite iulailjible de»
fii€» particulières. Alors Tétat étant ai téi*é
Social- i(>^
dans sa substance , toute réforme devieuE
împossiîile. Un peuple qui n'abuseroit ja-
rrais du gouvenioment , ii'abuseroit pas
non plus de Piadépeiiclance ; un peuple
tqui vSe gouverneroit toujours bien j n'a^*
roit pas besoin d'être gouv'erné.
A prendre le terme dans la rigueur dB
ï'ftccepiii)n , il n*a jamais existé de vérir
tablé dénïocratie , et il n'en exisrera ja''*»'
mais. Il est contre l'ordre ^naturel que le
^rand nombre gouverne, et que le petit
soit gouverné. On ne peut imaginer qud
}e peuple reste incessamment assemblé
•pour vaquer aux affaires publiques, et l'on
voit aisément qu'il ne sauroit établir pour
cela <les commissions^ sans que la iorm©
. «le l'administrai ion change*
£n fîtfet , je crois pouvoir poseren prin-
' içlpe , que, quand les fonctions du gouver-
nement sont partagées entre plusieurs tri-
bunaux, les moins nombreux acquièrent;
tôt on tardsla phis grande autorité, no
î'ùt-ce qu'à cause de la facilité d'expé-
dier les aiVaires qui les y amène naturelle^
inanr.
. D'ailleurs, que de choses difficiles ^ à
' réunir ne suppose pas ce gouvernement l
Premièrement , un état très-petit , où im
«upU SQÏi facile à rassernUier^ et où ri^^^
% xo BU Contrat
que citoyen puisse aisément connoîtffe
tous le« autiâs ; second^inent , ime grande
simplicité de mœurs qui prévienne la mul-
titude d'ail;àiies et lei discussions épî-
Heuses', ensuite beaucoup d'égalité darit
les rangs et dans les fortune* , sans quoi
l'égalité ne sauroit subsister long-tcms
dans tes droits et Pautorilé : enfin peu ou
poiiu de luxe ; csr , ou le luxe est l'effet
des richesses, ou il les rend nécessaires; il
corrompt à-la fois le riche et le pauvre,
Van par la pt)sses3ion, l autre par la (on-
voiiise; il vend la patrie a la moUesse, à
la vanité •, il ète â l'état tous ses citoyens
pour les asservir les uns auxâutrOs, et tous
à l'opin on.
Voila pourqtioi un auteur célèbreadoh»
tié là vertu pour principe à la république j
car toutes ces ccniliiions ne sauroïent sut-
sister sans la vertu; mais faute d'avoir
fait des distinctions nécessaires, ce beau
génie a manqué souvent de jusiè^sse , quel-
quefois de clarté , et n^a pas vu que Paû*
toiité souveraine étant par- tout la même ,
le même principe doit avoir lieu daiis tottt
état bien constitué *, plus ou moins, il est
vrai , sekon la forme du gouvernement.
Ajoutons qu'il n'y a pas de gouverrt'e^
Vk9ui «i suj^ça^x ^^uerrcs civiles et &u«
s o c i A r. ut
a^îratioivî îûrestïiies que le déuiocraiiqiîe
ou populaire, pane quMl n'j en a aucun
qui tende si forteiï) eut et si continuelle-
lïient àchaiij'^er de iorinc , ni qui deniande
pliii de Tjt^iliince et de couia^^e pour élr«
maintenu tians ta sienne. C*eft sur-tout
^Uns celte constitution que le citoyen doit
ji'avni^r de t'oici> et de constance, et dir^
chaque jour de 3a vie au tond de soii
cœur, ce qucdisoitun vertueux ï^alatin (i)
cians la diète de Foloî»ne : Mulo pcricu^
losétni llbertaSem quant queium scrvitium.
^'\\ y avoit un peuple de dieux , il st
eouverneroit démocratiqueineni. Un ^ow-
^erueriient si parfîeiit lïe convient pas à
des bomuies.
mtmÊumémmmmtÊBÊKmimtiÊimammmmasim
■ ■■ I ■ ' ■ ■»
CHAPITRE V..
X)e l'Aiislocfatie.
N.
otrs avons ici deux perjjoiuii^s morale.^
très-distinctes ; savoir , le gouvernement
et le.souverain •, et par conséquent deux
{t^ LcPaluîin de Posnanie , père du rai
de Pologne j duc de.Lorrnine»
G -4
ïîîî Btr CoNTÏlAf
voiontés générales , l'une, par rapport k
tous les citoyens , l'autre seulement pour
les membres de Tadininistration. Ainsi ,
bien que le gourernement puisse régler sa
police inrérieiue connue il lui plaît , il ne
peut jamais parier au peuple qu'au nom
du souverain , c*est-k-4iire au nom du
pf uple même j ce qu'il ne Idut jamais ou»
hlïtr.
Les premières sociérés se gouvernèrent
arisrocrati juement. l-es chefs des familles
delibéroient entr'eux des affaires publi-
ques. Les jeunes ^ens cédoient sans peine
à rauîoriîé de Pexpérience. De -là , les
îîoms de prêtres , d'anckns , de sénat , de
gérantes. Les sauvages de rAra€*rique sep-
tentrionale se £;ouvcrnertt encore ainsi de
nos jours ^ et sont tiès-bien gouvern'és*
Mais à mesure que l'iné^:;aliré d'institué
tion l'emporta sur rinégalîré naturelle , la
richesse ou la puissance (i) fut préférée à
Jâge, et l'arisfocratie devint élective. En-
fin , la puissance transmise avec les biens
du père aux enfans, rendant les familles
praticiennes, rendit le gouvernement hé^
(i) îi est clair que ie mot orTîMATsa
cb«'/ les .anciens, ne veut pas dire lestfîeiU
leurs ^ mais les plus puiss^ns.
SôCIALo 113
n'dîfaire , et l'on vit des sénateurs de
"viiigr ans-
II y a donc trois sortes d'aristocratie;
naturelle y élecrive , héréditaire. La pre-
rhière ne convient qu'à des peuples sim-
ples ; la troisième est le pire de tous le»
gouveruemens. La deuxième est le meil-
leur : c'est l'aristocratie proprement dite^
Outre i^avantage dç la distinction des
deux pouvoirs, elle a celui du choix de
ses membres ; car , dans le gouvernement
populaire, tous les ciioyens naissent ma-
gistrats, mais celui-ci les borne à un pe-
tit nombre, et ils ne le deviennent que
par élection (i); moyen par lequel I?. pro-
bité, les iumières, rexpériencc, et toutes
les autres raisons de préférence et d'es-
t.me publique, sont autant de nouveau^c
garans qu'on, sera sagement gouverné.
m II I. I ■!■.»■ r ^.. I «Il —
(i) ïî importe beaucoup de régler par^
^es loix la l'orme de l'élection des magis-
trats : car , en l'abandonnant a. la volonîâ
du prince , on ne peut manquer de tom»
"berdans l'aristocratie hércdiraite, commo
il est arrivé aux républiqi-es de Venisb
et Es-RNE* Aussi la première est-elle de-
puis long-tems un état dissous _, mais la
seconde se maintient par l'extrêmesagess^'
•die son sénat ; c'est une exception bien iiO*
^orahle et bien dangereuse.
G 3
t34 î>tT CoNTl^Air
De pliîs, les assemblées se tont pTnt
commodément, les alTaires se cliscuTenf
mieux, s'expédient avec pins d^ ordre et
<îe dilii^ence; le crédit d« l'état estinieux
soutenu chez l'étranger par de vénérable»
sénateurs, que par une multitude incoa-
îïu.e ou Kié prisée.
En un mot , c'est Tordre le meilleur et
îe pins nature) , que les plus sa|»es goa-
vernent la multitude , quand on est sûr
qu'ils la gouyerneront pour son profit et
Tion pour le leur. U ne faut point maltî-
plier en vain les ressorts, ni faire, avec
vingt mille hommes ^ ce qtie cent homme» ,
choisis peuvent faire encore mieux, Mai«
il faut remarquer que l'intérêt de corps
comr^ience à moins diriger ici la force
publique sur la règle de la rolonté géiié-
raie, et qu'une autre pente inévitable en-
lève gux lojx une partie de la puissance |
executive. j
A Pégard des convenances priTîî cuîiéresi^ I
il ne faut ni un état si petit , ni un peuple
si simple et si droit, que l'exécution des f
Ipixsjiiye immédiatement de U Tolonté
publique , comme dans une bonne démo^ |
cratie. Il ne laut pat non plus une s^
grande nation, que les chefs épars pour 2i| |
l^ouvêrner puissent trancker du. souTeraÎQ
s O C I A t. 1 l5
clwcnn dans son déparremenf , et corn-
«i**ncer par se rendre intlépendaHS poui?
devenir enfin les maîtr'^s.
Mais si rarisioiratie exigeqneîques ver-
tus de moins qne le gouvernement popu-.
Iaire,e leeii«xîjieaiiisî d'autresquilni 5!ont
propres; comme la modcrution dans les
riches, cr Iccont^ntenieat dans les pauvres;,
car il semble qu'une égalité rigoureuse y
seroir déplacée ; elle ne fut pas même ob-:
servée à Sparte.
An reste , sî cette forme comporte ime
certaine inégalité de fortune, c'est bien
pour qu'en général l'administrarion des
oiTaire» publiques soit confiée à ceux qui
peuvent le mieux y donner tout leur tems^
mais non pas, comme prérend Arîsrote,
pour que les riches soient totiiours préfé-^
lés. An contraire, il importe qu'un choix,
opposé apprenne quelquffcis au peuple
qu'il y a dans le mérite des hommes , des
raisons de prtfc »ence plu» im|)ortantesjg[ue
U jrichestc.
6 4
'i*i6' BIT Contrat
paass
i M" '■ i > ■ ! ■ "^ " ■ <■ ' ■ < i « m , ' I m . I " i_. > j ■' » Il I .. ■ i l ■ n i .. >#.
CHAPITRE VI
JDe la. ]S3.onarclii&.
%
usqu'icr nous avons considéré le prince
comme une personne morale et collectivey
aonie par ia force des loix , et dépositaire
jdans l'état de la puissance executive^ Noua
avons maintenant à considérer cette puis-
sance rénnie entre les mains d'une per-
sonne naturelle, d'un homme réel, qui seul
teit droit (\^^x\. disposer selon les loîx. C'est
ce qu'on appelle un monarque ou un roi.
Tout au contraire des autres adminis-
trations oii un être collectif représente un
individu , dans celîe-ci , un individu repré-^
sente un êire collectif; ensorte que Fu-
jiité morale qui consrit!îç le prince ^ est
en même-t€m5 une unité physique , àd^nà
laquelle toutes les facultés que laiôi ïéu-
jiit dans Pautre , avec tant d'efforts , s®
îrouTent naturellement réunies.
Ainsi la volonté du peuple, et la vo-
lonté (iu prince , et la force publique da
l'état , et la force parliculière du gouvGr-
ia^îîient ^ tout répond au ixiêxne mobile |
s G C I A T . 117
tvws les ressorts de la machine nom dans
la njêineniain ; tout marche au même but :
il ii'y.apojiude mouvenieiis opposc'^s qui
s\nrie çlt^truiseiir-, er.M'on ne peut inmgi-
iier aucune sorîe de cgnsiïîufiQn dans, la-
quelle un moindrf; cifoit produise une ac-
tion p!u5;..con.si.d6rahle^ ArchiiMod^ assis
îraiiquillpinent sur le .fiv*»g^.,,ei, tirant sans
peine à . flot un i^riind vaisseau, me pré-
iîeiit^ un .moiflnr(|ue habile ,, gouverna nr de
s(>u ,cabi4jçt ses. vasies ^tats , .et. faisant
tonl mouvjoir en paroissant imiuobiie.
Tvîais.jS'il n'y a poiîXt..de. ^puyernement
qui air pbvs.de y3^ueiH',>,il,.ï^*y ^!^.^ Ppi"?
eu la volonté nartici.diore ait plus d'em-
j)ire , et domine plus, aisément. les a^nties;
tout marche ai^ même, but , il est vrai -,
inais ce but n'est point celui de la Icîi-
çité publi([ue ; et la force même cii? Vj^d-
Xiiinistration tourne sans cesse ai|, pr(^-
judice de Pétar.
^. Les, rois veulent etre.absqîuç .;,, et dç
J^QJU on leur crie que ,ie j^neiiioîu. moyen
4e l'éi:re , est de se faire ainir^r de leurs
peuples. Cette maxime est très-belle ,
et même très-vraie , à certains égards.
Haiheureuscment on s'en iiioquera îou-
p.iu's dans les cours. La,., puissance qui
"vieiiC tie ruAicur des peuples o'-r sans
G 5
Il8 iO IT C C N T R A f
cïoiïte la plus grande ; maïs ellç est
précaire et ronditionnelle : jamaivS îe^
jprinces ne s'en contenteront» Les meiU
leurs rois veulent pouvoir être médians
s'il leur plaît , sans cesser d'être les
maîtres. Un sermoneiir politique anrât
heaa leur dire que la force du peuple
étant ta leur , leur pins grand intérêt
^st que le peuple soit florissant , nom*
breux , redoutable ; ils savent très-hien
que cela n'est pas vrai. Leur intérêt
personnel est premièrement que le peu»
pie soit foibîe , misérable , et qu'il nô
|>iiis.se jaruais leur résister. J'avoue que ,
Supposant les sujets toujours parfaitement
soumis , l'intérêt du prince seroit alor*
que le peuple fût puissant , afin que cettd
puissance , étant la sienne , le rendît re-
doutable à ses voisins; mais, comme cet
intérêt n'est que secondaire et subordon^
ïié , et que les deux suppo-citions sont in^
ç<:!nipatibles , ii est naturel que les priîi?».
Ces donnant toujours la préférence à îlt
ftiaxime qui leur est le plus inimédiat^v
îîient utile. C'est ce que Samuel^ reprë«.
&entbît fortement uvx Hébreux ; c'tîst c^
que Machiavel a fait voir arec évidencei
Jln feignant de donner des leçons aux
rois , il en a donné de grandes aux pe^u^
s o c I A I.; it^
pies. Le» prince de Machiavel esi le livi^
des républicaÎR».
Nous avons trouvé , par les rapports gé*
néraux, que la œonarcliip n'est convenâ»-
ble qu*aux grands états ; et nous le iiou-^
vons encore en l'examinant en elle-même.
Fins l'adiîinisrration publique est nom-
breuse , plus le rapport tlfi prince aux
sujets iliminue et s'approche ée Vép^^ilï (^ i
ensorte que ce rapport est un , ou Véj^a.'
lité même dans la dëmocraiie. Ce nnt^me
rapport âuginentG à mesure que le goii-
Ternement se resserra ; et ii est dans sou.
7naximum , ^nan»i le gouvernement est
dans les mains d*uii seuL Alors il se
trouve une trop grande distance entre
îe prince et le peup'e ; et Tétat manque
de liaison. Pour la former , il faut donc
des ordres intermédiaires ; il faut de*
princes y des grands , de la noDie^se
pour les remplir. Or , rien de tout cela
Tie convient à na petit état, que ruinent:
tons ces degrés.
Mais s'il est difficile qu'un grand état
soit bien gouverné , il Pest beaucoupr
plus qu*il soit bien gouverné pai' un seviL
homme; et chacun sait ce qui arrive ji^
(|uand le(roi se donne des substituts.
JJjk défaut esseRtiel et inévitable ^ c^ui.
G 6
•%.
ïl5*^ t) V CoNtRA'ï
irf^rrra toujojirs îe gouveniement monaî^*
chique all-des^^oas du républicain ^ est
qiie , dans celui-ci , la voix publique n^é-
3ève priesqiïe jhmaivS au^ preciièi-rs placés
q^iie des hommes éclairés ec capables ,
q'ui les remplissent avec honneur; au
leu que ceux qni parviennent dans les
monarchies, ne^sont le pi as .s'(înteirif^qne
d'e petits broiallons , de petits t'rîpons ,
«de petits in rrigans, ^ qui les pe lits ta»
1 ëiià , qui f o îU , d a n s 1 e s c o y r s , p a r v e n i r
eux grandes places , ne servent qu^à'iiion-
tfer airpublic leur inepîie , auSsi-tô't'qu''ils
y sont parventîs. Leq:>eup(e se troinpe bien
inoins sur ce cifoix qiie le prince ; et un
Jïomme d^un vrai mériie est presque aussi
rare clans le ministère , qu'rin soi à là îétô
d'un *^ gouvernement ' repu blicàin. * ^^'lissi ,
cj\iiand , par' quelque Heureux hasard , un
d[ ces hommes iiès pour gouverner prend
lé tîmofi'cles alfaircs dan.^ nnè monarchie
presque abiméé par ces tas de jobs régis-
seurs ,. en est tout surpris des ressources
c*u'ii trouve , ^i cela fait époque dans
ujl pavs.
Pour qu'un état monarchique pût -'être
bîcn gouverné ,' il f'audrôi/ qiie sa"^ ^grân-
feieur ou son étendue fut rriesur'ée aux fa-
ciilrés de celui qui ^^ouveiKe^ II est ]^\ù.%
^ ^ ^ * •
s O C T A T,. 122
aîs<^ cîe conquérir que de régir. Avec un
levier s^iilisant , d'un, tioigt on peut ébran-
ler le inonde ; mais pour le soutenir^, jl^.
i'j^ut les épaules d'Hercule. -Ponr, p^u^
qu'an état soit grand, le j)rinre est près-,
que toujours trop lerir. Quand .au cun-
traire il arrive q;;e réiar, est, ticop. ,]\eût^
p.Qur son chef ,. c'est fe qui csr. u* s i-are ,
il est eix.ore m^il gQuycrné , parce que lo,
chef 3 sui\ant loinours'la ^randoui;,de ^es.,
rues., oublie; U3j>i^i||éi:êîS de^s peuples ^ et
rje ics rend pf\s îj-oins malhepieiix , pa*.'^
Tabus dc;s ialen% qu'il a de trop^ qu'un
c.Iiei'J^oj'u^' p^r Iç déi.iut de ceux qui lui
e
XV. q.ii qii en ^. J 1. ia u d r o j t , p p u r a i ri si di i
qfi''i!U rovauxue s'éreudii iu» sercss^niu à
chaque rè^ne , ^elou.la portée dq princejvv
î=u lieu que leîj i.alens d'un sénat^j^ iryjjtn.t^'
des li.esures pj.i^s , i\xes , réfat j;e"ui avoir .
des borrjei» éonstarxies , et radininistraiioii.
iv'a'îer j^as uiç>Âns tj;ieçi»
I^e .piys. sçnsil^lg^ inconvénieni du ^oii-^
ycrnenient d'ui^^seul^-est le d|ît'^u.t d^. cène.
Sitccession conriiî!>elîe qui l'orme dans les
deux autres une liaison jvon inrcivompue.
Uu roi mort il f n iaut uu ayti;e; les élec»
lions laissent des infcrvà}le3 -dangereux \
elles sont praaeuies i et , à moins que (ea;
Citoyens ne soient iiiax désiniei'csseincntj
cl*une intégriré que ce gouvernement ne
comporte guères , la brigue et la corrup-
tion s*en mêlent. Il est difficile que celui
k qui Pétat s'est vendu ^ ne le rende pas
à son tour , et ne se dédommage pas
sar les foibles , de i'argçnt que les puis»
sans lui ont extorqué. Tôt ou tard tout
devient vénal sous une pareille adminis-
Êïation ; et la paix dont on jouît alors
sous les rois , est pire que le désordre
des interrègnes.
Qu'a ton fait pour prérenîr ces niaH:xl
on a rendu les couronnes héréditaires
dans certaines f uniWes , et l'on a éttablî
un ordre de succession qui prévient toute
dispute à la mort des rois ; c'est-à dire ,
que, substituant l'inconvénient des ré*
gences à celui des élections , on a prétéré
une apparence tranquille à une adniinis*
traiion sage; et qu'on a mieux aimé ris-
quer d'avoir pour chefs des enl'ans , des
monstres , deB imbécilles , que d'avoir à^
disputer sur le choix des bons rois : on
ïi'a pas considéré qu'en s'exposant ainsi
eux risques de rahernatiye , on met pres-
<|iie toutes les chances, contre soi. C'é-
toit nn mot très-sensé , que celui du
îeune Denis à son père, qui, en lui rrpro*
^hmt une action honteuse , disoît ; ï'ea
iî-îe dônnY* Vexempfe ? Ah ! répondît It
fils , votre pèi<» n^étoîf p «vS roi.
Tout concourt à priver de justice et de
taison «n homme «'levé pour conini^^nder
aux autres. On prend heai^coup de peines,
à ce qu'en dir, pour enseigner raix jounes
princes l'art de régîier ; il ne pnroîi pnst
que cefte ëdurarion leur profite. On fe-
roit mieux «le commencer par leur ensei-
guer Part d'obéi r„ I^s plus grands roi«
qu'ait célébré Phistoire , n'ont point été
élevés pour ré^iuer ; c'est une science
qu'on ne possède jamais moins qu'âprôs
l'avoir trop apprise , et qu'on acquiert
jnieux en obcissnnt qu'e?i commandaTir»
2^ amiitilissimus idem ac hrevisslmus ho^iarum
malarum que rerum ddectus ^ cogitare quid ant
noîuerîs suh alio principe ^ aut volnerls. (i)
Une suite de ce défaut de cohérence
est l'inconstance du gouvernement royal ^
qui se réglant tantôt sur un plan et tantôt
éur un autre , selon i« caractère du prince
qui régne ou'des gens qui régnent pour hii^
tie peuvent avoir long-tcms un objet tixô
îii une conduite conséquente; variation
qui rend toujours l'état flottant de maxime
en maxime, de projet en projet, et qui
îi'a pas lieu dans les autres gouvornemens^^
f I .1 ■ !■ Il ' !.. I III ■■ I II I I ■ I l ■■ m II — ^— «^
(i) Tacite ^'iiist. L. !•
>
VÎT
^ Îi4 -O tJ C. © ^ T R A
OÙ ie prince est toujours le niei^c. Aussjî
voit- en qu'en général , s'il y a plas de
ruse dans une cour , il y a, plus de sagesse.
<ians un sénat ^ et. (|ue Les. -i'épubUquesi
'^Quf: i leurs iins par ^des vue;?, plus .cous-
tantes, et mieux suivies ; 4a lieu que
chaque révolution dans- le ministère ei^
produit une dans l'état ; l^i maxime- corn-
lîiHne à.toas les ministres , et- presqu^^r
tous les rois , étant de prendre en ^ouîe$
choses le contre- pied de leurs p-rédéces*
seurs.
Dans cette même incohérence se tire
«ncore la solution d'un sophisme très*
iamiiier aux politiques royaux-, c'est non»
seulement de comparer le gouvernement
civil à un goiiverneinent domestique, et
le prince au père de famille, erreur déjà
xéfutée , mai? encore de <ioni5er libéra^
îement à ce magistrat, toutes les vertus
4iont il auroit besoin , et de supposei*
toujours que le prince est évidemment
préiérabie à tout autre , parce qu il est
incontestablement le phis l'orl , et que ,
pour être aussi le in^eUleuv , il ne lui
Tuanque quVme vo'oîtié de corps plus
Conforme à la volonté géii'irale.
- Mais si, selon Platon ;;r) ^ ie ro], par
(i) In civilL
s O C T A H. 125"
la nature, est un persorniane si r«re ,
coiiilûen de t'ois la nature etNa Ibrtu
concourroiu-elîes à le couronner I iil si
l'éducaiîon royaîe corrompt n<!M:e»8aire-
xr.ent ceux qui la reçoivent, (|ue doirt-oa
espérer d*ime suite d'iioniines élevés pour
régner i C'est doue bien Yonlc)i.r vs'abiiser»
que de confondre le ^ouycrnenient royal
avec celui d'un bon roi. Pour voir ce^
<;[u'est ce gouvernement en lui-même, il
I faut le considérer sous des princes bornés
ou méchans ; car ils arriveront tels au
trône , ou le troue les rendra tels.
Ces difiicuUés n'ont pas échappé à nos;
liuleurs ; mcis ils n'en sont point cmbar-»
lassés. Le remède est , disent-ils dN>béir.
■ î
sans murmure. Dieu donne les mauvais'
yoîs dans sa colère, et il les laut support
1er comme des chàîimens du ciel. Ge
discours est édiiiant j sans doute , mais
je ne sais s'il ne conviendr('it pas mieux,
en chaire que dans \in livre de poliiîque..
• Que dire d'un médecin qui promet dea;
miracles, e^ dont tout l'art est d'exhorter,
son malade à la patience ? On sait bien
qu'il faut souffrir un mauvais ^ouverne-^
irent quand on l'a -, la question serait
4'çA liouver un l^uiia
n V Contrat
jp H A P I T R E VII,
Des Gouvcrnemens mixtes.
SIl piu)prkment parler , il n'y a point
tle gouvernement si-.nple. Il faut un chef
unique et c\e% magistrats subalrerncs ;
i! faut qiTun gouvernement populaire
aîf nn chef. Aîtisi , dans ie partage de
puissance executive , il y a toujoura
gradarîon du grand nombre au moindre,
ftrec cerre différence , que tantôt le grand
nombre dépend du pttit , et tantôt le
peiii du grand.
Quelquefois il y a partage ëgal , soit
quand 'es paries constitutives sont dana
une dépenijance mutuelle ^ comme dans
le gouvernement d'Angleterre, soir quand
Pauiorité de chaque parti© est indépen-
dante , mais imparfaite , comme en Po*
îogne. Cette dernière forn^e est mau*
"vaisc , parce qu'il n'y a point d'unité dans
le gouvernement, et que l'état manque
de lîaisun.
Lequel tant mieux d'un gouvernement
simple ou d'un gouverneaicnt mixte?
s o c r A L. i%Y
Qnestîoti fort aminée chez les poîîiîqnes ,
et à laquelle î! fanî fîiîrc la niômc réponse
^uc j*ni faiic cicleTant sur toutes ionaes
€l« gouvenacjiîew?.
L« gouvcmcnaenî sîmpTe est le meilleur
«n «oi , par <ela sent qu'il est simple,
Blaij ^uaBd ia pirri^^saHce executive ne
dépend pas «s^^t^ ée îa ^égislaiive , cVst-
à-dîre , quznd i! y ;# plws fie rapport «îu
prince an soiaTcraiR cjue du peuple au
prince y il &ar retnéilier k ce défaut d©
proponîon, en isîvifant îe gouvernenient;
car alors, îoi^fe» ses parties n'ont pas
moins d'aulorUé sçrr le» sujets , et leur
diTÎsîon îes reisd tontes ensemble moins
forces contre 5e sonreraln.
On prévient encore le même înconré-
llient en étab^î«:^ant de*^ magistrats inter-
médiaires, qiîsi îsiîsssTtt le goTivernement
en ton entier, scrTent serilement à ba-
lancer îes den^ purissances et à maintenir
lenrs droits re»pecnfs. Alors (e gourer-
Bernent n'est p?is mixte :, il est tempéré.
On peut remédier , par des moyens
scnjfelnble* , à PinconTénient opposé , et
^nand le goiaremement est trop lâche >,
ériger des tribuii^nx poiTr le concentrer*
Cela scpraïîfpse ibn» toutes îe« demo{ ra-
tits* Dsms le preisner cas, ou diiisc II»
Î2.8 BU C O K T II A T
gouvernement pour l*ûtioiblir , et dant.
le second , pour îe renforcer ; car lesi
rnaximiim <lc force et tie fcib^esse &^
Trouvent égaletiiciu; il:n"\s ies gouv;;iae«
mens simples , au lieu que Its tbrme*.
mixtes donnent une iorce nioveime.
I W f i>ili r'n iii»i»iwnil«"Bii » mm iii m M > «m m m i — n i> ii m imi<ii i i w i h iiii H I Ii I ii i rr'~
C HAPITRE VÎII
Ç^ue toute forme de Gouvernement
Ti^est pas proj)re à tout pays.
X-4A liberté n'étant pas un fruit de tous
les cliiiîcits, n'est pas à la porîée de tous-
les peuples. Plus on médite ce principe
établi par Montesquieu , plus on en sent,
la véiité. Pîas on le conteste , plus on»
donne occasion de i^établir par de nou-
velles ])reuvcs.
Dans tous les gouvernemens du monde^
la personne publique consomme et na
produit rien. D'où lui vient donc ia subs-
tance consommée ? du travail de ses meui-
bres. C'est le sujîeruu des particiilierç
qui produit le nécessaire du public. D'où
il feiiit <[ue l'état civil ne peut subsister
O O C i A 1.. 12<)
çtr^ntrîTit que le travail des hommes reiKl
«u-tfrlà de lenrs bosoinSi
Or , cet exccdenr n'esr pas le même dans
totîS les pnys du monde. Dans plwsieurs^
ili e^r ronsidérobie , drins d'autres métlio-
! kxe y dans d'aufres rml , dans d'autres
W^aîit'. Ce rapport dépend de la ferti-
îïie du cHmttt , «le la sorte de travail que
lii terre exige ^ de !a natuie de ses pro-
-^.wGiîons, de la force de ses babirans , de
ïa plus on moins grande consommation qui
^rtirest nécessaire , et de phisieurvS autres
rapports semblables desquels il est com*
ywvsé*
DV.ut.re part , tons les ^ouvernea*ens
p^ Sent pas de ruètite nature; il y en a
tîe plus Ou moins dévorans , et les diiïé-
rences sont fondées sur cet autre piiri-
!cipe, que plus les contributions publiques
Véloîgnent de leur soi'.rce , et plus elles
"sont onéreu.ses. Ce n'est pas sur la quan-
tité des imposiiioiis qu'il faut mesurer
retîe cîiarp;e , mais sur le chemin qu'elles
4nU à faire pour retourner dans les mains
dont elles sont sorties : qjiand celle circu-
lation est prompte et bien établie, qu'on
paie peu ou beaiicoiîp , le peuple est
toujours riche , et les finances vont tou-
jours bien. Au contraiie ^ quelq«ie peu
î3o ï5Xr CONTKAY
que le ])ciipie donne , qi^And ce peri ii6
lui revient point , en dcufiaiit toujours ,
bientôt il s'épuise ; l'état n'eut )amais
rîclie, et le peuple est tO£i;oiirs gueux.
li suit de -la que plus la àï^iance dû
]>€uple au gôu.veriic«acïst ao^inenie , et
plus les tributs cieviennetit onéreux 5
iiinsi , dans la démock'&tîa ^ le peuple e«t
Je moins cliargf ; dajj5 i'^risiocratîe , il
ï'esr. davauta^;e ; dans la monarchie , il
2)01 te le plus ii,ian^ îJj(;>ids. La inos^ircbie
ne convient donc qj^aas, aaduni opulen.*
tes , raiistocratie aux tîafs itiédioeres en
nche^se ^ aii'isi nii'eii i;^^^liie^.r , U. àétaù»
ci'aiie aux éiars pi^tiri» et paui^res.
En etïût , plus on y véHévhiz y pîus 0%
trouve eu ceci de diii' reatc tusre lei
états libres et les iium:ïLch:e% : daa* lef
})reiMlors , tout s-<rîuploie à l'uiUité corn*
îàiune j d'Jinfi Îc8 ^luires , ic« ibrce» publî-
.qi;es et pariiculii^'Cs sont récï;>ri;qii.e$ ^
et l'une s'au^'.iuenie par l^all«^iblis**û:ueat
/lie l'autie ; en lin , an iicu de gativeruer
le3 sujets pour les lemhe lieiîreux le
fieopoiîjine les leiui cii^i'^bk-s pour le«
gouverner.
Voilà donc , dans chaqae cliciat , deg
causes naturelles sttr leiic|aeîies oa peuî
«Lsslgnêr la ibiiîie de gouvcriseaieui à la-
Social i3i
Ijiieîle la force du climat l'entraîne ^ et
diic iu;Miit quelle espèce «iMiabitans il
doir avoir. Des lieux ingrats et stériles, où
le produit ne vaut pas le travail, doivent
rester incultes et desserts , ou seuleniv nt
peuplés de sauvages : les lieux où le travail
des hommes ne rend exactement que le
r-écesôuire, doivent être habites par des
peuples barbares ; toute poliâe y seïoit
, impossible : les lieux au l'excès du pro-
; duit sur le travail est médiocre, convien-
nent aux peuples libres : ceux où le ter-
roir abondant et fertile donne beaucoup
de produit pour peu de travail, \eu eut
erre gouvernés inonarchiquemerit, pour
consumer par le luxe du prince, Texcès du
superflu des sujets; car il vaut mieux que
cet excès soit absorbé par le gouverne-
racnt , que dissipé par les particuliers. Il
y a des exceptions, je les sais; ni'aîs ces
exceptions mêmes confirmen: la règle j
en ce qu'elles produisent tôt ou lard des
révolutions qui ramènent les choses dans
Tordre de la nature.
Distinguons toujours les loix générafos
des causes particulières qui peuvent en
modiiitr retfet. Quand tout le midi scroîc
Couvert de républiques, et tout le nord
d'états desiiûtîques , il n'en seroit pa^
102. r>u Contrat
iv.oins vrai qur, par Pei'fet du climit, le
^esporisnie convient aux pays chnmis j
îa barbarie aux pays fVoiJs, ^r la bonne
poUiie .aux régions inrerîîîédiaires. Je
T(»is rncore quVn accordant le principe, on
5>()i!rrîi xlisj)uter sur l'appIioari«M) : on
f>oui'ra dire (î^u''il y a des pays î'roids très-
tcvîiles et des meridioïiaiix très-ino;rarsv
[ Mais cette difficulté n'en t?st une qi'è
'J>our cenx qni n'examinent paï,ia chos6
<l:iTîs tous SCS rapportvS. Il faut 5 comme
je Pai déjà dit , corn ]î ter ceux <les travaux^
^es forces, delà consommation^ etCc
Supposons que de deux tcrreins égaux
Viin rapporro cinq et l'autre dix. Si les
îiabiransvlu pi-^uiier consomment quatre,
f t ceux du dernier tt-éuf , l'excès du pre-
mier produit stîra un cinquième , eï
<:rQ\ui <lu «econd un dixihhe. Le rapport
de ces xieux è^xcès èmnt donc inT^se dé
ceUii d-cs produiîSj 1« terrem qui ne pro*'
duira que cinq, donnera un superflu doii-
bie de cetuî du terrein qui produira dix^
Mais iî n'esr pas question d'un pro^
duit (!oui)le, et je no crois pas que per-
sonne ose mertrc en général la JVrrilité
des pays froids, en cgaliié même avec
celle des jynfs chauds. Toutefois suppci-
Kons cette égalité > laissons j si Ton reutj
Social. i,53
en balance l'Angleterre avec la Sicile ,
et la Pologne avec i'Efi^ypîe : plus au
midi nous aurons F Afrique et les Indes,
pins an nord non» n'aurons plus rien.
Pour cetre égalité de produit , quelle dit-
t'crcncc dans la ciiiture ! En Sicile , il
ne faut que gratrer la terré', en Angle-
terre, que de soins pour ta labourer 1 Or^
Jà où il faut plus de bras pour donner
le môme produit, le superflu doit être
lié c essai re ment moindre.
Considérez, outre cela, qne îa même
quantité d'hommes consomme beaucoup
n^oins dans les pays chauds. Le climat
demande qu'on y soir sobre pour se por-
ter bien : les européens qui veulent y
"virre comme chez eux, périssent ton»
lie dyssenterie et d'indigestions. Nous
^o^tumes , dit Chardin, d:s hétes carnas*
iuics y des loups ^ en comparaison des Asia"
tiques. (Quelques uns attribuent la sohrUté
des Fersans à ce que hur pays est moins
cultivé ; ci moi ^ je crois , au contraire , que
leur pays abonde msitis en denrées , parc:
qu'il en jaut moins aux hahitans» Si leur
frugalité f continue -t- il , étoit un cjj'zt de
là disette du pays _, // n'y aurait que les
pauvres qui mangcroient p^u , au lieu qus
^*est généralement tout le monde ; et on
II
i34 "O V Contrat
mangeroit plus ou moins en chaque pro-
vince, selon là Jertîlité du pays, milieu
que la même sobriété se trouve pàr-tout le
royaume» Ils se louent fort de leur ma^
jiière de vivre , disant qu'il fie faut que
regarder leur teint pour reconnchre com-
bien elle est plus excellente que celle des
chrétiens, JSn cfct^ le teint des Persans
et uni j et ils ont là p^au belle , fine et
polie ; au lieu que le teint des Arméniens
leurs sujets y qui vivent à l'européenne ,
esc rude , couperose , et que leurs corps
sont gros et pesans;
Plus ou approche dô la li^:;ne , plus les
peuples vivent de peu. Ils ne aiant^eut
presque pas dé viande \ le riz , Ui iiuiïî* ,
lé ciizcuz, le mil, la CJissave sowt ieuia
alimens ordinaires. Il y a aux ludes des
millions dUionu/iés dont la nourrirure ne
coûte pas un sol par joui*. Nous voyons
eu Europe mémo des diiïércnces sensi-
b-es pour Tap petit entre les peuples du
r\or(\. et ceux du n::idi. Un Espagnol
■yiyra lîuit jour^ dix dîner d'uu Aileniand.
Pans les pays où les liommes sont plua
•ypraces , le luxe sq tourne aussi vers
les cliose? de consommation. En Angîe*
terre , il se montre sur une table chargé^'
de viandes; en Italie, ou vous lej^aie
de sucre et de fleurs»
s o c I i t. 1.35
Le hixe des rèteraens offre encore
ùe senibUbles différences. Dans les cli-
mats où les chaniiemcns des saisons
sont prompts et violens , on a des habits
meilleurs et plus simple» i dans ceux nii
l\m ne s'habille aue ponr la parure, on
y cherche plus d'ecUt que d'utilité : les
habits eux - niémts y sont un luxe. A
Kaples , vous verrez totis les jours ée
promener au Pausy'ippe des hommes en
veste dorée , et point de bis. C'est la
même chose pour les bàtimeas: on donne
tout à la map;nificenoe , quand on n'a
lien à craindre des injures de Pair» A
Paris , à Londres , on veut être logé
chaudement et conimodémf nt : a Madrid y
on a des salloyis superbes , mais point
de fenêtre qui ferment , et Pon couche
dans des nids à rats.
Les aiimens sont beaucoup plus subs-
tantiels et sùcculens dans les pays chauds;
c'est une troisième différence qi;i ne peut
Tnanqner d'influer sur la seconde. Pourquoi
mange-t-on tan t de l^gumei en Italie? parce
qu'ils y sont bons, nourrissans, d'excellent
goût. En Franc*, où ils ne sont nourris
c[ue d'eau, ils ne nourrisfent point, et sont
presque comptés pour rien siir le» tables.
ils m'occupewt poiartanl pas m©ins de îeï-
Ï.36 BU Contrat
rein, et coûtent du moins autant de^îeîns
à cultiver. C'est une expérience faite qu«
îes blés de Barbarie, d'ailleurs infc^rieurs
à ceux de P'rance , rendent l>eaucoijp
plus en farine, et que ceux de France,
à leur tour, rendent plus que les Lies du
mord. D'oii l'on peut inférer qu'une gra-
dation sen).!)îable s'observe ^énéraleiiient
dans la même direction de la ligne aa
pôle. Or, n'est^-ce pas un désavantage visi-
ble , d'avoir , dans un produit égal , une
moindre quantité d'alimcns 1
A toutes ces différentes considérations,
J'en puis ajouter; une qui en découle et
qui les fortifie , c'est que les pays chauds
ont moins besoin d'habitans que les pays
froids , et pouvroient en nourrir davan-
tage : ce qui produit lin double superflu f
toujours à ravaniage du despoiisme. V\us
le même nombre d'babitans occupe une
grande surface , plus les révoltes devien-
nent difficiles , parce qu'on ne peut se
concerter ni prompt ement , ni secret re-
nient , et qu'il CvSt toujours la(ile au gou-
Ternement d'éventer les projets et de
couper les communications : mais plus un
peuple nombreux se rflpprocbe , moins le
|»,ouyernement peut usurper sur le sou-
^^rain j les chefs délibèrent aussi sûre*
s o c ï A Lo y^f
ment dans I<•tii^<r~ciînTn17^e8■qlTe te priiic'e
dans son coiiseil , et la i'oiilô s'assemble
aussi- tôt dans^e^\^i:tces> qire^îïîs troupes
ilaiis leurs quartiers. L'avama,';e d'uît
gcrureriie[r.fent tyratîilique mt . doitd en
ceei d'agir à fraudes ^distanccs^ A l'aide
des poi}>Ls d'ripptîi qu'il se do-;iue, .sa
force ai|giiient<^,4U,,lx)i^3j^CQiiin^e-u:jeU^ d?^
leviers {,iJ.Çpiledji peuple., avi ccntraife^
ri'ai;it çiiîe^^conceii,U"<é^f f : F^^fe^. .fj'^vfvpor*
et se perd en ^^'çtepdaittj comiuç rl'effet
de la pQudre éparse .à^terrô 5. et . qui' nô
prend feu que graiuà -grain. Les paya
•les Hioius peuplés^^^sqnt,- aiiîsi ifS pîiiîfr
propres à la tviautiie ; les bèies féroces
île relouent que dans les déserts.
j, .. ^ . .^ ■'■•, ■■.••\Mp -, -■■» 'i':-.:> -'■ °T
— — - -■ ■ — ■ ■ • ■ ' ■ ■ ' ■ ,"• — ■^ -' ' - ■ • I ' '* t
(r) Ceci ne couiiedit .wjis^çe que i'ai,di%
Ci-devant, i^rv, il , Chap. IJl. , snr les in-
tonvcniens d<3s .^rrUids érats : car ïi s^asis-
§ou, là de 1 auiCrite du, gou-yen^eîUGjat. &ur
ses membies, et ii s'a^i^i» ici de la; force
contre ses stij^^tâ. Ses' ine'uibres'éf^ars lui
«ervetit de point'd'apîiVfi ffônr <i^fr au loiff
sur. le p«'i!j)[e , "mais il n'amiti' j>oitTt d'âp^
piii pour L5i^ir*diireclejue?H; sur sea îi;en-îbresr-
în.êiïie,?>. Ainsi , dans l' [in des civ*?, la Ion-»
^licur du levier en faitia foiblas.sc ^ et is^*
torcé daai l'a a Ere cas;.
H %■-
î3S s!itj C 6 vt r a A t
VB^g8B au r u<.a * gmsiiJ!J ! i.»>iww»^ ' juuiwtiuuR.WM*wjjw.jM» i,
CHAPITRE IX.
esi signes d'un bon. Gouverner
tfAînî donc on demanda âl^solnmenî
«qi^l e8t le meilleur ^ouyeiTiement , oa
lait une question iîisoluT>ie , comme indé-
terminée ', Ou , si l'on yeiit , elle a aiitflîifc
dé bonnes solutions qu'il y a de cortibi-
îiaisons possibles dans les positions ab-
solues et relative» des peuples.
Mais si Ton demandoit à quel signé qx^
peut connoître qu'un peuple donné est
'Ciën ou mal gouverné , ce serc^it au<tre
çliose , et la question de fait pôurroii se
résoudre.
Cependant on néU résout point , jarce
âne chacun veut ta résoudre k sa ma-
a;iière. Les sujets vantent la tranquilliré;
Çubliqtte 5 les citoyens la liberté des par-
ticuliers; Vxxn préfère la sûreté des pos-
sessions, et l'autre celle d^% personnes t,
iStn veut que 1^ meilleur gouvernement
i^oit le plus sévèï*c \ Tautre soutier* t q^uf
s o c I A t- 1.59
cVst \é plus doux ; celui-ci veut qu'on
puftisse les crimes , et celui-là qu'on les
prcvicnue; l'un trouve beau qu'on soit
errant de» voisins , Pâutre aîme «nieu:*
^.l'on ea soit if^noré ; l'uu est content
quand l'argent circule , l'autre exige qus
le peuple ait du pain. Quand même on
conviendroit s.ur ces points et d'autres
§emblabl«s , en seroit on plus avancé?
L«s quantiréa^ morale^ manquant de me-
sure précise, fût- on d'accord sur le signe,
comment l'êtrç sur l'estimation '?
Pour moi , je m/étonne toujours qu'on,
meconnoisse un signe aussi simple , ou
qu'on ait la mauvaise - foi de n'en pas
conveiiii". Quelle est la iin de l'associa-»
tion politique 1 c'est la conservation et
^a prospérité de ses, membres. %t q"cl
çst le signe le plus sur qu'ils sç con-
servent et prospèrent 1 c'est leur nombre
et leur population. N'allez doue pa*
chercher ailleurs ce signe si disputé»
Toutes choses d'ailleurs égales , le gou-
vernement s.ous Içquçl I sans moyewo^
étrangers, san<î naturalisation , sans colo-
nies , les citoyens peuplent et multiplient
darantage , est iufailliblement le mei^lleur \.
celui sous lequel un peuple dijninue ^Ij
érif , est le pire* Calculateurs j c'est
,3.40 BU C N T Pu A T
mainrenant votre aiïî^iie ; conipiez, môf
siirez j comparez (£),
(i)On doit juger sur le inétiie principe ^
des siècles qui luëaiiènt la prétérence pour
la prospérité du «z^ewre liumain. On a trop
aâiiiiié ceux où ilon.a, vit.f}eurir Içs lettres
et les arts , sans pcnétrer l'objet secret i!e
leur culture, sans en con.-.idérêr le funeste
effet : « Tdqiœ àpud îinperitfjs kumaniîas' vo^
cabatur ^ eu m parsscrvitutis ésscî, » Ne ver-
rou -nous jamais ôans les niaxiiucs des
Ijvro^ l'mterôt grossier qui fait parler les
aiueui s'^ INfon ; auoi qu'ils en pui^isent dircM
qualicl j maiî^re son e( laî , un pays se de*
peuple, il n'est pas vrai que tout aiiie
bien, et il.jie siiifit/- pas qu'un puëre ait
centniillo livre.^ dt;-reiue, pour que ^son,
siècle soit le jinefileur de. tous. Il faut
inoius re<^ardet''tfir repos apparent et a la
tranquiiiirë (tes chefs','- qii'aii {)ien-être des
nations entières^ et sur toRt des états les^
])liis nombreux. La j^^rele tiésole que]qu< s.
cantons, nsaii^ elle l'ait rarement disette.
Leséineutes, les guerres civiles efiarou-.
client beaucoup les cliefs, mais elles ne
font pas les vrais malheurs des peuples,'
qui peuvent même avc>îr du relâche ^ tait-
dis qu'on cisj)ute k qx\\ les tysannisera^.
C'est de leur état permanent qne naissent:
îseurs cahîrnités réelles: quand lom resta
écrasé sous le jou^, c'est alors que tout*
dépérir , c'est alors que , les chefs détriii-J
u&iii k leur aise^ ubi solitudincm Jlîcium pa-
Social. iJ^t
CHAPITRE X.
JJe l^ahus du G ouvernement et d^
&a pente a dégcîiérer.
Vjomme la volonté particulière agir, sans
c>esse contre la volonté générale , ainsî
î« gouvernement fair. un ètTort coniinuei
contre la souveraineté. Plus cet eii'or.î:
£em appellànt. Quanti les tiacnss^iies desp
grands agîtoieni le royaniije cie France, tt
4]iie le coadjuieur de Paris portoit au paV^
iemenr un ])m^xi'cirà tbris sa ]5:<^Kh€ , f eii*
n'empô choit pas ^uc l^ |veu]> le Français ne
vécuf heureux et nouïVjrenx dans une Uon-
néie et libre aisanct». Au î relois la Gièçp
■fl-eui isboil au sei-n iies pi us criieltcs guerres i
1=0 sang y couloir à iioîs , et îimt I-é p-ay^^s
^étcitsi couvert d'iiomuies, dit Machiaveî,
qu'au milieu des meurrres, des proscrip-
tions , des guerres civiles, nolre^ xépu.-^
Llique eu devint plus puissante : la vertu
de ses ciioyens, leurs niœiirs, leur indé-
pendance avoient plus d'tiiet-.pour 'e ren-
forcer, que toutes ses. tlisseniion.s, n'en
avoieux pour l'allciblir. Un ^.peu ci'^ygiic^t.-
tion dunué 'du ressort aiix'auîés,- et te q\ik
iait moins phispêrer Pespéce est moins ia.
paix que la libellé»
ïlugmente, plus la constitution s'altère 5!
^t comme il ia*y a point ici a'autre volonté '
de corps , qui résistant à celle chi prince ^ '
iiasse équilibre avec elle , il doit arri%'f r 1
tôt On tard, que le prince opprime eniia
3« Souverain «t rompe le traité social.
.Cest-lÀ le yica inkërent et inérirable
C[ui , dès la naissance ^u corps politique,
4.^ïîd sans relâohe à le clérrHira ^ de même
<}ua k vieillesse et la iport détruiseat
«nfin Je corps de i'hompie.
îl y a deux roîes généralf^s par lesquel-
les un gouvernement dégénère : saroir^
<}uand il se resserre, ou quand Tëtat s»
xlissoat.
Le gouvernement î?e re^serrçv, quancl
51 pasfic du grand isombi'e au petit , cVst-
iià-dire , de la démocratie à l'aristocratie ,
«et dei^aristocratie à la royauté. C'est-là
»on inclination naturelle (1). S'il rétrogia*'
TnTTI^-i i ~-1 i - — — r» «iiin.! IW I ■Kl m m il i H ii ii xiiiiii'i»! i r-— ' Tir
(1) La formation lent* et le progrès d»
Ha republique de Venise dans ces lacunes»
offre une exemple notab'e de cette succes-
sion , et il est bien étonnant que depuis
lus de douze cents ans, (es Vénitiens sèm-
ent n'en être encore qu^au second terme,
lequel commença au serarrdi consiglio 1198'.
<^uânt aux anciens ducs qu'on leur repro-
çiie, quel qu'en puisse dire le sqitinio deU"
s o c I A r. 145
cîoîr du petit nombre au grand , on pour*
roit dire qu'il se relâche : luai-i ce progrè»-
îîiyerse est impossible. . '
liherîa veneta , il est prouvé qii'ils »'ont
puiîir éto leurs souverains. -^
On ne manciuera pas dé^ m'objècter îat
répu!>lîque roîiiaine , qui stiivif, dira-t-on^
un progrès tout contraire , passant de la
nVonaidjj'e à l'arisîocrafiè , et de Paristo-
craiie à la domocratié. Je suis bien éioi-
^iié d\*n penser ain.si.
Le préiuier éîébliss'îînejit de Eornuliia
fut un ^O'i veineinent uiixre, qui dégénéra
p ''o ni p î <'.m en t e n d cspo ri s 1 u e . i * a r c e s c à u ses
p.trficulières , Té&tit périt avant le rt- lus ^'
coiïuue <in voit mourir un nouveau no
aVant d'avoir atteint l'âge «Vliomniè, L'ex^
pulsion dt^s ïarquins l'ut la verita[)lé ép6-
q«e de la ropiibiiquè. Mais elle ne prit
pas d'Abord une i'ornie constante, parc^
qu%)n ne fit que la inoiûé clé l'o«vra<;];e
er\ n'abolissant pas lé i>ati*iriat. C;n* de
côire uîanièie l'aiisioci^uie lî<?rediiaire ,
qifci est la pire dès J^duâni^îrifuious loi^i-
tiiues, restanf en con'lit avec la dénîo-
cn'atie, ia tormedu gomerneuiéur^ îoùjour»
incertain-t^ ^'t ilottan'e, ne t"ur lixée, comme
Va prouvé Maciiîavel , qu'à l'étalèlissémene
des tributis : alors sèiilemeut ii y eut un
vi'ai £;ouvcrno3rient et une véritable dé»
liVocràtie. EnetiVt, le peuple alors u'étoiç
p'As seulement souverain , maisaussi ma^is-
UM ùi ju^e, Le sénat ji't; ;oU <ju\;n tvibwr
244 î>^ Contrat
En effet, jamais le gouvernement ne
change de forme , que quand son ressort
usé le laisse trop atïoibiir pour conserver
la sienne. Or^ s^îl se relâchoit encore en
sVnendant ^ sa ibree deviendroit îout-k-
nal en sous-ordre pour concentrer le ^ou-
Teinement, et les eonsuKs eux-mêmes ,>
bien que praticiens ^ bien que preuiiins
n)?.oistra?s , bien q-Aie généraux absolus à
la guerre , i^'éroient à'Jloiue q^iie les pré-
side u-s du peuple.
Dèsdors un vie aussi le g^ouvernement
prendre une iicnte aaiurelle et tendre for*
temcnt à l'aiisiocraiie. Le praûciat s'abo*
lissant comnie de lui-même , Parisîocraîie-
li'étoit plus dans le corps de-s praiîciens
€omnie elle est à Venise et k (yènes , mais
dans le corps du sénat^ composé «le pra-
ticiens et plébéïms : même dans !e cor])S
de tribuns, quand ils commencèrent d'u-
surper une puissance active, car les mots
ne font rien aux choses; et, q.uand le
peuple a des chefs qui ^,;ouvenient y^oui^
kii, quelque nom que p/or'.eut ces chefs ^
c^est toujours une rîrisîocraiie.
De l'abus de l'a ?isî ocra lie naquirent les
g!!erres civiles et le triumvirat. Sylla,^
JuicsCézar, Aîigusie, devinrent , dans-
le fait, de vérirables monar{)UCs; et cunny.
sous le despotisme de Tyi^ére , l'état fufc
tUssons. L'Iiistoiie romaine ne dénîenc
duuc pas mua^ priatige ^ elle ie coaiiruje».
Social. 1^5
fait nulle, et il subsisteroit encore moins*
Il faiii donc renionrer et serrer le ressort
à aiesure qu'il cè«le ; a-itrement Pétat qu'il
soutient Toniberoit en ruinei,
-"Le cas de la di"solulioii,de l'éiat peut
arriver de deux manières.
Premièrement-, quand le prince n'ad-
ïninistrîe plus l'état pelon les ioix , et qu*il
usuî'pe le pouvoir sDuveraiii , alors il «e
iait un clian^einent remarquable ; c'ésC
que , non pas le gouveniement , mais
l'état se reéiserre : je veux dire que la
grand état se dissout , et qu'il s'en forma
lin autre dans celui ià , composé seule-
nit nt des membres du gouvernement , et
qui n'est plus rien au reste tlu peuple que
Son maître et son tyran ; de sorte qu'à
Pinstant que le gouYerncment usurpe la
Êouveraineié , le pacte social est rompu ;
et tous les simples citoyens , rentrés d«
droit dans leur liber ré naturelle, sont for-
cés , m.ais non pas obligés d'obéir.
Le même cas arrive aussi , quand le»
membres du gouvernement usurpent sépa-
rément le ])Ouvoir qu'ils ne doivent exer-
cer qu'en cort)S ; ce qui n'est pas une
moindre iulraction des iolx , et produit
encore un ^rand désordre. Alors on a,
j)ûur ainsi dire ^ autant de princes que
X
i46 pu CoKTÎlAT
de ma<^îstraîs: et Pérat , non Aïoins divisé
que îe gouvernsment, périt ou chan<^ede-
Quand l*état se dissout, Tabus du goii-
"YeraemeîU , quel qu^il soit, prend le nom
coaixnuu iï anarchie. En disfi nouant, la
déniocr^iîie do<^ënèie en ochlocratic , l'arLw
tocrane en vlygurchle ^-j'ajoiîlerois qsie U
royauté dég£Mi{>:e en tyrannie; maiî ce
dernier moi est équivoque et deaianda
explication.
DiMis îc sens viil?;^!re , nn tyran est un
roi qui i^ouverne avec violence et tans
égard à la jiï.>iîic;e et aux loix. Dans Is--
sens précis^ un tyran est vn paniculier
q^ui s'arroge l*autorité royale sans y avoir
droit. CcJit ainsi que les Grecs euten»
ftluient te mat de rjran : ils le don noient
rndiit'éremment aux bons et mauvais
princes dont Tauiorité n'éîoit pas légi-
time (i). Ainsi îyran et usurpateur aonl;
deux mots parfaitement synonymes.
■'■i . ■ Il I I ■ > — «.
(l) ( Omnes enim inkabentur et dic.unp^r
tyrannï , qui potcztau utuntur perpétua in cà
civitate qua iibertciîe Lta est,. Clv\ Nep, in
j^fliltiad, il. S, ) 11 e.st vrais ^wV^ vistote ^
vior niconi. L. ^C'J.i[. ch. ro , 'lisfin^uf le
f j.]?âji du roi-, (tu ce q^ue le preiiiier ^oia-»
»5 O € i A t. l4f
Pouf donner différens noms à différentes
clioses , j*appelle tyran l'usurpateur *de
rauîorité royale, et despote l'usurpateur
du pouvoir souverain, j^e tyr^n est celui
qui sincère contre les loix à «ouverner
selon les loix ; le despote est celui qtii se
rnet au-dessus des îoix mêmes» Ainsi 1®
tyran peut n'erre pas despote , mais i®
despote est toujours tyran.
lgM a» ft gJ 3 Viq\! J >j!>^J< l i l MtHUiMtlJW.tWU«H^ ^
CHAPITRE XI.
De la mort du Corps politique^
J. ELLE est la pente naturelle et inévî*
table lies ^ouverneniens les mieux consti-
tnés. Si Sparre et Home otu péri , que!
verne pour sa propre luiîjr/* , et le second
seuicmrnt pour l'utilité tîes sujets ; mai>î-
<'«.jire que ^c neralerneut toîis les auteurs
C'je<s ont pris le mot ')fYi,idv»ns un autre
î:?*»^s , connue" il paroit sur- tout par le
} i 'ron de Xenoplîon , il s'cnsuivroit de
la <îjstincnon d^Ari«t<'re , oiie depuis ie
fOTUTJ'cncfnïent du monde il n'auioU pa$
çacort? existé uu st ul roi*
î a
lâB DU Contrat
.état peut espérer de dsirer toiijoiirâ T Si
nous voilions former \n\ établissement
cîrîVcible , ne songeons point à le rendre
ërc me!. Pour roussir, il ne liant pas leB-
"iT-T rinsposv'.b'e , ni se flatter de doxiiier
à Tosivra^e des hommes une solidité
que les choses humaines ne comporien£
pas,
ï^e corps politique , aussi bien que î^
corps de l'hoinme , -commence à mourir
dès sa naissance , et porte en lui même
les causes de sa destruction. Mais l'un -et
Ir'autre peut avoir une constitution plus ou
Hioins robuste , et propre à le conserver
plus ou moins iong-tems. La ccnstitutioa
de rhorame est l'ouvrage de la nature ;
celle de Tétat est Pouvra<ie de l'art. Il ne
d-pend pas des hommes de prolon^^er leur
vie ; il dépend d'eux de prolonger celie
^e l'éiat ajssi loin qu'il est possible , ea
lui donnant la lî.'ciileure coiistitaîiom
qu'il puisse avoir. Le mieux constitué il-
jaira , mnis plus tard qu'un autre, si nui
accident imprévu n'amène sa perte avec 1-5
tems.
Le principe de la vie politique est dans
rauroriîé souveraine. La puissance lé^/rs-
iaiiveestle cœî'.r de l'état; la puissaure
executive en csi ie cerveau, qui donne le
Social 1^9
iNourernent à toutes les parties. Le cer-
YeciH peut tomber en paralysie, et Tiadi-
TÎdu vivre encore. Un liomine reste im-
bécile et lit ; mais si-tôt que le cœur a
te^sé s<^s fonctions , Tanimal est mort.
Ce n'^esi point par les loix que l'état sub-
siste i c'o.st pa^r le pouvoir ié|^islatif'. La loi
d'iiier n'oblii^e pas aujourd'hui , mais 1-e
consentement tacite et présumé du silence ;
et le souverain est censé coulirmer inces^-
samtneut les loix qu'il n^abroge pas ^
pouvant le faire. Tout ce qu'il a déclaré
▼ouloir une fois , il le veut toujours, k
sîioins qu'il ne le révoque.^
Pourquoi donc porie-t-on tant de res?-
pecî aux anciennes loix 1 c'est pour celm
isiéiue. On doit croire qu*il n'y a que l'ex-
cellence des volontés antiques qui lev; aît
f?u conserver si iong-tems ; si le souverain
lie les eut reconnu constamment salu-*
liircSy il les eât mille fois révoquée*.
Yoiià pourquoi, loin de s^affoiblir, les
îoîx acquièrent sans cesse une force non-
licile dans tout état bien constitué : le
•préjugé de l'antiquité les rend cliaaue
|our plus .vénérables ; au lieu que, par*
tout où les loix s'affoiblissent en vieillis-
sant, cela prouve quil n'y a plus de pou-
voir législatif , et que i'état ne vit plus.
ï 3
l50 BIT CoNTRAt
6gaife a g<aaBiaaM»v<Bi i ww»wift^ iil i iJii
CHAPITRE XII.
Comme se maintient V autorité
souveraine. .
L
lE souverain , n'ayant d'autre force qufi
la puissance législative, n^i^it que par
des kiix ; et Jes loix n'étant que des actes
authentiques de la volonté p;énéiale , le
souverain ne saiaroit agir que quand 1®
peuple est asscnibîé. Le peuple assemblé ,
4ira-t-on! Quelle chimère î C'est une chi-
nière aujonrd'lir.i , mais ce n'en ctoit pas
une il y a deux mille ans : les hommes ont-
ils changé dejiature '{
Les bornes du possible dans les choses
morales, soni; moins étroites que nous ns ■
pensons : ce sont nos foiblesses , nos
vicc> , nos préjugés qui les rétrécissent.
Les âmes baj-Si'^s necroienr. pointaux grands
hommes : de vils esclaves sourient d* un ai?'
moqueur à ce mot do liberté»
Par ce qui s'est fait , considérons ce qui
se pevt l'aire: je ne parlerai pas des an-
ciennes républiques de la Grèce; mais la
l'épublujue iiomaiiic çtoiti ce me semble,
s Ô C I A 1. "iSl
tin grand état, etlarnie de Tome une
:gi'aiitle ville. Le dernier cens donna dans
llome <|ual/-8 cent n\ille citoyens portant
armes ; et le dernier dénonibrement de
rèmpiie , plus de quatre nûllions de ci-
toyens , csans compter le» sujets , les étran-
gers , les femmes , les enfans , les es-
claves.
Quelle difiiculté n^imagincroit-on pas
^'assonibksr frcÉjuemmetît Je peuple im-
mense de cette capitale et de ses envi-
j-ons? Ce,>endant il se pas?oit peu de se*
inaines fji.e le peuple romain ne l^t as-
semblé , et même plusieurs fois. Non-seu-
jement il exercoit les droits de la sou-»»
.s
veraineté , mais une partie de ceux du gosi-
Ternement. Il traitoit cersaines affaires ,
il jugeoit certaines causes , et tout ce
peuple étoit SUT la place publique près»
t|iîe aussi souvent manistrat que citoyen»
En remontant aux premiers tems deg
îia^tiônSy on trouveroit que la plupart dts
anciens ^ouvernememi , même monar-
chiques , tels que ceux des Macédoniens
et des Francs , avoient àe semblable»
conseils. Quoi qu'il en soit , ce seul fait
inconiesrabîe répond à toutes les diffi-
mdiés : de rexistant au possible, la coa*-
ÊCij^tieîice aie paroît bonite.
iSo. X) xj Contrat
tm • ^
CHAPITRE X I I î,
Suite •
xL ne suffit pas que ïe peuple assemhîe
ait nne fois iixé la consrilution de l'état ,
en donnant la sari( lion à un corps de
îoix : il ne siifMt pas qu'il ait établi un
gouvernement perpéîufl , ou qu'il ait
pourvu une fois pour toutes à Péiection
des msfiistrats. Outre les assemblées
extraordinaires que des cas imprévus
peuvent exiger, il faut qu'il y en oit de
fixes et de périodiques que rien ne puisse
abolir ni proroger, tellement qu'au jour
marqué le peuple soit légitimement con^
*voqué par la loi,, sans qu'ilsoit besoin
pour cela d'aucune autre convocation for»
jnclie.
Mais, hors de ces assemblées juridiques
par leur seule date , toute assemblée du
peuple qui n'îÀura pas été convoquée par
les magistrats préposés à cet effet selon
les formes prcsciites, doit être te/nue pour
iljcgitime , et tout, ce ^ui s'y fait pour
Social» i5S
.mil; parce que i'crdre m3me de s'assem-
bler doit ëinaner de !a loi.
Quant aux leiuurs plus ou moins fré-
<jiicns des assemblées légiiimes , ils dé*
•}Mend<?nr. de tant ne considérations, qu^)ii
ne saiiroit doniiei' Jà-dessus des règles
précises. Seulement on peut dire en geno^
lal, que plus le gouvernement a de force ,
pU.s le souverain doit se montrer i'rcqncm»
Kieni.
Ceci, me dira-ton, peut être bon pour
wno seule ville; mais que faire quand
rétaten comprenrl plusieurs'^ Parragcra-t-
on fautorité souveraine, ou bien doit-on
la concentrer dans une seule ville et assu-
jettir tout le reste '4
Je rëpoîuls qu'on ne doil: faire ni l'un ni
Tantre, Premièrement , l'autorité souve-
raine est simple eJ une, et Pon ne peut
la diviser sans la détruire. En second lien,
une ville non plus qu'une nation ne peut
élre légitimement sujeite d'une autre, par-
ce que l'essence du corps politique est
dans l'accord de l'obéissance , et de la
Ji-berté , et que ces mots de sujet et de
souverain sOnt des corrélations identiques
dont l'idée se réunit sous le seul mot de
citoyen.
Je icponds encore que c'est toujours u»
I é
|54 T^ ^ Contrat
mal d'unir plusieurs villes en une seule
cite-, et que, voulant laiie cette union,
l'on ne dai: pas se iiatrer d'en éviter les
inccnvén^'eus naturels. Il ne faut point
objecter l'abus des grands états k celui
qui n'en veut que de petits. Mais com-
ment don«er aux petits états assez de
force pour résister aux grands, comind
jadis les villes grecqiics résistèrent au
l^rand rci, et coiruie plus récemment la
Hol'ande et la Suisse ont résisté à la mai-
sou d'Autriche {
Toutefois, si on ne peut réduire Pétat
à de iîî?5îes bornes, il reste encore une
ressource ; <î*est de D'y point soutïrir de
capirale; de faire siéger le i^ouverncment
al;erna?ivement dans chaque ville, et d'y
rasseiiibier tour-à-tour les états du pays.
Peuplez également le territoire, éten-
dez-y par-to*a les mêmes droits, portez-y
par-îout Tabondance et Li vie; c'est ainsi
c|ue l'état deviendra tout -à îa-fttis le plu»
HJort et le mieux gouverné qu'il soit posr
sible. Souvenez- vous que les murs des
villes ne se forment q'se du débris de»
rnaisons des champs. A chsqne palais
que je vois élever dans hi capitale, je
jsrois Toir EiCtlre jeu iïiàsure<» tout un
ét&U
O C I Â î,e iSS
!£;^'3g^«gigrafciiiMPg-T^sow><..:v?«erVria^
CHAPITRE XIV.
Suite,
A
L. * I 2r s T A N T que le pei-p^ est: le'gi-
l i m c m e ii t a s s eai. b lé en c (; r p s s o ii v c r a î u ,
toure jnriRiliciion du gouveincuii^ut cesse; «
îii j)nîss:Mice cxéciHive est s as pendue^ lit
la perso une du ^îernier citoyen est aussi
sacrée et. iRviolable que celle eu prerniei*
îïiapistiat, parce qu'où se tiouve le re-
iprésenîé, il n'y a plus de représen-ant»
i.,a piiipait des tirmiiites qci s'éie^èient à
iloîiie daas le« comices^ vinrent d'avt iïr
ignoré ou néanV,é cf^îte l'è^le. Let; ccn-
suls alurs n'ei oient que les présldens dil
peuple , leâ iribuas de simples ora»
tCiiiS ( i ) ; la S€;îat u'cioit ritu ita iouL»
C,k:s iiueivaiies c^a ^suspeucsioii oii îp
pr^rice reconnaît ou doit leconaoitre um
{ i) A-peri-près selon le seiis qu'cîs.
4(.i*rie à <e norr? dans le parlcinfur. ci An^
^IcMerre. f.a rciiscriihlaiice tie cet} eujp](>i«
^ù."' luis en cûn'J^ les consuls rr les tii-
iiiins , quand làièuie ioute juri tiiciit>n eurg
été sus pendue'»
ï é
^56 13 r C Ô K T R A T
SiipérieLir actuel, lui ont toujours été r^-
tloLiiabîes^ et ces asseniblées du peuple ,
qui sont réside ou corps politique et le
frein du gouveniement , ont été de tout
tems rhoneur des chefs : aussi n'é-
par^neiu-ils jamais ni soin ni objecticns,
î3i diificuhés ni promesses, pour en re-
buter les circyens. Quand ceux-ci sont
avares, lâches, pusillanimes, plus amou-
reux du repos que de la liberté, ils ne
tiennent pas Icn^-tems contre les eiïorts
redoublés du gouvernement : c'est ainsi
que la force résistante augmentant sans
casse, Tautorité souveraine sévanouit à
la im , et que la plupart des cités tombent
et périssent a\ec: le lems.
lUais entre Taurariré souveraine et le
gouvernement arbia\iire , il s'introduit
quelqnefois un pouvoir B^.oyen dont il
faut parler.
CHAPITRE XV,
JDe^ I^éputés ou Tifprésent.zTis.
fc.3 I - T u
uT que le service public cesse
{X'èUQ la priuci^aie alfa ire (aies cituj^.ûSj
Social* rSf
et qu'ils aiirent ir.ieux servir de lenr
bourse que de leur personne , l'état est
déjà près de sa ruine. Faut-il marcher
a'i comLat, ils paient des troupes et
restent chez euy^ Faut-il aller au conseil ,
ils nomment les dépnlés , et restent chex
eux. A force de paresse et d'aiaent, i's
onr enfhi des soldats pour asservir la pa-
trie , et des représentans pour la vendi e.
C'est le tracas du commerce et des
ôrts , c'est l'avi<le intérêt du gain , c'est
la mollesse et l'amour des commodités ,
qui changent les services personnels en
argent. On cède une partie de son profit
pour Pau^^menter à son aisel Donnez de
Parlent , et bienlôt vous aurez des fers.
Ce m.ot ÙG finances est mw mot d'esclave^
il est inconnu dans la cité. Dans un état
vraiment libre , les citoyens font tout
avec leurs bras? , et rien avec de l'argent :
loin de .piiye^- pour s'exemp!er de leurs
devoirs, ils paieront pour les rem])lir
eux-mêmes. Je suis bien loin des idées
communes ; je crois les corvées moins
contraires à la liberté que les taxes,
Mie^ix l'état k^st constitué, plus !es
étt'nircs publiques remportent siir les
pîivées dans l'esprit des citoyens. Il y a
IJiGme beaucoup moltis d'affaires privées,^
î58 t) V CôNTHAT
en ce que , la somnie du bonheur comi»
m un foiirnissanr une poition plus consi-
dérable à cehîi de cliaqiie iruiivitluj il lui
en reste njoins à chercher dans les soins
parîicuiiers. Dans une cilo bien conduite,
cLaciin rôle aux assemblées : sous un màn*
Tais gO[îverneinent, nul n^^)me k iaire
lin pas pour s'j rendre ; parce que nul
|ie prend intérêt à ce qui s'y t'aiî; qu'oti
prévoit que ia volonté générale n'y do-
minera pns ; et qu'eniin les soins domes-
tiques ab.^oibent tout. Les bonnes lois
en fonr. faire <le meilleures*, les mauvaise»
en amènent de pires. Si- tôt que queU
Cju'nn dit , drs ailaiies de l'état : que
m'importe ^ on doit compter que l'état est
perdu.
L'actiédissement de Tamour de la pa-
trie^ lactiviré de l'intérêt privé , l'immen-
sité des étals , les conquêtes , labus dti
gouvernement, ont fait imaginer la voie
Aies dépuiés ou représentons du peuple
6lans les assemblées de la naîion. C'est
fe qu'en certains pays on o^e appeler le
tkrS'ttat, Aipsi, lintéret particulier da
«.ieux ordres est mis au premier et au se-
çoncî riin^sj l'intérêt public n'est qu'ait
frolsième.
La souveraineté ne peut être représsa»
s O C I A t..
t^e , par îa m^me raison qu'elle ne ])oiit
erre aliénée : elle con5^,iste essenîielie-
lïiert dans h\ volonté gënércile : et la vo-
lonté ne fl€ rcpréscn'e point : t^llo est la
me me , ou elle eut auîre ; il n*y a point
de îîiiiieu. Les dépurés du peuple ne sont
tionc ni ne peuvent être ses représen»
îans ; iîs ne sont que ses commis.saires j
ils ne peuvent rien conclure définitive-
jne»r. Toute loi qiiti le peuple eu per-
sonne n'a pas raîiiiée , est nulle *, ce n'est
point une loi. Le peuple an,i;iais pense
•être libre , ii se troînpe fort ; il ne l'est
que durant rélection des nienibres du par-r
iement i si-tôt qu'ils sont élus , il est es-
clave , il n'est rien. I3ans les courts mo-
jïiens de sa liberîë ^ l'osage qu'il en fait
mérite bien qu'il la perde.
L'idée des reprësenrans est moderne ;
elle nous vient du gouTerncment féodal >
de cet unique et absurde i^ouvernement
dans lequel l'espèce iuinirtinef^st dégradée,
fBt où le nom d'homme e.sr endei»lîonneur.
Pans les anciennes républiques , et môme
dans les monarchies , jr.mais îe peuple
ii*eut de représentans ; on ne connuissoit
pas ce mot-là. Il est îiè^-^^in^iulier qu'à
îlome , où les tribuns éroient si sacrés^
f |i n'ait pas mcme inui^ine qu'ils puiss^nî
séo DU C O N T ïl A 1?
usurper les lonciions du peuple , et qu^ata
milieu d'une si grande multitude , iîs
ii^jieDt jamais tenté de passer de leur chef
un seiîl plébiscite. Qu'eu juge cependant
de rembarras que causoit quelqueiois la
i'oriie, par ce qui arriva du tems des
Grecques, où une partie des citoyens
donnoit son suffrage de dessus les toil^.
Où le droit et la liL^erté sonr toutes
choses, les inconvéniens ne sont rien*
Cliez c(* sap^e peuple tout éioît mis à sa
jusre mesure •, il iaissoir. faire à ses lic-
teurs ce que ses tribuns n'eussent osé
faire ; il ne craignoit pas que ses licteurs
vonhissent le représenter.
Pour expliquer cependant comment les
tribnns le représeutoient quelquefois >
il siîfiit de concevoir comment le gouver-
nement représenie le souverain. La loi
n'éiant que la déclaration de la volonté
générale, il est clair que dans la puis-
sance législative le peuple ne peut être
représenté ; mais il peut et doit î'étre
dans la puissance executive , qui n'est
cjne la force appliquée a la loi. Ceci
iait voir qu'en examinant bien les choses,
on trouveroit que très- peu de nations ont:
des loix. Quoi qu'il en soit^ il est sûr que
ks tribuns n'ayamj; aucune partie du po^u-^*
Social. 161
voir exécutif, ne peuvent jamais ro])r<>-
sciitcr le peuple romain par les droits
<le leurs charges, unis seiileajeiit. en
usurpant sur ceux du sénat ,
Chez les Grecs, tonr ce que le penpî©
a-^Kjit à faire , ii le iaisoiî par lui nieme ;
il éioit sans cesse asseuïblé sur la place.
]1 liahiicit un climat doux, il n'étoit
point avide, des esclaves faisoient sei
travaux; sa giande affaire étoit sa li-
berté. K'ayant plus les mômes avantages,
comment ccaiserver les mêmes droits?
Vos climats pi us durs vous donnent plu«
de besoins (1); six mois de Pannée , la
p'ace pubii(jue n'est pas îenabîe ; \os
langues sourdes ne ])cuvent se laire en-^
tendre en plein air , vous donnez plus k
votre gain qu'à vorre liberté , et vous
craignez bien moins l'esclavage que la
misère.
Quoi! la liberté ne se maintient qu'à
l'appui de la servitude ^ Peut-être. Les
deux excès se touclieut* Tout ce qui
n'est point dans la nature a ses inconvé-
m * ' ■ ■ ' - ■ ' ' . 11.1. I l , . . .1 n I . .1*
(1) Adopver dans les pays froids le
luxe et la mollesse des orientaux, c'eaî:
vouloir se donner leurs cliaines, c'est
s'y soumettre encore plus néGessaire?iieiU
qu'eiijr.
i63 m V Contrat
îiicns y et la société cirile plus qiie tout
le reste. Il y a toiles positions mal heu-
reuses où Von ne \>eut conserver sa li-
Ijerté qu'aux dépens de celle d'autrui,
^t où irî citoyen ne peut être parfaite-
«lent libres que ^esclave ti€ soit extrê-
mement esclave. Telle étoit la position de
Sparte* Pour vous , peuples modernes ,
«vous n'avez point d'esclaves, mais voufi
l'êtes, vous payez leur liberté de la
\otre. Vous avez beau vanter cette pré-
iërence, fy trouve plus de lâciieté quô
d'humanité.
Je n'en i ends point par tout cela qu'il I
iailie avoir des esclaves, ni que le droit
«iVsclave soit légitime , puisque j'a:i
prouvé le contraire. Je dis .seulement
tes raisons pourquoi l-es peuples modernes
4jui se croient libres, ont C-QS rcpréscii-
tans , et yiourquoi les peuples anciens
li'en avoient pas. Quoi qu'il en soit, à
l'instant qu'un peuple se donne des re-
j)réseiitans, il n'est plus libre*, il n'est
plus.
Tout bi>en examiné, je ne rois pas
<qu'il soit désormais possible au fiouve-
rain de conserver parçii nous Texercica
de ses droits, si la ciié n'est très-petite.
Mais si elle sst trcs-petite , elle aem
s O € I A I,.
SRibJTignée. Non. Je ferai voir eî- après (i)
coniiLcnr on peut réimir la puissance tx-
terieiirti cf un «>ran(l peuple avec la police
cisée et le bon oidr€ d'un petit état.
SàBBSSSEQGRS
C H A P I T R E X V I.
Qi/e Tinstitution du Gouvernemeni
n^est point uji contrat.
X_i E pouvoir léoislaîiF une fois bien
ëtèibli, il s'iîgit d'iiablir de même le pou-
voir exécutif; car ce dernier, qui n'o-
père que par des actes particuliers, n'é*
tant pas l'essence de l'autie, en esK
îiatur^Ilcment séparé. S'il éîoit possibi©
que ie soiiverahî, considéré comme tel^
eût la puissance exécuûve , le droit et
îe faitscroieiu tellement coriiondns^ qu'on
( 1») C'est ce qup je m'étoîs proposé
de faire dar.s la suite de cet Ouvrage ,
îorsqu'en traitant des relations externes
j^en scrois venu aux confédérations ; ma-
tioie toute neuve ^ et où les piitoci|jed
«ont «acore établifi;^
ï64 BIT Contrat
ne sauroit plus ce qui est loi et ce qui
lie Pest pas, et le corps polisique ainsi
<lenaturé seroit bientôt en proie à la
violence contre laquelle il fut institué.
Les citoyens étant tous égaux par le
Contrat Social , ce que tous doivent:
faire, tous peuvent le prescrire; au lieu
que nul n'a droit d'exiger qu'un autre
f'assa ce qu'il ne fait pas lui-inême. Or,
<:'est proprement ce droit , indispen-
sable pour faire vivre et mourir le corps
politique, que le souverain donne au
prince en" instituant le gouvernement.
Plusieurs ont prétendu que l'acte d@
cet établissement étoit un contrat entre
le peuple et les chefs qu'il se donne ;
contrat par/ lequel on sripuloit entre les
deux parties, les conditions sous les-
quelles l'une s'obligeoit à commander, et
l'autre à obéir. Ou conviendra, je m'as-
sure, que voilà une étrange manière da
contracter; mais vc/ons si cette opinlou
est soutenable.
Premièrement , l'autorité suprême na
p^nt pas plus se modifier que s'aliéner;
îa limiter, c'est la détruire. Il est ab-
surde et contradictoire que le souverain
^e donne un supérieur j s'oblit^er d'obéir
s o c T A r,. i6S
a \m TTiaîlrfe , c'est se rcmeurc en plein®
liberté.
De plus, il est éyklmt que ce cen-
trât du peuple avec telles oa telic^s
personnes, seroit nn acte pariiciiiier j
éloii il suit que ce contrat ne sauroifi
être nne loi ni un acre de souveraineté^
et que par conséquent il seroit illégi-
time.
On voit encore que les parties contrac-
tantes seroient entre elles sons !a seuW
loi de nature , et sans aucun garant de
leurs eng;a£emens réciproques, ce qui
répiîgne de toutes manières à l'état
civil : celui qui a la force en main ,
étant toujours le maître de l'exécution ^
autant vaudroit donner le nom de con-
trat à l'acte d'un homme qui diroit à
un autre : « Je vous donne tout mom
»> bien, à condition que vous m'en ren-
*> chez ce qu'il vous plaira î>.
Il n'y a qu'un contrat dans l'état ,
c'est celui de l'association ; et celui-là
seul en excluroit tout autre. On ne sau-
roit imaginer aucun contrat public, qu*
ne iûi une violation du prenuer.
106 DU CoiTTRAT
9 MMf*m%mimeiui%/AiBiiMj m uma BmÊaisessmÊan
CHAPITRE XVII.
J)e r institutioTi du Gouvernements
Oous quelle idée faiit-il donc concevoir
l'acte par Ip(|!?el l« gouvernement ess
insûtiîé ? Je remarque d'abord que cet
acte est coraplex on. comoosé de à^'\yi
autres ; savoir , l'étaMi^semeut de la ici
et l'exéaution de la loi.
P'U' îe premier , le souTerflin statue
^u'il y aiïra un corps tle gouvernement
établi sons telle on telle forme ; et U est
clair que cet acte est mie loi.
Par le second , le peuple nomme le^
chefs qiû seront chargés A'^ «ronverne-
xx{QX).x établi. Or , cetre nomination étant
ïin acte particniier, n'est pas une seconde
loi , mais setdenîent u' e sui:e de la
première , et une fonction du gouverne-
ment.
La dîfficn'té est d'entendre commrnt
• n peut avoir v,r\ acte de gonvernrrneïst
avant q'jo le gouvernement existe , et
^é^Bimeiit le peuple , qui a'est que sou,-
s O C I A £. 167
rerain ou «ujet , \yent devenir prince ou
mn^isrrat dans ceriaines circonstances»
C'est encore ici que se découvre une
de ces étonnantes propriétés du corp*
politique, par iesqueiles il concilie âe$^
opérarions contradictoires en aj^parence.
Car celle-ci se iait par utia couveisioîi.
Subiie de la sonveraineté en démocratie 5'
«n sorte que sans aucun cban^cjnmr sen-
sible, et seulement par une nouvelle re-
laiion de tous à tous , les citoyens , deve-
«us iTKti^isirats , passant des actes gêné»
r^ux aux acres particuliers, et de la loi
à rexécution.
Ce clî»np;einent de relation n^est point
lane suijtiîiré de Rpcculation sans exeii^-
p'e dans la praiiqueî il a lieu tous le»
jours dans le parlemeat d^Anglcicrre ,
oà la chambre-basse, en certaines occa?-
sious , se tourne en grand comiié , pouv
mieux discuter ie^ aiLiires , et devient
ainsi simple commission , de cour sot*-
veraiiie qu'elle étuit riiisrant ])réccdent ;
en relie sorte , qu'elle se fait ensuîiô
rapport à eile-meme c<*mme chambre
^es conununes*, de ce qu'elle vient é&
régler en grand comité , et délibère dor
Boureau sous un tiîre, de ce q^ueile »
4éja résolu sous un aulre<^
î68 BU C O Is* T Pv A T
Tel est Tavantage proprs au go tî ver"-
nenieiU. cLMïiociatifjîie j de pouvoir êtrel
ëlabii dans le tait par un simple acte d(5
2â volonté générah?, Après quoi , ce gou*
vernenieî?! provi icnnel reste en posses*
sion , si relie est la form?* adoptée ou éîa*
blie au nom du souverain : ie gouverne*
lîient prescrit prir là loi ; ef; tout se trouve
ainsi dans la rè^^îe. Il n'est pas possible
d^insîituer le gouvernement d'aucune
autre manière légiîim? , er saiis renon-
cer aux principes ci-devant établis.
C H A P I T R E XVI I I-
Moyens de prévenir les iisurpa^
tions du Gouverjiement,
X-^'E ces Gelaircïss<?metis , il résulte, éit
coniirujation dti chapitre XVI, que i'acté
qui institue le gouvernement n'est points
lin contrat , mais une Joi ; que les dépo-'
sitrures de la puissance exéoutive ne sont*
point les maîtres du jienpie, mais se*
officiers; qu'il peut \^^ établir et le»
ilestituer quand il lui plait -, qu'il n'est
poini '■
Social. 169
point question pour eux de cwitracter ,
miiis d'obéir ; et qu'en se cliargeant des
fonctions que Pétat icur impose , ils ne
font que remp'ir leur devoir de citoyens,
sans avoir en aucune sorte le droit de
disputer sur les conditions.
Oïuind donc il arrive que le peuple
iufititiie un gouvernement héréditaire,
soit monarchique , dans une famille , soit
arisîocraîique, dans un ordre de citoyens y
ce n'est point un engagement qu'il prend ;
c'est une forme provisionnelle qu'il donna
à l'adminis! ration , jusqu'à ce qu'il lui
plaise d'en ordonner autrement.
il est vrai que ces changemens sont
toujours dani^ereux, et qu'il ne faut ja-
mais toucher au [gouvernement établi ,
que lorsqsi'il devient incompatible avec
le bien public -, mais cette circonspectioa
est une ruaximé de politi^^ue, et non.
pas une rè<^(e de droit ; et l'état n'est
pas plus tenu de laisser rautoriré civile à
ses cli-efs, que l'autorité militaire à ses
généraux.
Il est vrai encore qu'on ne sauroit , en
pareil cas , oliserver avec trop de soin
toutes .les foraialiiés requises pour <liâ-
j.tinguer un acte ré<^uliâr et légitime d'an
I tumuiie sédiiieux^ ei la Yolonté de iou$
1""^' ''' ' ■■ S,
ïjà t) U lî é N T ». À T
tin peuple, cîe s clameurs d'wne facrioâ«
C'est ici sur-toHt qu*il lie faut donneï" ;
«u cas odieux que ce qu'on ne peut lui \
refuser daus toute 'la ri^gueùr du droit \
'et c'est aussi de c^ettè obligation que le |
prince tire un grand avantage pour con^ !
server 5a puissance inal^ré le peuple, sans j
^u'on puisse dire qu'il l'ait usurpée ; car j
en. paroissant n'user que des droits ^ !
il lui est t'oïi aisé dé les étendre-, gè |
^rempèchiîr ^ sous le prétexte du rcpoj
public ^ Ses assemblées destinées à réta-
blir le bon ordre ; de sorte qu'il se
prévaut d'un silence qu'il empêche dé
it)fnpre , ou des irrégularités qu'il fait
commettre , pour supposer en sa laveur
l'aveu de ceux que la crainte fait t^ire^
et pour punir ceux qui osent parler. C est
ainsi que les (iéceuivirs^ ayant été d*ai
bord élus pour un an ^ puis continués
pour une autre année, tentèrent de reîè-
nïv à perpétidté leur pouvoir , en n<ï
permettant plus aux comices de s'assem-
bler 5 et c'esr par ce f.icile moyen, que
tous les gonvernen eus du monde , nnt
fois revêtus de ia force publique , usur
pf n»^ tôt eu tard l'aurorîté souveraine.
I-es as'^émblées périodiques , dont j*ii
parlé ci-devant, sont propres à prévertft
s o G ï A i;.. 17:^
ôu différer ce malheur, sur - tout quandt
elles n'ont pavS besoin de convocation for-
me lie •, cm' alors le prinre ii«* sauroit les.
çnipéciier , sans se déclarer ouverîeuienç
inLactçnr des loix et eiiaenii tie l'éiat.
Ij'ouvertuie de ces assemblées , qui
Xi\ynî pour objet que le mairiticnt du
traité social, dcir. toujours se faire par
çleux propositions qu'on ne puisse jamais
suppr'mer , et qui passent séparément
par les suffrages»
La pr.iiMiERE : S* Il plaît au souve^^
Xa'in de conserver la présente forme de
gouvernement.
La seconde : S'il plaît au peuple d'en
"baisser Vadminhtraîion à aux qui en sont
actuellement chargés.
Je suppose ici ce que je crois avoir dé-
montré ; savoir, qui! n'y a dans l'éîai:
aucune loi fondamentale qui ne se puisse
révoquer , non pîîs priénie le pacte social;
car si tous les ciioyens s'assembloient
pour rompre ce pacte «'un • omniv?^ ac-
cord , on ne peut douter qu'il ne fur tr s-
lé<^iîimement rompu. Groiius pense niè-.
me que chacun ]îeut renoncer à Petat
fiont il est membre , er reprendre s^
JÀL^i'té iiaiurellô et ^^s biens , en sorlaiis
K a
lys Dxr Contrat
'diivpays (i). Or il sercit absurde que
tous ies citoyens réunis ne pussent: pas
ce que peut sépar^nent chacun d'eux.
(i) Bien entendu qu'on ne quitte pas,
pour éluder son devoir et se dispenser
de servir sa patrie, au moment qu'elle a
besoin de nous. La fuite alors semit
criiniuelle et punissable; ce nç serois
plu5 retraite, mais désertion.
Fin du troisième Livre,^
S" O- € ' î A 1^. 1
/'
... , ■ .... . ,<>
LIVRE 1-î. - -^
Cîi AP.ITR,E^ I? RÉM'IER.
Que la volonté gênéraLe est indeê-
tructihle.
J.. A NT 'qtTe^ plusieurs lîDmmes réunis
se considèretit rortjme iiH*s^il corps, iK?
i*i'om qii'iïTlci^ vDloiifé qilî se ra])porte à
ïa commiin^'^cfenstîrvat'ion' et au bien^érr©^
jj;én(h'a1. -Alors tous les ressorts de Pétat
â-3ïU *i|;0<a'eux et si^nple^ , s^^s liiaximes
sofit claires et lunaneuses; il n'a point
d'interôr.^ émbrouilhîs ^'veôntraclicîoires \
le l}ien commun se montre par» tant avec
évidence , et ne demande que du bon-
sens pouretVe appercu, Lapaix, l'union^
i'éf];alité , sont ennemies des oubii'ités
politiques. Les hommes droits ei sitnpios
«i)nt diificiies à tromper^ à cause de l<?uc
ni^ ry ^ C o K Y R A T
simplicité: les leures, îes prétextes ra*
fines, r.e leur en imposent point; ils »«
"front pas luérne assez iins poiir élie çlupes.
Quaiui on voit chez le plus heureux peu-
jple du monde des troupes de pavvsanss;
rèj^ler les atiaires d'étar sous un chêne,
, iBt îe contluire toujours sainement, peut-
on s'empêcher de n^épriser les rafiuemens
des autres n n tiens , qui se rendent illus-
tres et ruéprisables uvec tant d'art et de
ïnysièies ':
Un état ainsi gouverné a besoin da
très- peu fie îuix : a niésure qn'il devieuÊ
UsécCvSsaire d'en prcnTul|i,i:er de nouvelles,
cette nécefisité se voit universellement*
le premier qui la» propose ne tait qiîe
dire ce que-, tou8 ont <:léja senti, et il
n'est pas question ni de brigues ni d'éîo-
<|uenfe pour iaire passer en loi ce q?îe
fjhacun a déjà résolu iîe faire , i>i-îôt qu'il
sera 4>nr que les autres l(â feront connue
}ui.
Ce qui Trompe les raisonneurs , c'est
que ne voyant que des étais mal consti-
tués dès leur origine, ils sont frappés
^e l'impossibilité iVy niaintenir une >ein-
Ijiable police. lU rient d'iniji^iner touJesi
l^s sptiises qu'un fourbe fi^lroit , un par-
If 114- îiiijiunant , pourroù peisnaiier au
s O C I A T>, 375
peiTp^e cle Paris ou t!o Londres. Ils n^
saveiit pas que Cromwel eût été mis aux.
soiinertes par le peuple ite Berîie , er, le
fine de Eeaul'ort à ia tliscipline par les
Genevois.
Mais quand le pœnd social comipenco
|l se relâcher , ei. l'état a s'alïoiblir ; quand
Jes intérêts particuliers couunencent à
«e faire scniir , et les petites sociétés à
influer sur la ^vfiiule , l'intérêt conimuu
s'aîière et trouve des oppcsans , l'unani-
mité ne règne plus dans les ioi\ ; la
Toloiîté générale n'êst plus la volonic dQ
tous ; il s'élève des contradictions , de»
<iél)ats ; et ie meilleur avis ne passe poin^
sans disputes.
Enfin , quand Pétat , près de sa ruine 5,
ïie subsiste plus que par une forme iiiur
«(ire et yaiue , que 1^ li^n social esS
ronî])u dans tous les coeurs^ que le plus
^ïl intéi-êr se pare effronrément du nom
sacré du bien public j alors la volonté
générale devient muette ; tous , *njidé.$
par des rnotits secrets , a'opinent pas
plus comikie citoyens, que si Pétat n'eût
jamais existé ^ et Pon fait passer faus-
sement, sous le nom de loix, des décrets
iniques qui n'ont pour but que Pintéièf
particulier^
S^eiisuit-il de là que la volonté gêné*
raie soit anéantie ou corrompue '{ Non;
elie est toujours constante , inaltérable
■ et pure \ mais eîîe est subordonnée à
d'autres qui l'emportent sur elîie. Chacnu
détachant son intérêt de Pinîérêt commun ,
voit bien qu'il ne peut l'en séparer tout-à-
faitY iTiais sa part du mal piil)lic ne lui
paroît rien , auprès du bien exclusif quM
prétend s'approprier. Ce bien particuliar
excepté , il veut le bien général pour
son propre intérêt , tout aussi fortement
qu'un autre. Même en vendant son suf-
frage à prix d^argent , il n'éteint pas la
volonté générale ; if l'élude. La fauts
qu'il commet est de changer l'état de la
question , et de répondre autre chose
que ce qu'on lui demande : ensorte
qu'au lieu de dire , par son snifragé ,
il est avantageux à l'état^ il dit, il est
avantageux à tel homme , ou à tel parti ^
^ue tel ou tel avis passe. Ainsi , la loi de
l'ordre public dans les assemblées n'est
pas tant d'y maintenir là volonté géné-
rale ^ o^uQ de faire qu'elle soit interrogée
et qu'elle répoiide toujours.
J'aurois ici bien des réflexions à faire
gur le simple droit <ie* voler dans tôuC
acte lie souveraineté , droit que rien iie
s ô r. T A r.; 177
peut ôter aux citoyens; et sur celui d'o-
piiier, de proposer, de diviser, de dis-
ciller, que le t^osivcrriernent a toujours
grand soin de ne laisser qu'à ses mem-
bres ; mais cette i»-ppor[ante inaiiôre
demanderoit un traire à part, et je ne
puis tout dire dans ceiui-ci.
CHAPITRE II.
Des Suffrafces.
OxX .oit, pa. le ch.p.re p.écédenr,
que la manière dont se traitent les af-
faires i^énérales , peut donner un indic®
assez siir de l*état actuel des mœurs et
de la santé du corps politique. Plus le
concert rè^ne dans les assemblées,
c'est-à-dire, plus les avis s'approcli'îut
de Pnnanimiré, plus aussi la volonté gé-
nérale est dominante; mais ]e=5 -longs
débats, les dissenrions, le tumulte , an-
sioncent Fascendant des intérêts particii»-
tiers et le déclin de l'état.
Ceci paroit moins évident, quand
«teux ou plusieurs ordres entrent dans sa
ifB DU ,C O ^ T II A T
coiistirtition , consuie à Rome les patri-
ciens et les plébéiens, dont les quereiieis^
troublèrent souvent les comices , fnème
dans les plus beaux jours d© U répu-
blique j mais ceu^ ejice()don est plus
«pparenîe que réelle; car alors, par les
vice iniiéreni au corps politique, on a j,
pour ai,nsi tiiie , deux éiats en un -, ce
qui n'«iL pas vrai dans deux ensexîîbîe j
lèBt vrai de chacun séparéinenr. £t ei^
^{fet , dans les lems même les plus ora-
geux^ les plébiscites du peuple, quanc^
le sénat ne s'en niêloit pas , passoient
toujours tranquillement à la grande plu-
ralité oefi sut'tVages : les citoyens n\ayan|
^u'un iutérôr^ le peuple n'ayoit qu'une
Tplonié.
A l'autre exîrémité du cercle, l'una-
Ttim.iîé revient. C'est quand les citoyens ^
tombés dans la servitude, n'ont plus
jïi liberté, ni volonté. Alors la crainte
€t la flatterie changent en aeclamatiou
les suiïrages ', on ne délibère plus, ou
adore ou l'en maudit. Telle étoit la
•vile manière çropiner du sérat sous les
-empereurs. Quelquefois cela se iaisoit
avec des précautions ridicules. Tacite
jpbserve que, sous Oîlion, les sénateurs,
^ccaî^iant Viteiliui» à'exécra lions, aiïeç*
s o c i À ii 17-^
fôiciit 'de faire en même- rems un bruit
époiivantnble, afin que, si par hasard
il dévenolt le m-tîtré, il ne pût savoir
ce que chacun d'eux a voit dit.
De ces diverses considérations , naissent
les maximes snv lesquelles on doit ré«
^!er la manicje de compter les voix et
de comparer les avis, selon qne la vo-
lonti^ générale est plus ou moins ikciié
h connoitre , et l'état plus ou raoin$
Êléciinant,
Il n'y a qu'une seule loi qui, par sa
ïiaiure , exi^e un consentement unanime^
C'esr le pacte social ^ car Passociation
civile est Pacte du monde le plus vo-
Honfaire; tout homme étant né libre et
maître de Uu-méme, nul ne peut, soun
cjuelnue ]>Tëtexte que ce puisse être ^
l'ass'ijèttir sans Son avoirs Décider qUd
le iiis xPuTt èsciavè nait è&c[ave> c'est
décider qu'il né naît pas homme.
Si dotjc , lors du pacte social ^ H
sV trouve des opposans , leur opposi^
tion n^invalide pis le contrat^ elie eiti^
•4>.i\çhe st-ulemeul qu^ils n'y soient com^
pris-, ce sont das étrangers ])(n*mi \&^
iirovens. Quand l'état «st instiuiéç !ô
C6ns6ntem«nt ôst dans l-à rciiùuiite j
380 T) V Contrat
liabiter le territoire, c'est se soumettrô
à la souvcraineié (1).
Kors ce contrat pr'mirif, la Toix du
plus ^rancl iiombre oblige toujours tous
les aiures ; c'est v.ne suite du contrat
niônie. Mais on demande comment un
liomrne peut èlre libre, et forcé de &&
conformer à des volontés qui ne sont
pas les siefines-, comn^ent les opposans
sont-ils libres , et soumis à des Ioïâ.
jaiîxqneîles ils n'ont pas consenti ?
Je réponds que la question est mal po»
sce. Le (iroyen consent à toutes les loix ,
même à celles qu'on passe malgré lui, et
même à celles qui le punissent quand il
ose en violer quelqu'une. La volonté c^iis-
tante de tous les me^m])res de l'état, est
3a volonré générale*, c'est par elle qu'ils
sont citoyens et libres (2). Quand on pro-
(1) Ceci doit toujours s'cnrendrc dUm
état libre; car d'ailieurs, la famille, les
bieiis , le defcuit d'asyle , la nécessité,
la violence , pe|^v;^;^t retenir un habi-
tant dans le paVg^ inalgré lui, et alors
son séjour seul' ne suppose plus son
'coDseniement air contrat, ou la vj(?f.*{f
îion du contrat • -'r *j[
'■ (2/) A Gènes, on li^ au-devant des pri-
Siiut&^t sur les li^rs iUs^alerieus ce mot.:
s O C I A I.»' 181
pose une loi dans raa^^pmblée du peuple,
ce qu'on leur demande n'est pas précisé-
ment s'ils approuvent la proposition ou
s'ils la rejettent, mais si elle est con-
forme, ou non, à la volonté générale qui
est la leur : chacun , en donnant son suf-
frage, dit son avis là-dessus, et du calcul
des voix se tire la déclaration de la ro-
lonto générale. Quand donc l'avis con-
traire au mien l'emporte, cela ne prouve
autre chose , sinon que je m'étois trom-
pé , et que ce que j'estimois être la vo-
lonté générale ne l'étoit pas. Si mon avis
particulier l'eût emporté, j'aurdis fait autre
chose que ee que j'avois voulu; c'est alors
que je n'aurois pas été libre.
Ceci siippose, il est vrai, que tous les
caractères de la volonté générale son.t en-
core d'ins la pluralité ; quand ils cessent
d'yctre, quelque parti qu'on prenne , il
n'y a plus de liberté.
En montrant ci- devant comme on subs-
1.IBERTAS. Cette application de la de-
vise est belle et juste. En effet, il n'y sl
que les mallaiieurs de tous états qui em-
pêchent le citoyen d'être libre» Dans ua
pays où tous ces gens-là seroient aux ga-
lères , oH jouiroit de la plus paifaitc li-
berté.
9
îBj bu Cohthat
îirur.k lies volontés particulières à la to«
îotué générale Uans les délibérations pu-?»
Cliques, j'ai siitlisamaient imAiqué les
jnoyens praticables de prévenir cet abus
J'en jailerai enc(ue ci-après» A Péj^ard
du Bonibre ]>Lop()riiounel des suitVages
pour déclarer celte volonté, j'ai aussi
^lonné des principes sur lesq:ieis on peut
le déteruiinei'o La dittV'i euc<i* d une s^^ul^
voix rompt l'égaliie ; un seul opposant;
rompt Punaniniité ; mais enir*» l'unanimité
et rég'diié , il y a plusirurs paria^e^
inégaux , à chacun d( squels on peui iixef
ce nombre j selon l'état al les besoins di*
corps |)oliiiqî!e.
Deux maximes générales peuvent servir
à relier ces iaj)porrs : Time, q^ue plux les
délibéra'ions sont iin|>oi tauies et <_raves ,
plus l'avis qui I eujporie doit approcln^r de-
^unanimité : l'antre , que plus l'atT,îiret
agitée exii»e de cciérité , plus (m d<jit vé*
server la tlitïérence prescrite dans le par-*
tage des avis. Dans les délibéiaiii^ns qn il
faut terminer sur-le champ , Pexréd* nt
d'une seule voix doit suffire^ La prennèrft
de ces maxHues paroit plus couveuabie-
auxloix, er la .seconde aux aiïair'S. <^hio£
^u'il en soi:, c'^est sur leur conibiuaisoî*
^ue &^étabiijs6iit l^n meill&iirs lajpport^
S" a c I A I.. 1
qn'^on peut donner à la pluralité de pro-
nonce r.
CHAPITRE III.
£)es Sélections.
A
L^i o A R D des ëïectîoîîs du princf^
et des magistrats, qui sont , comme je l'ai
dit, des actes complexes, il y a deux voies
pour y procéder; savoir, le choix et Je
sort. L'une et l'autre ont été employées
e7i diverses républiques ^ et l'on voit en-
core actueHement un mélange très-com-
pliqué des deux dans rélection du dog^
de Venise*
Le suffrage par h sort, dît Monîe.sqiueu ^
9St de la nature de la démocratie. J'en con-*^
viens, mais comment celai Le sort y. con-
tinue-t-il , est une façon d'élire qui n'affligù
personne; il laisse à chaque citoyen une es-*
pérance raisonnable de servir sa patrie^ C@
«e sont pas la des raisons.
Si Pon fait attenrion que Péîection de&
CKefs est une fonction du gouvernement
et aoiï de «oiiV4îrainçté j oa verra pour
9
îS4 ^^ Contrai^
quoi la voie du sort est plu.* dans la na^
ture tff> hî 'lémo( raîif* , où l'administra ioa
est 44'auîant meilleure, que les actes es.
simi /îîoins niubipliés-
iMns toute vériîabîe démocratie, in
l»ti^i8 rarure î>Vst pas un avanrage, niais
Kn« «barge onéreuse qu'on ne peut ju«-
teuieni imposer à un particulier piutièt
i|u'i au luiîre, La loi seule peut iniposet:
cette cijarjjed <:elui sur qui le soa-t .tor»-
tera. Car a!*>rs , la coudiflon étant éj^ale
pour tous , et le choix ne dépendant ci'a.ii-
cune volonté humaine ,il n'y a .point d'ap-
plication particulière qui altère i'univ^ea:-
«aiité de la loi.
Dans l'aristocratie, le prince choisit le
prince, le |»ouverneiricnt se conserve par
lui-même, et c*est-la que les -salïra^e*
sont bien placés.
L'exemple de l'éleclion du doge de Y^©-
«ise confirme cette distinction , loin de la
■iJétrnire : cette forme môiée convient^daa«
im gouveinenient mixte. Car c'est unie
erreur de prendre le j^^ouvernement ée
Venise pour une véritablâ aristocratie- Si
Un peuple n\y a nulle part au ^ouverrae-
înent,l*4 n'.t])lessey est peuplée eile-nièmc
Une multitude de pauvres barnaboteç
a'*appv»cha jauuiis d'aucune ma^i«triitur«.
>
tttn^s ào S'A noblesse que le vum titre ri'e:^-
CiÊllence et le tiroir d'assister aa gr^nid
conseiL Ce ^rand conseil éfriiu aussi lu hi-
fereux qiif notre conseil ^éui^r^] d Ge*
m^ève, Kes îllijsrres njeinbrfs n'<^n* v,i)3 phrs
de privilèges que no» 8iniple,s citoyens, li
est Gfrrain qi 'ôtant rexriême di<î|ariué
dfe^ ileujL répnbîî jiies, la bour|Jeoi.sie de
C-ienève représente exactement le patri-
ciat vénitien; raos nîUiis et habitans rei-
]pTés«ntent les citadins et le peuple de
'Denise ; nos paysans représentent les sil-
J®ts de Terre-Ferme : enHn , de que)q,ue
saanière que l'on consnlère cette répii-
^Rque, abstraction faite de sa grandeur^
*0» gouvernement n^est pas plus aristo-
|Ci?atique que le nôtre. Toute la dîfte-
jence est que , n'ayant aucun chef à Tie>
Bï) us n'avons pas le même besoin du sort»
Les élections par sort , auroient peia
^Tinconvéniens dans une véritable dénia)*
Cïatie au to»t étant égal ^ aussi bien pajt
le& mœurs et par les talens, que par les
jïLasimes et par la iortuno, le choix da-
viendroit presque indifférent. Mais j'ai
déjà dit qu'il n'y avoit point d« véritable
ëëcnocratie.
Qliand le clioîx et le sort se trouvent
m41é»^ jke premier doit remplir les plat^^&i
t86 T>Tr CôNTHAT
qui demandent les talens propres, telle»
qne les emplois niiliraires; l'autre cou-
vrent à celles oîi suffisent le bon-sens, la
fustice, rinté^^rité , telles que les charge*
de jiidîcaîure; parce que dans un état
fjien constitué , ces qualités sont com^
Kîunes à totistes citoyens.
Le sort ni les suffrages n'ont aucun lient
dans le gouvernement monarchique, î o
monarque étant de droit seul prince et
snagîstrat unique, le choix de ses lieute*
îians n*appartient qu'à lui. Quand Pabb^
de Saint-Pierre proposoit de multiplier
les conseils du roi de France, et d'ea
cHîre les membres par scrutin, il ne voyoît
pas qu^il proposoit de changcrla forme du
gouvernement.
Il me resteroit à parler de la manière de
donner et de recueillir les voix dans l'as-
semblée du peuple; mais peut être l'his-
toire delà police romaine, à cet égard ^
€xpliquera-t-il plus sensiblement toute»
les maximes que je pourrois établir. Il
îi'est pas indigne d'un lecteur judicieux
de voir un peu en détail comment se traî*
toient les affaires publiques et particu-^
Hicres dans un conseil de deujL C€ntinili#
lionimes»
s o c X A 1. tdf
CHAPITRE IV.
JDes Comices Komaines^
xS, ou s n'avons nuls nionumensbien as-»
surr'S de» pr^ niiers tems de Rome ; il v a
oiême grande apparence qne la plnpn» r des
choses qu'on débite, sont des fables (i);
«t en général, la partie la plus insi nictive
<ies annales des peuple^., qui ^sr l'hi^îtoire
<le leur érablisseA-îeni , estjeellequî nv)uS
n anqiie te- pins. 1 'exi^éffence nous ap-
prend lotis les jours de quelles causes
naisseni les révolutions des tmpiies; niais
comme il ne se f<u*nie phis^ de peuples ,
nous ti*;iV' ns g'ières que <les c<»niectnres
pour ex; iî p •ercjnnienr ils se .«(<nf tbrjiiés*
Lf\s iiîiajies qir« n trouve établis atîestent
ea moins qu'il y eut une origine à ces
* ■' -~— - — '
(i) le noirï de ROx^'If!;, qu'on prétend
ven-r de .RO>^ÏJLUS, rsî ai'ec, signifie
IOR(^H : le non» de NUÎVI^ est grec aus-
si , ei sijiïui^e iX)L (,)iiel!e apparence que
les lieux pretuiers rois de cette viMe pient
porte d'avance les nums si bien re'atii^i ace
ifu'ik'ûnt t'ait 1
L4
i88 DIT Contra?
usages, Dcis traditions qui remontent à ces
origines, celles qi/'ij^puient les plus gran-
des autorités, cr que de pïîis fortes rai-
sons confirment, doivent passer pour les
plus certaines. Voilà les maximes que j'ai
tâché c!e suivie eu recherchant con^ment
le plus libre et le plus puissant peiiple
de la terre exercoit son pouvoir suprême.
Après la fondation de Home, la répu-
blique naissante , c'est-à-dire , TarraéQ
du fondateur , composée d'Albains , de
Sabins et d'étrangers, fut divisée en trois
classes, qui, de cette division, prirent
le nom de tribus. Chacune de ces tribus
fut subdivisée en dix curies^ et chaque
curie en décuries, à la rête desquelles
on mit des chefs , appelés curions et dé-
turions.
Outre cela, on tira de chaque tiibu lan
corps de cent cavaliers ou chevaliers ,
eppelé centurie; par où l'on voit que ces
divisions, peu nécessaires dans un bourg,
Ti'étoient d'abord que militaires. Mais il
semble qu'un instinct de grandeur por-
toit la petite ville de Rome à se donner
d'avance une police convenable à la ca-
pitale du monde.
De ce premier partage résulta bientôt
\X!SX incouvéniexit. C'est que la tribu dss
5 O € I A r.
iklbains (i) et celle des Sabins (2) restant
tOHJowrs au même éîat. tamiis que ccile
des étrangers {?f) croissoit sans cesse par
le concours perpétiiel lîe ceux-ci^ tetie
dernière ne tarJa pas à surpasser les tU-ux
aulres. Le remède que Servius trouva à
ce dan^^ereux abus, fut de changer Ift
division; et à celle des races qu'il abolit,
d\m substituer une autre tirée des lieux
de la ville occupée par chaque tribu. Au
iieii de trois tribus, il en fit quatre: cha-
cune desquelles occupoit des collines de
Borne et en portoit le nom. Ainsi remé-
diant à riué^^alîté présente, il la prévint
encore pour l'avenir; et afin que cette di-
vision ne lût pas seulement de lieux , mais
d'hommes, il détendit aux habirans d'un
quartier de passer dans un autre*, ce qui
«mpêcha les races de se coniondre.
Il doubla aussi les trois ancieunes cen^
tuiies de cavalerie, et y en ajouta dorjie
autres, mais toujours sou-s les anciens
îioms ; moyen simple et judicieux par le*
quel il acheva de di»;tinguer le corps dos
chevaliers de celui du peuple, sans faire
Kiurmurcr ce dernier.
i
i) RAMNENSES.
sA TACIENSES.
(6) LUCEllES.
I9O ^^ Co^TUAT
A ces quiltre tribus urbaines, Servîns
€11 ajouta quinze aiifrrs, appelées nibtis
rustiques, parce qu'elles croient formées
<3es habîtàns de ia compagne, partagé»
en autant décantons ; dans la suite, on en
fit autant de nouvelles, et îe peuple ro-
lîiain se trouva enfin divisé en trentc-cinti
tribus; nombre auquel elles restèrent
fixées jusqii^à la fin de la république.
De cette disiinction des tribus de la
Ville et des tribus de la campagne, résulta
tin effet digne d'être observé, parce qu'il
ïiy en a point d'autre exemple, et que
Borne lui dut a la-fois la conservation de
ses mœurs et l'accroissement de son em-
pire. On croiroit que les tribus urbaine*
s'arrogèrent bientôt la puissance et les
honneurs, et ne tardèrent pas d'avilir les
tribus rustiques; ce fut tout le contraire. Oa
connoit le goût des premiers Romains pour
îa vie champêtre* Ce goilt leur venoit dm
sage instituteur qui unit à îa liberté les
travaux rusiiquesetinilifaires, et relégua^
pour ainsi dir^i, à la ville les arts, les mé-
tiers , l'intrigue, la fortune et l'esclavage»
Ainsi, tout ce que Eome avoit d'illustre
lyîvant aux champs, et cultivant iestecres,
on s'accoutunmà ne chercher que Jà les
gouiieiis de la république* Cet état, étaaf
s Ô C t A 1. 191
<!î«îui de« plus ilignes patriciens, fat ho-
noré de tout le monde : la vie simple et
iaboneuse des viilfl^ei^is iîit préférée à
Ift vie oisîvâ et îâche iXvs bonrget'is d%
Home; et tel n'eût été fja'an ir.allieuveux
prolélaiiô à la ville, qui , laboureur aux
champs, derint un citoyen respt cté. Ce
n^est pas sans raison, disoif Varron, qii«
nos magnanimes ancéires établirent au
Tiilage la pé|>inière de ces robustes et
vaillans hommes qiii les défendoieni en
tems de guerre et les nonnissoient en
temps de paix» Piine dit positivement qtïe
les tribus des champs étoient honorées, à
cause des hommes qui les conip<>st)ient ;
au lieu qu'on transféioit , par ignominie ,
^ans celles de la vilb», les lâches qu'on
Touloir avilir. Le Sabin Appius Clai.'diis
étant Tenu s'établir à Rome, y fat comblé
d'honneurs^ et inscrit dans une friburu»-^
tique, qui prit dans la suiie le nom de stk
iamilie. Enfla, les affranchis enîioient
tous dans les tribus urbaines , jamais dans
les rurales; et il n'y a pas, durant toute
ia république, un seul exemple <i'aucuiîir
de ces affranchis parvenu, à aucuae ma»
gistratuie, quoique devenu citoyen.
Cette maxima éioit excellenie ; itirdt
6ii« im |)Ou«s^tt^ ioiu^ c][u'il eu r<j£uit^
L6 "
igi D TJ C O N T HA T
enfmun changement, et certainement wM
abus dans la police.
Premièrement , les censeurs , après
s'êîre arro|ié long-îemps le droit de trans-
férer arbitrairement les citoyens d'une
tribu à l'autre, permirent à la plupart de
se faire inscrire dans celle qui leur plai-
soit; permission qui sûrement n'étoie
t)onne à rien , et ôtoit un des grands res-
sorts de la censure. De plus, les grande
et les puissans se faisant tous inscrire
dans les tribus de la campagne, et les af-
franchis devenus citoyens ^ restant avec la
populace dans celles de la ville, les tri-
bus , en général, n'eurent plus de lieu ni
de territoire; mais toutes se trouvèreni:
tellement mêlées^, qu'on ne pouvoit plus
discerner les membres de chacune que
par les registres; cnsorte que l'idée du
root tribu j^assa ainsi du réel au personnel,
ou pluîôt , devint presque une chimère.
Il arriva encore que les tribus de la
TÎlIe , étant plus à portée, se trouvèreni
souvent les plus fortes dans les comices,
et vendirent l'état à ceux qui daignoient
acheter les suffrages de la canaille qui l©3
composoit.
A l'égard des curies, l'instituteur en
ftyant fait dix à chaque tribu ^ tout i«
Social. 19^5
peuple Romain alors reniermé dans les
murs de la ville , se trouva composé da
trente curies , dont diacune avoit ses
temples , ses dieux , ses oflicicis , se»
prêtres , ses fêtes , appelées compitaîiu ,
semblables aux paganalia qu'eurent dans
la suiîeles tribus rustiques.
Au nouveau partage ée Servius , ce
nombre de trente ne pouvant se lépartir
également dans ces quatre tribus, il n*y
voulut peint toucher ; et les curies , in-
dépendantes des tribus, devinrent une
autre division des liabitaus de Home j
mais il ne ïxit peint q:'estion de curies
ni dans les tribus rustiques, ni dans Je
peuple qui les compovoi'j parce qi^e les
tribus étant de^'en^K-s uu ciablissement
purerae:i: civil, et . no. î.'itre police ayant
été introduite poir in lev,-e des troupes,
les divisions miljraiife5 «it Roiuultis se
trouvèrent superdiu «. x\îusi ^ quoique
tout citoyen lut in&rit dans «me tribu >
il s*en falloit beaucc^^ q:îi^ <hf<cun ne le
iûr. dans une ciuie.
Servius fit encore ur.e iioif^ièioc divi-r
sion , qui n'avoit aucun iap;:>orT aî;y .ieiïx
précédentes, et devini . pa. . •; la
plus importante de tonM>. li ^ilâiribua
lW)fcttle peuple Romain en si^ciusset^ qu*U
1^4 ^ ^ Co:^TKAT
Be cilsîingiia ni par le lieu, ni par les hom»
des, mais p;ir les biens j ensorte que les
premières classes éroient remplies par \e%
richen, les dernières par les pauvres , et
les moyennes par ceux qr.i jouissoient
d^une forrime modiocre. Ces six classes
étoient subdivisées en cent quatre-vingt-
treize autres corps, appelés centuries;
et ces corps t^roient tellement distribués ,
^ne la première classe en compr<:ncit
seule plus de la moitié, et la dernière
n'en formoit qu'un seul. Il se trouva
ainsi que la classe la moins nombreuse
«n hommes, l'étoit plus en centuries, et
que la d-^rnicre classe entière n'éloit
comptée que pour une subdivision, biea
qu'elle contint seule plus de l& moitié des
îiabitans de Rome.
Afin que le peuple pénétrât moins les
conséquences de ceue dernière i'oi'mc,
Servius alTecla de lui donner un air mili-
taire: il insôra dans la seconde classe deux:
centuries d'armuriers , et deux d'instru»
înens de guerre dans la quatrièjue: dans
chaque classa, excepte ia dernière, il dis-
tingua les jeunes et les vieux ;. c'est- ii-dira
ceux qui étoient obligés de porter les
armes, et ceux que leur âge eu exemp-
tûir par les loix*, disaaaia» qui, plus que
Social. igS
«^TTe^CB l)iens , prodnish la nëces-«!Ué de
xeconuTietîcer souvent le ans on denoni-
l)rPMi<"n^ ; enfin, il voulut que i'a.ss<^ni])l«^c
«^ t î 11 t an { ham p de M a r « , et que î o u«
ceux qui étoienr en îi^e de servir, y
vÏRiSSPiTt avec leurs aniies.
La raison pour laquelle il ne suivit pas
ci'ans la «ieruière classe cette nièwe divi-
skm «tes jeunes et des vieux, c^est qn on
aViccordoîi- point à la ])opn!ace dont (lie
étcîr composée, Thonneur de porter le*
armes ])Oîir la patrie; il ialloit avoir de»
foyers porir obtenir le droit de les dé-
fendre; et de cCvS iiuiom!)rablcs troupe»
de gueax dont brillent aujouro'hîii les ar-
nxées des rois , il n'y en a pas un, pe»!*
ê^tre , qui n'eût été chassé avec déti«in
d'une cohorîe romaine, quaiui les &c!daîs
Croient les défenseurs de i a liberté.
On distiiif^ue pourtant encore, dans îa
«lernière classe , les prolétaires^ de ceux
^u'on appcloit ccvitécensi. I..es preiuiers ^
pon roiu-à-iait réduits à rien, donnèrent aia
ipfjoins des citoyens àTérat , e» queUîueiois
ap^iême des soldais dans les besoins pTessaiiS»
JPour cei\k qui n'avoient rien du tout et
<|nan ne pouvoir, dénombrer que psr leur»
tel es, ilsétoient regardés comme nuls ; oj
Mariua lut ie premier qui dai^tui les cniûiej:*
Sans décider ici si ce troisième dcnot»-
brement étoit bon ou mauvais en lui-
même , je crois pouvoir ai'Hrmer qa*il n*f
avoir que les mceiirs simples des premiers
Romains, leur désintéressement, leur
^oût pour Tagrlculture , leur mépris pour
le commerce et pour rardenr du gain ,
qui pussent le rendre praticable. Ouest
le prince moderne chez lequel la dévo-
rante avidité , Pesprit inquiet, l'intrigue^
les déplacemens continnels , les perpé-
tuelles révolu rions de fortune pussent
laisser durer vingt ans un pareil éîabîis-
semeiit sans bouleverser tout Pétat 1 U
fai;t même bien remarquer que les mœurs
et la censure , \àuq fortes que cette insti-
tution , en corrigèrent le vice à Rom«, et
que tel riche se vit relé^iié dans la classe
des pauvres, pour avoir étalé sa richesse.
De tout ceci , l'on petit comprendre
aisément pourquoi il n'est presque jamais
fait mention que de cinq clat:ses, quoiqu'il
V en eût réellement six. La sixième ne
fournissant nî soldats a l'armée , ni voîan»
au champ de *\lars (i) , et n'étiint presque
(i) Je dis au-CiïAM? de Mars, parce
que c*eroit-là que s'assernblnient les co-
mices par centaries * daii^ les lieux atitret
s O C T A t., 397
•t'aucîin usage dan'î Ja république , étoit
rarement comptée pour quelque chose.
Te'îes turent les d lléren^o^i divisions
du peuple Romain. Voyons à présent
l'elfet qu'elle'^ prochâsoient dans les as-
seriîMées. Ces assrmblées lé^;itiHieixieBl
convequdes, s'ap[)eloif'iit Comkcs ; elles
se tenoient ordinairement dans la plac*
de Rome ou du champ de Mars , et se
distingiioif nt en conâces par curies, co-
niires lar ccnîinies, et comices par tribus,
selon ( : Je des trtns formes sur laquelle
elles cîcient ovdonnces. Les comices par
curie» eîC'i< mhU' !'instiruticm de Romulus;
ceux par centuries, de Scrviris; ceux par
tribiîs , des tribuns du peuple. AucL.ne loi
ne recevcrif la saucnon, aucun magistrat
n'ét'iL élu que dans les comices y et ^
comme il u*y avoir aucun citoyen qui ne
fiYî ic.bcîi dans une curie ^ dans i^ne cen-
turie ou dans une tribu , il s*ensuit qu'au*
cun citoyen n'étoit exclu du droit de suf-
frane , et que le peu|>le Romain étoit vé-
ritablement souverain de droit et de l'ait.
formes , le peuple s'assembloit au Forum
ou ailleurs , et alors les Capltécensi 2i\o\GT\%
autant d'influence et d'autorité qu$ 1$$
prômiers citoyens.
B V C O X T R A T
Pour que les comices fussent légitîme-
nienr assenibles , er que ce qui s'y taisoit
eût i'one de loi , il t'>l!oir trois conditions:
là première , que le corj3s ou le magistrat
qui le convoquoir tût revêtu pour cela de
i'autoriré nécessaire; la seconde, que
Passemhlée se ïU un des jouis permis par
la loi; la rr«i,ônie, que les augure»
fussent favorables.
La ra'son du pr'mier règlement n'a
pas besoin d'éire exj)li{juée. Le second est
une aftaire de police ; ainsi il n'étoit pa«
permis de tenir les comices les jours d«
iérie et de marché , où les gens de cam-
pagne venant à Koiiie pour leurs affaires ^
n'avi îtni pas le lemtî de passer la jour-
flée dans la place publique. Par le troi-
ttéme, le sénat lentiiî en bride un pcni le
fier et remuant , et tempéroit à propos
Tardeur des tribuns séditieux ; mais ceux-
ci trouvèrent plus d'un moyen de se déli-
Trer de cette gêne.
Les loix de l'éleciion des chefs n'éfeient
pas les ?euis points soumis au jugement
de« comices ; le peuple romain ayant
usurpé les plus importantes fonctions du
gouvernement, on peut dire que le sort d«
TEurope étoit réglé dans ces assemblées,
CettQ Y&riéié d^objets donnoit lieu auis
s O € I A I.» IÇf
^versçs formes que prerioient ces asseni»
Mees, se'oM les matières sujt lesquelles ii
9^oit à pï^îTionceî;
Pour jn|»er de ces dîirersss formes, il
«wliiit de les comparer, Roiriulus, en insii-
tÊuâtu les «curies y avr ît enTÎe de conienir
lis sénat pa? le peuple, er le peuple par \&
•énat^ en dominant également sur tous.
jËi donna ^onc au peuple , par cette forme^
faute l'autorité du nombre pour balances
«elle de îa puissance et des richesses ipi'M
^ïssoit aux patriciens^ Mais selon l'esprit
àk la monarchie, il laissa cependant plus
4É?*vantage aux patriciens par l'inlluencô
dé leurs cliens sur la pluralité des suffrages.
Cette admirable institution des patron»^
«t. des cliens fut un chef-d'œuvre de poîi^
lâ^^sê et d'humanité , san? lequel ie pa^
tKiciat ,, si contraire à l'esprit de la répiij»
Biique,, la'ei^t pu subsister. Il orne seule a
4tm PliOïineux de donner au monde ce bel
€Exemple, duquel il ne résultera jamais
ii/abus y, et qui pourtant a*a jamais été
•uivL
Celte mémt forioe d® curies ayant sufe*
Sijsté Sous les rois jusqu'à vServius , et le
règne du dernier Tarquin n'éiant poiîte
iK^âiplé pour légitime ^ cela £t dis lingual
généralement les loix royales par le noA
de leges curiata»
Sous la république ^ les curies, toujour»
bornées aux quatre tribus urbaines , et n«
.contenant plus qae la populace de Romé^
ïie pouvoient convenir ni au sénat qui
ëtoit à la tête des patriciens , ni aux tri-
buns, qui, quoique plébéiens , étoîent à
la tête des citoyens aisés. Elles tombèrent
donc dans le discrédit , et leur avilisse-
ment fut tel , que lôurs trcBte licteurs
assemblés faisdîent ce que les comices
par ctirîes au r oient dii faire*
La division par centuries étoît si favo-
rable à Paristocratie, qu'on ne voit pas
d'abord comment le sénat ne Teraportoit
pas toujours dans les comices qui portoi^nt
ce nom , et par lesquels étoient élus les
consuls, les censeurs et les autres magis-
trats curules, Eneflet, de cent quatre-
^ingt- treize centuries qui formoient le»
six classes de tout le peuple romain , la
première classe, en comprenant quatre-
vkngt-dix-lîuît , et les voix ne se comptant
que par centuries , cette seule première
classe Pemportoit en nombre de voix sur
toutes les aut^res. Quand toutes ces cen-
turies étoient d'accord , on ne continuoit
l^as mâme à recueillir les suffra |;es : €•
s d e I A r. 20a
^p^aroît décidé le plus petit nombre pas-
soit pour une décision de la multitude ^
et l'on peut dire que dans les comices par
centuries , les affaires se régi oient à îa
pturalilé des écus bien plus qu'à celle des
Toix.
Mais cette extrôme autorité se tempé-
roit par deux moyens. Premièrement ^
les tribuns , pour l'ordinaire , et toujours
un grand nombre de plébéiens, étant de
la classe des riches , balancoient le crédit
des patriciens dans cette dernière classe.
Le second moyen consistoit en ceci s
qu'au^lieu de faire d'abord voter les cen-
turies s«lon leur ordre, ce qui auroittou*
Jours fait commencer par la première , on
en tiroit d'abord une au sort , et celle-là
(i) préjcédoit seule à l'élection, après que
toutes les centuries appelées un autre
Jour, selon leur ran^, répétoientla même
élection et la conlirmoient ordinairement»
On àtoit ainsi l'autorité de l'exemple au
(i) Cettç centurie ainsi tirée au sort,^
s'appelait pvœrogativA , à cause qu'ell©
éioît la première à qui l'on demandoir sou
sjfflVage ; c'esj; d^-U qu'est Tenu le mot
S03 » IT C O K T Tl. A a?
rang, pour îa donner en sort., ieloîi le
principe île la clémocraîie^
Il résuîtoit de cet usa^e tm -antre ?rvsra-
tage encore; (-est que les citoyens délia
campagne avaient ki tems^ enire les ûe.iïx
éiecrions, do s*inior;î erdu mérite du carn»
4lidat provisionnel lenieiit nommé , afin de
ne donner leur voix qii'avcc connoissanee
<ie (a use. Mais , s<mis prétexte de célérir^
l'on vint à bout d^abolir cet nsag-e, et les
deiui élections se iirent le rnênt® joar.
I^s comices p»r tribus étoient propre-
mi^nt le conseil du peuple romain. Ils tîs
«e convog noient que par les tribuns'; lï*«
tribuns y éîO'eiit élus , et y passwjt-eîïX
3«urs pUVbiscires. Non seulement le sénal£
m'y avoit point de ran^, il n'avoii pn»
îwème le droit d'y assister ; et , forcés
^'obéir à des loix sur b\scjiielles ils r\'*.^m
?oient pu voter, les sénateurs à cet é«3^anM
^loieuil moins libres que les ^ieruierin .di-
î^iyens. Getfe injusbice étoit touî-ar-iaaî
jîial enrendire , et suiïisoit seule pcnir in-
yaiider les décrets d^un corps où touc SdS»
€j)enibres n^cto^ent. pas admis* Quaudta^i*
les pat rii ions eu8seTit assisté à ces C4^-
Jïûces , selon l« droit qu'ils ,en avoieni:
c^mmQ citoyens , dev^oaus «ùlpre iduo^ie»
s o c I A r.. aoS
particuliers, ils n'eussent gnères inOtié
«ur une forme île suffrages qui se recueil-
loient par têre , et où le moindre prolé-
taire poiivuit autant que le prince da
«énat.
On voit donc qu'outre Tordre qui résul-
toit de ces diverses distributions pour le
reciievUeuient des suffrages d'un si grsud
peuple, ces distributions ne se rcdui-
«oient pas à des formes indifférentes «a
«Iles-mêmes, mais que chacun avoit des
effets relatifs aux vues qui la faisoit pré-
férer.
Sans entrer là-dessus en de plus longs
détails , il résulte des éclaiicissemens
précédens , que les comices par tribusts
étoient les plus favorables au gou%'erne«
ment popidaire , et les comices par cen-
turies à l'arisiocratie. A l'égard des «o-
wices par cenîuries ^ où la seule populace
de Rome formoit la piuralire, comme ils
n^étuient bons qu'à favoriser ia tyrannie
et les raanrais desseins, ils durent top.iber
dan» le décri , les séditieux eus-raèmes
s'absieuant d'un moyen qui metfoit trop à
découvert leurs projets. Il est certain q-ie
toute la majesté du peuple romain ne s«
trouvoit que dans les comices par centu-
ries ^ qui seuls etoieat compleu^ aiti^Md«
0,04 "^ ^ GOKTRAT
ijne d^ns les comices par curies Tnan«
^uoiert les tribus rusiiques , et dans les
coipices par ti'ibiKS, la séna^ et les patri-
ciens.
Quant à îa manière de recneil'ir les siif*
fragevS , eUe étoi^ ch^z le*? pri'^miei'? Ro-
mains aiis,si Siiiiple que U*urs njœnrs j
quoique moins simple rncore qu'à Suarte.
Chacun donnoitson suilraoe à iiaiiie voix;
un greffier lesëcrivoir, à mesure; iu p'iura*
îité de voix dans chaque tribu féiermi-
noit le suttra^e ihi peuple , et ainsi i^^es
curies et des centuries. Cet usage eîoit
bon , tant que Phonnéteté régu» ic entre
les citoyens , et que chacun avoit lionte
<le donner publiquement son sutiVage à
un avis injuste ou a un sujet indigne ;
mais quand le peuple se corrompit et
«ju'oii acheîa les voix , i! convint qu'elles
se donnassent en secret pour contenir le»
acheteurs par la défiance , et lourniïr
*ux fripons le moyen de n'être pas des
traîtres.
Je sais que Cicéron blâme ce chan-
gement, et lui attribue en partie la ruine
d-e la république. Mais quoique je sente
le poids que doit avoir ici l'autorité de
Cicéron, je ne puis être de son avkJ- Je
fiense du ç©nu'gire, que pour n'avoir pas
lait
Social» 2o5
fait ûnnez de chan;^emens semblables ,
on accéléra la perre de Téiar, Comme le
régime des grnssiins n'est pas propre aux
malades , il ne tant pas vouloir gouverner
un }>euple corrompu par les mêmes ioîx
qi;i conviennent à un bon peuple. Riea
ne prouve mieux celte maxiuie , que la
durée de la républicjue de Venise ^ dont
le siiaulacre existe encore, uniquement
parce qvie ces lois ne conviennent qu^à d«
mécbaiis hommes.
On distribua donc aux citoyens àe% ta-
blettes par lesquelles chacun pouvoit ro-
ter sans qu'on sut quel étoit son avis.
On établit aussi de nouvelles formali-
tés pour le recueillement des tablettes,
le compte des voix', la comparaison des
nombres , etc. ; ce qui n'empêcha pas
que la fidélité des officiers chargés de
ces fonctions (i) ne fut suspectée. Oa
fit enfin , pour empêcher la brigue et
le trafic des suffr;îges , des édits doiit
la multitude montre Tinutilité,
Vert les derniers temp^ , on étoit soit-
tenî contraint-^ de recourir à des expé-
(i) Custodes y dirilntofcs , rogatons suffi i^
^c6 BU Contrat
diens extraordinaires pour suppléer à
rinsiiflisance des luix. Tanot on suppo-
soit diS prodiges ; niais ce moyen qui
pouvoir en imposer au peuple , w'en im-
posoit pas à ceux qri le gouvernoienr:
tantôr on couvocfiîoit bnisquenient une
assemblée avcini que les candidats eus-
sent eu le rems de faire briji^ue ; tan-
tôt on consiunoit toute une séance à par-
ier , quand on vcyoit le peuple f;agnê
prêt à ïîrendre un mauvais parti : mais
enfin î'anîbilion éluda tout; ce qu'il y a
d'incroyable , c'est qu'au milieu de tant
d'abus , ce peuple immense , à la faveur^
de ses anciens rc^lemens _, ne laissoit pa«
d'elir« les magistraîs, de passer les Joix ,
de juger les causes , d'expédier les af-
faires particulières et publiques , pres-
que avec autant de facilité qu'eut pu faire
le sénat lui-même.
C H A P I T R. E V.
Z)u Trihunat.
V^^UAND on ne peut établir une exacte
proportion entre les parties constitutives
Social. %oj
de l'état , on que les causes indestruc-
tibles en allèrent sans cesse les rapports ^
aîors on institue une nriajf>istrature parti-
culière qui ne fait point corps avec h 9
autres , qui replace chaque terme dan»
son vrai rapport , et qui fait une liaison
ou in moyen terme, soit entre le prince
ou le peuple , soit entre le prince et !•
souverain , soit à-la-fois des deux côtés ^
s'il est nécessaire.
Ce corps , que j'appellerai trîhnnat^ est
le conservateur des loix et du pouvoii"
législatif. Il sert quelquefois à protéger
le souverain contre le gouvernement ,
comme faisoient à Rome les tribuns du
peuple , quelquefois à soutenir le gouver^
nement contre le peuple , comme fait
naaintenant à Venise le conseil des dix ,
et quelquefois à maintenir l'équilibre de
port et d'autre, comjne faisoient les éphores
à Sparte.
Le tiibunat n'est point une partie cons-
titutive de la cité , et ne doit avoir aucune
portion de la puissjèince législative, ni de
l'executive : mais c'est en cela même que
la sienne est plus grande ; car , ne pou-
vant rien faire , il peut tout empêcher : il
est plus sacx'é et plus révéré comme dé-
fenseur des iûix , qu© le prince qui le$
M a
exécute ;, et que le souverain qui les
doTîîiec C*est ce qu'on vil bien clairement
à B^one, q^and rec fiers patriciens, qui
lïîépihîèïenr fOLsjour*^ le peuple emier,
fuîcn- forcés de tlécliir devant un simple
ofïi» î^r du peupla , qui u'avoic ni ai.spice
ni juii^dicrion.
Le fribiin.îf sagenient tfrnpéré, est le
pUîS feniie appiâ d'une boîinb coiisiltirûonj
mais prur peu de force qu'il air de trop,
il lenvt rse tour : à i'é^ard de &a fuiblesse,
elle n'est pas dans !a nature, et pourvu
«ju'ii soir quelque chose , il n'est joraais
ïRoins qu^il ne faut.
II dc'^énère en tyrannie quand il usurpe
la piîi'îsanre executive donr il n'est que
îe n^odéraieur, et qu'il veut disposer ies
îoix qu'il ne doit que proréaer. L'énorme
pouvoir des éphores, qui fut sans danger
tant qîie Sparte conservi aes mœurs, en ac*
céléra la ri)rruption commencée. Le sang
iï*A gis eger^é par ses tyrans f»it vengé par
son successeur: le crime et le châtiment ties
épliores hâtèrent également ia perte de la.
i^publique, et après Cléomène, Sparte ne
fut plus rien. Rome périt encore par la
Bnème voie, et le pouvoir excessif des
tribus usurpé par degrés, servit enfin y
à Tâ&de dô$ Ioix faites par la liberté , dm
Social* îiof
Hauve- Seattle aux empereurs nm !a défriii-
sirenr. Quant au conseil d(*s dh^ .\ Venise^,
c'est un iribunal de sang, horrible r^ale-
inenr aux p^ttricif^ns et au peuple , et qui-,
loin de protë|^er hautement les loix, ne
8«rt plus 9 après leur avilissement , qu'à
porter dans les ténèbres des coups qu'oa
n'ose a p percevoir.
Le tribunat s'ai'toiblit comme le gou-
vernement , par la multiplication de ses
mem'or-es. Quand les tribuns du peuple,
d'abord au nombre de deux , puis de
cinq, vonluî^nt doubler ce nombre, le
sénat les laissa faire , bien sûr de conîenir
les uns par les autres ; ce qui ne manqua
pas d'arriver.
Le meilleur moyen de prévenir les nsiir-
paiion» d'un si redoutable corps ^ nioyeiv
dont nul gouvernement ne s'est avisé jns«-
«ju'ici , ce seroit de ne pas rendre ce corps-
permanent, mais de régler des inicr-
ralles durant lesquels ilresteroitsup})rima.
Ces intervalles, qui ne doivent pas êlre
a«sez grands pour laisser aux abus le îems
de s'ailirmir , peuvent cîre iixés par la-
loi , de manière qu'il soit ais';* de les
ô-bvé^^er au besoin par dea commissions
îraordinaires.
Ce nia)eii me partit sans inconvéui^ut^
3LîO BU Contrat
parce que, corame je Tai dit , le tribunal
lie faisant point paille de la coiistirution ,
peut êtiepté sans qu'elle en soiiilre ; et
il me paroît efiicace , parce qu'un nia«:»is-
tras nouvellement rétabli ne part point du
pouvoir qu'avoit son prédécesseur , mais
de celui que la loi lui donne.
CHAPITRE VI.
jDe la Dictature*
J_i'iNFLExiBiLtTÉ dcs loix , qui îes em-
pêciie de se plier aux évènemens , peut
en certains cas les rendre pernicieuses ,
et causer par elles la perte de l'état dans
«a crise. L'ordre et la lenteur des formes
cleniandeiit un espace de tems que Jes
circonstances refusent quelqut^fois. Il peut
se présenter mille cas auxquels le législa-
îeur n'a point pourvu , et c'est une pré-
Toyance très-nécessaire de sentir qu'on
ne peut tout prévoir.
Il ne faut donc pas vouloir affermir îes
institutions politiques , jusqu'à s'ôier le
pouvoir d'en suspendre Telfet. Sparie
elle- même a laissé doiiiiir ses loix.
s O C î A I.. 2 11
Mnis il n'y a que les plus «vands dan-
gers qui puissent balancer celui cralrérer
l'ordre puî)Iic, et l'on ne doit jamais arrê-
ter le pouvoir sacré des loix que quand il
s'agit du salut de la patrie. Dans vos cas
rares et manifestes, on pourvoir à la sûreté
publique par un acte particu'ier qui eu
remet la charge au plus digne. Celte
commission peut se donner de deux nia-
nières , selon l'espèce du danger.
Si , pour y remédier , il suffit d'aug-
menter l'activiré dugouvernenienr , on le
concentre dans un ou doTix île ses
membres; ainsi ce n'est v^as l'autorité de»
loix que l'on altère , mais seulement la
forme de leur administrarion. Que ^\ le
péril est tel que l'appareil des loix soit un
obstacle à s'en garaniir , alors on nomme
un chef suprême qui fasse taire toutes
les loix, et suspendre un inoment l'auto-
rité souveraine. Eîj pircil cas , la voli=».n-*,
té générale n'est pas douteuse , et il est
évident que la première inreniion du
peuple est que l'éfat ne périsse pas. De
cetie manière la suspension de i'autoriré
légisiarive rhe l'abolit ])oint : le magistrat
qui la tait taire ne peiit la l'aire parler , H
I i domine sans pouvoir la représentai *, il
peut tout faire , exccpié des loix.
2î2 Bxr Contrat
Le premier moyen sVmplo/oît par îe
sénat romain quand il chargeoit les con»
suis par une formule consacrée, de pour-
voir riu salut de la république : le second
avoit lieu quand un des deux consuls nom-
nioit un dictateur ( i ); usage dont Albe
avoir donné Texeniple à Home.
Dans les commencemens de la républi-
«jue, on eut rrès-souvent recours à la dic-
tature, parce que Pérat n'avoit pas en*
core une assiette assez fixe pour pouvoir
se soutenir j)ar la force de sa constitution.
Les mœurs rendant alors superflues bien
des précautions qui eussent été nécessaires
dans un autre tems , on ne craignoit ni
qu'un dictateur abusât de son autorité, ni
qu*il tenràt de la garder au-xielàdu terme.
Il sembloit au contraire , qu^m si grand
pouvoir fût à charge à celui qui en étoit
revêtu, tant il se hâtait de s'en défaire;
comme si c'eitt été un poste trop pénible
et trop périlleux de tenir la place des
l(;ix.
Aussi n*est-ce pas le danger de Tabus p
( î ) Cette nomination se fesoit de nuiL
et eu secret , comme si Ton avoit eu.
boute de luciU'C mi kuium^ au -dessus
«rais celui de l'avilissernenr , qui me tait
blâmer l'usage indistiet i\e ceMe siiprôme
ïijagis'rarure dans les prerniers tems. Car,
tandis qu'on la prodiguoit a des élections^
àclescl<^tli(aces , a des choses de pnreior*
nialitc , il f^ioit à craindre (jtî'elle ne de-
vînt moins rcdouiable au besoin , et qu*oa
ne s'aceoiiruuiât à regarder comme un vais
titre celui qu'on n'employoit qii'*i de vaineg
cérëmories.
Vers la fin de la riipnbliqtie , les Ro^
jnains , dt^vi nus plus circonspects , jnéna*
|ȏre!it la dictatuje avec aiiS*"i peu de rai-
lôon qu'il-? l'a voient prodigtiée autrefois.
ïî étoit ai^é de voir que leur craiure étoit
ma! fondée; que la foiî)lesse de !a capifaîe
iaisoir alors sa sûreté conire les magistrats
qu't'lle avoir, dans son sein ; qu'un tiicta-
teur pouvoir, en certain cas , délendre la
liberté publique sans jaiiiais y pouvoir
^attenter , et que les 1ers de Rome ne se-
yoient point forgés dans Rc^me môme ,
mais d^n?^ ses armées î le peu de résia*
tance que Hrent Marins à Sylla , et Pom-
pée à César, montra bien ce qu'en pouvoit
attendre de4'aurorité du dedans contre la
force du dehors.
Cette erreur leur fit faire de grandes
iiiit€s. Teil« , par exemple , fut celle -dô
^i4 ^^ CONTS-AT
îî'aroir pas nommé im dictateur dans Paf-
faire de Caiilina -, car, comme il n'éîoit
question que du dedans de la ville , el
tout au pins , de quelque province d'Ita-
lie , avec l'autorité sans bornes que les
loix donnoient au dicfateur , il eût faci-
lement dissipé la conjuration, qui ne lut
étoufiée que par un «ontours d'heureux
hasards que jamais (a prudence humaine
ne devoit attendre.
Au lieu de cela , le sénat se contenta
de remettre tout son pouvoir aux consuls:
d'où il arriva que Cicéron, pour agir
efHcacenif^nt > tut contraint de passer ca
pouvoir dans un point capital , et que,
si les premiers transports de joie firent
approuver sa condniie, ce fut avec justicô
que dans ia suite on lui demanda compte
du sang des citoyens versé contre les loi^c ;
reproche qu'on n'eût pu faire à un dic-
tateur. Mais l'éloqîsence du consul entraî-
na tout; et lui- même, quoique romain ^
aimant mieux sa gloire que sa patrie^ ne
cherchoît p.- s tant le moyen le plus légi-
îime et le plus sûr de sauver Pérat , que
celui d'avoir tout l'honneur de cette af-
faire (i). Aussi fut-il honoré justement
(i) C'est ce dont il pouvoit se répon*
s o e I A z* mS
«omme libérateur de Home , et justement
puni cx)nime infracteur des loîx. Quelque
brillant qu'ait été son rappel , il est cer-
tain que ce tut une grâce.
j^ u reste, de quelque manière que
cette imporranre commission soit confé-
rée , il importe cVen fixer la durée à un
terme très-court , qui jamais ne puisse
être prolon|;^é ; dans les crises qui la t'ont
établir, Tétat est bientôt délniit ou sau-
vé , et , passé le besoin pressant ^ la die*,
taîure devient tyrannique ou vaine. A
Home, les dictateurs ne l'étant que pour
six mois , la plupart abdiquèrent avanc
cf' terïue. Si le terme eût été plus long ,
peut être eussent-ils été tentés de le pro-
Inuger encore , comme firent les détem-
virs celui d'une année. Le dictateur n'a voit
que le tems de pourvoir au besoin qui
i'avoit fait élire ; il n'a voit pas celui de
songer à d'autres projets.
dre en proposant un dictateur, n'osant se
rsomu^er lui-môtne , et ue pouvant s'assa»
rer <juô son collègue le aommerojto
V
ai6 DU Contra
CHAPITRE VII.
L)e la Censure.
X>£ lîiêsne que la déclaration de la to^
lonte générale se fait par la I(^i, la déclara*
tioTi iX\x jugement public se iaii par la cen-
Suie; PopiiiioM publique est l'espèce de-
loi dont le ( enseur est le niini-stre , es
qu*iî ne t'aii qii*appliquer aux cas parîicu«
liers , a ]*<-»xeuiple du prince.
loin donc que le tribunal censorî 1 ««oît
Tarbifre de l'opinion du peuple ^ ii n'en»
est que le déclara leur , et sitôt qu'il vs'en
écarie . ses dénonciaîionfi sont vame^i e5
sans effet.
li eiit inutile de distinguer les mœura
d^ine nation , des objeis de son estime 5.
car lant cela tient au njêine principe et
SP confoîîd nécessairement. Chez tous lea
peuples du nîontle j ce n'est j)oint la na-
ture , ïjiais l'opinion , quidécide du choiis
de leurs plaisirs. FLedressez les opinion»
des honiJiies , et leurs mœurs s'épurerong
d'elJcs-mônies. On aime toujours ce qui
@8t liçjau^ou c« q^u'ou trouyc tel; maife
c'est
i
s ô c ï A r.; itif
tVst sur ce jugement qu'on se trompe 2
c'est donc ce jugement qu'il s^ae^it de ré-
içler. Qui juge des mœurs, juge de l'hon-
neur ; et qui juge de l'honneur, prend sa
loi de Popiuion.
Lps opinions él'un peuple naissent de sa
eoiisti^utjon : quoique la loi ne règle pas
les mœurs , c'est la législation qui les
iiait naître; quand la iégisiation s'afloiblit^
les mœurs dégénèrent , mais alors le ju-
gement des censeurs ne fera pas ce quel
la force des loix n'aura pas fait.
II suit de-lk que la censure peut êtref
utile pour conserver les mœurs , jamais
pour les l'établir. Etablissez des censeur»
durant la \igueur des loix; sitôt qu'elles
l'ont perdue , tout est désespéré ; rien de
Icj^itime n'a plus de force, lorsque Ie«
loix n'en ont plus,
La censure maintient les mœurs, e»
empêchant les opinions de se corrompre^
€n conseryant leur droiture par de sages
upplicaiions ; quelquefois même en le»
fixant, loisqu'eliessont encore incertaines.
L'usage des seconds dans les duels, portés
jusqu'à la fureur dans le royaume de Fran*»
ce , y fut aboli par ces seuls mots cVum
ëdit du roi \ quant à ceux qui ont la lâcheté
é'aPi^kr dç9 Hcçndst Ce jugement préveg
^j8 i>tj Contrat
ïianr c<^Imî th\ pnbiic ^ le déteni:ina teul
cl un coup. Ivlais quand les mônies cilii»
Toiilurent prononcer que c'étoir aussi une
lâcheté de se battre €mi duel , ce qui est
ti es- vrai , mrîis contraire k l'ooinion co^?n-
nume , le public se moqua de cette déci-
sion sur laquelle Sun jugement étoit déjà
porté.
J'ai dit ail'eurr, (i) qne ropinion publi-
que n'étant point soamîsc à la conriaime,
il n'en falloit aucun vestige d.ms le
tribunal établi pour la représenter. On ne
peut trop admirer avec quel art ce ressort^
entièrement perdu chez les modernes ^
étoit mis en œuvre par les Romain» , et
Kiieujt chez les Lacédémoniens.
Un homme 'de mauvaises mœurs ayant
Ouvert un bon avis dans le conseil de
Sparre, leséphores , sans en tenir compte,
firent proposer le môme avis par un
citoyen vertueux. Quel honneur pourl'un,
«juelle note pour Tautre , sans avoir donné
lû louan|;e ni hlâme à aucun de^ deux l
Certains ivrognes de Samas souillèrent |e
îjibunal des éphorcs ; le lendemain , par
( 1 ) Je ne fais qu'indiquer dans ce
f>haptire ce que i'ai traité plus au long
ôciiu la icure à M. d'Alcmbcrt.
s Ô C î A T.. at()
étîit pL^Mic , il fur pernns anrc Sat\Tieîî>i
ti'<^tre des vilains^ Un vrai r1:âîîmenr rùfe
été n.vjin.s sévère qii*une pareiileinipunifc»
Oiunid Sparie a proîM-mô sur ce (iiu est
■ou iVesr pas iioniière , la Grèce n';ippetl<i
pas de ses jiigemens»
CHAPITRE VII I.
De la I\eIigio7i<:i\fiIe*
JLjes hoBi^ies n^eurent pojat d*aborcl
li^uurres rois que ios Dieux, ni d'autre
l^ouveMiemtnt que le thtocrÊ^aque, I]«
iirent le raisonnement de Caligiila , et
alors il raisonnoient juste. Il faut une.
longue altération de sentiinens et d^idées
pour qu'on puisse «e résoudre à prendre
BOTi semblable pour maître , et se flattei?
qu'on s'en trouvera bien.
De cela seul qu'on meitoit Dieu à la
têre de ohaque société poliîiqne , il s\n
suivit qu'il y eut autant de Dieux que de
peuples. Deux peuples étrangers l'un %
J'auhe , et presque toujours ennemis , ne
furent lojag-tews icçQn»aître nn mémçr
JN 3
^10 DIT CeifTllAT
n»aîire : deux années se livrant bataille i
«e sauroient obéir au même chef. Ainsi
des divisions nationales résulta le poly-
téisme , et de-lk Pîntolérance théologique
et civique , qiû naturellement est la raérne^
comme il sera dit ci-après.
La fantaisie qu*enrent les Grecs de re*
IrouTcr leurs dieux chez les peuples
barbares , vint de celle qu'ils avaient
aussi de se regarder commes les son*
Terains naturels de ces peuples. Mais
c'est de nos jours une érudition bien
ridicule , que celle qui roule sur l'i-
dentité des dieux de direrses nations^
comme si Moloth , Saturne ei Chamoi
pouvoient être le mènre dieu ; comme
si le Balaal des Phéniciens , le Zeus des
Grecs , et le Jupiter dos Larins , pou*
Toient être le même ; comme s'il pou*
Toit rester quelque chose commune à
ées êtres chimériques portant des noms
^ifférens.
Que si Ton demande comment dins
le paganisme , où chaque état avoir son
culte et ses dieux , il n'y avoir point
4e guerres de religion , je réponds quô
c'étoit par cela même que chaqtie état
^jaût 5QU ciUte propre , aussi bien (^ut
•on gouvernement , ne digtin^ucit point
lès cîleux de «;s loix.
La fiLcrrc po!itique /;toit aus^î théolo-
|ûqti^e ; les département dos dieux éfoieBt
J)Oi.r ainsi dire ,. fixés par les bornes
d<?« rations. le dieu d*un pr-upîe n'â-
Voit aUCfin droit sUr lés autrêi p',up'e«.
Les dieux des payens n'ctoieni poinr tieè
4l:ci;x jsloux ; ils parrageoic-nt entr'eui
l'e/r:pîre du monde. Moïse même et !•
l'c upîe Hf^breu se pn^toi^înt qcelqaeioii
à oeîie idée en parlant cîu d!tu d'It-
Tk'éL II» re;;ardoient ^ il est vrai , com-
me nuls les dieux de« Chananf-cns^
pctiples proscrit» , ronct à la destruc-
tion , et dont ils deroient occuper la
place -, mais Tovez comment iU par*
loient des diTixiités des peuples voisins
qu'il leur étoit défendu d'atuqner : L2
pysscsiion de ce qui appartient à Chamoê
ytt.e du'j , tlisoit Jcphté aux Ammcni*
tes y ne y cm est- elle pas légitlnument due ?
Ao^/i pcztédoiu au menu titre les tenret
^ue nctre dieu vainqueur t*e2t cc'iuiset (1)*
C'étoit Va , ce rne .'^'mbie , une parité
■ ■ « I II 11 ■ ■ ■ I I
(1) i lionne ed qua posildct Chanos deus
tnus tibi jure dtkentur'f) 1>1 est le texte
rîr; \a V'iil^aîe. I.e P. ùr Carnere^ a
Jiaàuit ; Kc crovoz'vous pa? avoir di'^ii
222 'B V Contrat
fcien reconnue entre le^ droits de Chamo$
et ceux du dieu d^Israël.
Maïs quand les juifs , sounii'? aux rois
de Babylone, et dans la suite aux rois
de Syrie, roulure nt s'obstiner à ne re-
connoitre aucun autre dieu que le leur^
ce refus, regardé comme une lebtilion
contre le vainqfieur , leur attira fes per-
sécutions qu'on !it dans i'hîstoiie, et <.iont
<in ne voit aucun autre exeruple avant
le chrisiianisme (i).
Gliaque religion étant donc unique-
lîient attachée tiux loix de Técat qwï la
prescrivoit, , il n'y avoit point d'autre
jmanîjèr® de conrei'tir un peuple que de
l'asservir, ni d^autres missionnaires ci\x^
de posséder ce qui appartient à Clia*
nia« votre dieu 1 J'ignore la force du
te;^îe îi 'bre?i ; nv:ih je vois que , dans îa
"Vulgatè , Jephîé reconnoit positivement
îe droit du dieu Chanios , et que le
traducteur trançals aft'oibiit cette recon-
lioissance par un SELO]^^'" V^OUS , qui
n'est pas dans le îatin.
(i)li est de la dernière évidence que
la guerre à^^ Phociens , appelée gucrrs
sa:rée , n'étoit point une £Ti,erre de reli-
gion ; elle avoit pour objet de punir des
«icriléges , et non de soumettre de^
tnécreanst ""
s o c r A .t. ^1%
2«s conqiicrans ; et robl;gation de cimn*
^;cr iî<B cuite étant la loi des Toinciis*^
il felioiî cijini'neiîcer nar vaincre âVrtii:
«l'en ]>tU-l€r. Loiîi que les hommes com-
bat îis-.ent pour les die!i^ 5 cV^toicRt-^
f:ûinîîia (îniis Iion?ère > l(^s dieux qui
comh-arrr/ient po:ir Icr^s liOîni.;«,«f ; cbàciia
demaïuioit au pîer» la victoire , et la
pavent par de nouveaux aiîîels. Le§r
ilt.ii;nins , îivatn df? prèTuîr^ une place ^
som:;)iiieiU ses die?jx de ]\'ibandoniier ;
et: qiîîîîul ils îaisjjoîeîît aux Tarohtina
ieiivH dioii?; irrirés , c'est (|ii'ils rci^ar-
doieïU alors ces dieux comme souniiâ
aux le-ii-s , et forcôs de leur faire lioin-
mai^e» Tls iaissoient aux vaincus ieiirà
dieux , comiue ils leur iaissoient leiirn
îoix. Une couronne au Jupiter du ca-
pitolc, étoir. souvent le seul tribut qu'ilîj;
imposoienr.
Enfin , les Romains ayant étendà ^
avec leur empire , leur culte et leur»
dieux 5 et aynut souvent eux-mêmes a-
dopté ceux des vaincus ^ en accordant
eux autres le droit de cité , les peu*
pics de ce vaste empire se trouvèrent
insensiblenieîit avoir des uiultitudes de
dieux et de cultes , à-peu près les inêinoK
par^ tout ; et yoiià, coftuueiu le paganisme
^ 4
2â4 ^^ €oNTÏlAT
;Be fut enfin dans le monde connu qu'iiix*
«eu le et même religion.
i Ce fut dans ces circonstances que Je*
«us vint établir sur la terre un ro*
yauni* spirituel*, ce qui , séparant le sys*
tome théologique du système politique y
ût que l'état cessa d'être un , et causa
les divisions intestines qui n'ont jamais
cessé d'agiter les peuples chrétiens. Or,
celte idée nourelle d'un royaume de
l'autre monde , n'ayant pu jamais entrer
dans la tête des payens, ils regardèrent
toujours les chrétiens comme de vrais
Tebeîîes , qui , sous une hypocrite sou-
mission y ne cherchcient que le moment
«le se rendre indépendans et maîtres ,
et d'usurper adroitement l'autorité qu'ils
i'eit^noient de respecter dans leur i'oibiesse.
Telle fut la cause des précautions.
Ce que les payens avoient craint est
arrivé ; alors tout a changé de face , les
Jiumbles chrétiens ont changé de langage,
et bientôt on a vu ce prétendu royauniô
de l'autre monde devenir sous un chef
visible le plus violent despotisme dans
celui-ci.
t Cependant, comme il y a toujours en
un prince et des loix civiles , il a résulté
Ae cette double puissanco un perpétuel
s o c X A x; 2ta5
conflit de jurisdiction , qui a rendu toute
benne politique impossible dans les états
chrétiens; et l'on n'a jamais pu venir à
bout de savoir auquçl du maître ou du
prêtre on étoit obligé d'obéir.
Plusieurs peuples cependant, même
dans l'Europe ou à son voisinage, ont
voulu conserver ou rétablir l'ancien sys-
tème 5 mais sans succès ; l'esprit cliristia-
nisuie a tout ^cgné. Le culte sacré est
toujours resté ou devenu indépendant du
souverain, <ç% sans liaison nécessaire avec
)e corps de Pétat. Mahomet e^t des vues
très-saines ; il lia bien son^systême poli
tique , et tant que la forme de son go*
\ernement subsista, sous les calile*"^^*
successeurs, ce gouvernement fut^^^^^*
tement un et bon en cela. Mais les -^i'*"^*
devenus fîorissans , lettrés , r^^^^ y mou»
e.t lâches , furent subjugués ^^^' ^'^^ ^^^*
bares; alors la division jentre '^^^^"^P"^**
sances recommença : quoiqr ®*^^ soitmoin*
apparente chea les mahop^tans que che»
les chrétiens , elle y e^t pourtant , sur-
tout dans la secte a^Aly : et il y a des
états , tels que la P^^se yok elle ne cess^
de se faire sentir.
Parmi nous , les rois d'Angleterre sÉ
»OiU ctabUfi çlids ae^églii^i jetant en onÇ
fii6 DU Contrat
iair les Césars : mais par ce titre , ils s'en
foîjî moins rcntliis les maitn's que les j>ii-
'm^'^trrs -, ils ont ir.oins adqt.'is *e droi? do la
changer que Ib pouvoir (ie la maiiutinr, ils
î>'y sont pas Icgi'sbîeurs , ils n'y sont que
princes^ Par.lont'tù' le'^cUcr^é fait un
< orpS (ï) , il rsl 'î^aitrè ^e't lé<;iblat€Vilr
«ians.ca patrir. Il y a'donc dénxp^iiis^sarfcefi,
Ailfux soiiverains on 'Àii£»léierrcei eu llus-
^ie , tout comnîe ailieu'rs'.'^
De tfuîs les atîfeurft chrétîeTTs, le plii-
losoplie îIo];bes c^t le sdui'qlrî ait bien vu
Isnial crlB^felriède, qai'al'î osé propo-ser
^c ré II nï^'^l^.^ ''deux têtes de î'aifi^le , et de
* ut rn m €'Se r à l' ii h i té po li i i que, sans
^''^ ^.lle jamais état ni goiivernenient ne
. v.^7 -^"iaut bien remarquer. ^q ne ce ne
Sont pas .,É^f ^^çç. asseînî)U'es formeiies,
^6n-:re celh^i ^e Fr.^nce , qui Henr le cU f:
^Y ^^^ nn ic'4irpj{>^ jq^te ]a comitiïiKion des
a 1 ( n s an i ]p p a u e soc, >a l du clergé, pacte
avec lequel i! s -.3 toujours le maître des
Çenplf^s et des rou. Tous ks prêtres qui
^OTtiri^r^ïquetifenseTobîesontèoncitoyeii^,
^•ssentifs >des <\cn% bouts du liionde.
Crr?e invention est nn chef-fPceuvre en
politique. Il n'y avoit rien de semblable
parmi bs prêirrspayens ; aussi li'oiU ils
j^iûaîàlftit m corps-dc clergé.
s o c î A t. ^47
srrn bien con.stiiné •) nuns il r» tiù toîj^
ij!!e lesinit tioTnlriareur dn chvis!iai?isrr!.-î
é!< it, iii.Mimparib'e avoc son système , er
i^ne rintôr;if; ci a préirc serc/it K^ujour^ |)l?i ^
inrt qrse celv.l de l'ôUît^ Ce n'e^t pa'^, tant
i4j qu'il y a d'iionihle e>. de faux -^ars sii
paliijqne^ qiie ce quVil y a de ji^se e. de
viai , qiiî l'a re.uluo o(lie!i?e (ï).
Je crois qii'eïi dévrloj^pant sons CG
|>(unr de vuo les Tairs ijisîcriqîîC^ , on ré-
i'urercir nisénu'U't les senihiien ?? opposé?}
de Bjyle et de Wa»]j!jrîon , d^nt l'un
préiend que/nidle reli^^ion u'est utile au
r.orps politique, eî dont rentre soiiîienr ^
au contraire, qtîe }e chrisnanismc en e^
le plus ferrrifî .'i|Tpîii. On prouve ^oit aiç
premier que îaniais l'étal ve fut fondé que
îa religion ne iiii scrvîf. de base , et au
eecondque la loi chrétienne est au fond
plus nuisible qii'uiile à la forte constirn-!*
îaon de i'éra», Pour achever de me faire
(i) Voyez, enrr'^autres, dans une lettre
ê^ Groîiîis à s^oti frère', du ii avril 7743,*
ce qTie ce savant homme approuve , et ce
qu'il blume dans le livre de cïve. Il f iSt
Trai quCj porté à rindul/i^pnce ^ il pan it
pardonner h l'aureur le bien en faveur ou
înal ; n^ais tout le monde n^est pas si clc^
Ù2S -D V Contrat
entendre, il ne faut que donner un peea
pjus de précision aux idées Irop vogues d©
xeligion relatives à mon sujet.
La religion considérée par rapport à la
«ociété , qui est ou générale ou parricu-
lière , peut aussi se diviser en deux es-
pèces ; savoir, la religion de l'homme ,
et celle du citoyen. La première, sans
lemples, sans autels, sans rjtes, bornée
au culte purement intérieur du dieu su-
prême , et aux devoirs éternels de la mo-
rale , est la plus pure et simple religion de
Tévangile , le rrai théisme, et ce qu'on
peut appeler le droit divin naturel. L'autre^
inscrite dans un seul pays , lui donne ses
tiieux, ses patrons propres et tutélaires i
elle a ses dogmes y ses rites , son culte
extérieur prescrit par des loix; hors la
seule nation qui la suit y tout est pour
elle inlidèle, étranger , barbare ; elle
a'étend les devoirs et les droits de
rhomme qu'aussi loin que ses autels.
Telles lurent les religions des premiers
peuples y auxquelles on peut donner le.
nom de droit divin civil ou positif.
Il y a une troif>ième sorte de religion
plus bisarre, qui donnant aux hommes deux
législations, deux chefs, deux patries^
iç5 sQume( À (Iqs devoirs cQzitj:adk|pOl.res ^
s O C I A t. aaÇ
et les empoche de pouvoir être à la fois
«lévots et citoyens. Telle est la religion des
Lamas, telle est celle des Japonois , tel
est le chiistianisme romain* On peut ap-
peler celle-ci la religion du prêtre. Il en
lésulîe une sorte de droit mixte et inso-
ciable qtii n'a point de nom.
A considérer politiquement ces trois
sortes de relip^ions , elîes ont toutes leurs
défauts. La troisième est si évidemment
aiauvaise, que c'est perdre le tems de
s'amuser à le démontrer. Tout ce qui
rom])t l'unité sociale ne vaut rien; toutes
les institutions qui mettent l'homme en
contradiction avec lui-môme, ne valent
rien,
La seconde est bonne , en ce qu'elle
réunit le culte divin et l'amour des loix ,
et que faisant de la patrie l'objet de l'ado-
ration des citoyens, elle leur apprend que
servir l'état, c'est en servir le dieu tuté-
laire; c'est une espécede rhéocraiie , dans
laquelle on ne doit point avoir d'autre
pontife que le prince, ni d'autres prêtres
que les magistrats. Alors mourir pour son
pays , c'est aller au martyre ; violer les
loix , c'est'étre impie ; et soumettre un
coupable a l'exécration publique, c'est le
dcYQHer au courroux des diç^x, Mcçrestç^^
sSo n tr C o N T n A T
Mf:-i.s elle est. înaii-vaise , en re <]u''('tp.nl
iV)n-(i('o s?ir rrrrenr et sur !e Pif^nsoiUie ,
ei;e n-oiîipe \cpi homiives, Jes reid ( «•é-
ci^j|f^s , .S'îpeistiiieiix ^ (»t. Tîoi^ !e vrai r,i<he
de la <ii\i}nié (i;u'.^3 un vain cérc^moniul.
Ji!ie e-^i îrauvose encore , quand, (jevc-
îumr. c'olusïvc et fyriiRinrjaf» , elle rend
iiH petîjîîe sanguinaire et inrotérant ; en-
sorJe qtiil ne res, ire que nicinTie eî nias*
^arre , et croit faire une action sain. 'e en
tunnt quiconque n'atlmet pas ses dieux.
Cela met un tel peuple dans i:n état naturel
ile guerre avec to\îs h s autres, très-nui-
sibîe à sa propre sûreté.
llesre do'nc la religion de l'homme ou
le clirisîikiîisnie, no!i pas ce.l-ii (l'an ion r-
cPhui , mais celui de l'évangile, qui en
est tout différent. Far cctiereîiuionsainio,
sub!i.r.ï\e , véritable, les hommes, enlana
«lu mérne dieu , se reccnnoissent tous
pour frères 5 et la société qui les unit,
ne se dissout pas même à la morr^
Miiis cette religion n'ayant nulle re!a»
tio7i particulière avecle corps politique ,
laisse aux loix la seule force qu'elles ti-
rent d'elles-mêmes sans leur en ajouter
aucun'v autre, e- par la , un des j:^raniis
iicnn de la société particulière reste sans
éïXt^, Bien plus / loin d'aitat^iier les cœurs
s O C î A L. 23 i
clos cTtoyrr!'? à Trtat , elle Uvs en détache
i{>iîn»!e lie loiites le?; cîiof.es ne la lene: je
•ne <'oufioi5 rien tieplu'î cùniraire à l'esprit
<^)a ffbiik <\\t <in\}rï peuple de vrnîschré-
•iK^n^i'oi'rtîeroiî la plus \)p*vù>Ui}. sociéré qii©
Voii ninsse^'.ïtsgiiîer. J(- ne vois a cef îe sup-
position qu'ur.e «^i-aiule tiilfictiUé ; t^est
qii*une 3(>tiét(j de vrais chivniens ne seiuit
plus une société d'hommes.
Je dis hième que certe société suppo-
sée ^nè $ërùit , avt c toute sa periècîioii , ni
ia plus tbrle ni la pi us durah'?^ -, à iovcè
d'être partaiie , elle manqueroit de !iai-
ison *, Sun vice ilestracteur seroit dans sa
|>< rf'ecjion môme.
Chacun rempliroit son devoir; !es peu-
ples seroieiit soiuîTis aux loix, les chéts se-
soient justes et modérés, les maj>îsirafs
intègres et ihcorriîpiibres , les soldats mé-
•p^sei'ôient lit" mort ; il îi^y 'àuVoit ni
Tatiité ni hixe : tont cela est tort bien ,
%tmis voyons plus Idin;
' Le christianisine est une religion tonte
«pîvituellé , occupée URiquefïîêiit des cho-
ses du ciel : Ik patrie du chrétien n'est pais
^le de t^^6^^âe. Il fait son devoir, il eSt
Vrai ,'mais il le fait avec une profonde
indiil'éi'encc sur ic bon ou mauvais succès
233 DIT Contrat
de ses soins. Pourvu qu'il n'ait rien à s«
reprocher , peu lui imperte que tout aille
Lien ou mal ici Las. Si Pétat est florissant,
à peine ose-t-il jouir de la félicité publi-
que*, il craint de s'énorgueiliir de la gloire
de son pays : si l'état dépérit , il bénit la
main de dieu qui s'appesantit sur sou
peuple.
Pour que la société soit paisible , et
que l'harmonie se maintint , il faudroit
que tous les citoyens, sans exception,
fussent également bons chrétiens ; mais
si malheuiVKsement il s'v trouve un seul
ambiiieux , un seul hypocrite, un Calili*
na , par exemple , un Cromwel , celui-là
très-certainement aura un bon marché de
«es pieux compatriotes. La charité chré-
tienne ne permet pas aisément de parler
mal de son prochain. Dès qu'il aura trou-
vé par quelque ruse, Part de leur en im-
poser et de s'emparer d'une partie de l'au-
torité publique , voilà un homme cons*
titué en dignité. Dieu veut qu'on le
respecte : bientôt voilà une puissance ;
dieu veut qu'on lui obéisse. JLe dépositaire
de cette puissance en abuseroit-ii i c'est
la verge dont dieu punit ses en tans. On
se fcroit conscience de chasser l'tisurpa-
îcur; il feudioit uowblcr le repos public^
s O C 1 A X,. 2l33
user de violence , verser du sang ; ton!
cela s'accorde mal avec la douceur du
chrétien: etap-i'ès tout, qu'imporre qu'on
soit libre ou serf di\ï\s cène, vallée de
misères"? L'essentiel est d'al'er en paradis,
et la résiij^naiion n'est qu'un moyen de
plus pour cela.
Survient-il quelque guerre étrangère?
les citoyens marchent sans peine au coni-
Ijat : nul d'entr'enx ne son^e à fuir , ils
font leur devoir , mais sans passion pour
la victoire ? ils savent plutôt mourir qtie
vaincre. Qu'ils soient vainqueurs on vain-
cus , qu'iu5 porte ^^. la providence ne sait-
eile pas mioiîx qu'eux ce qu'il leur faut 1
Qu'on imagine quel parii un {M^nejni fier ,
im{)étueu;c, f>fissionné psut tirer de leur
stoïcisme. Mettez vis -à -vis d'eux ces
peuplçs t;énéreux , que dévoreat l'ardent
amour de la g'oirc et de la pairie ; sup-
posez votre république chrétieune vis-à«
vis de Sparte ou de Ecme, les pieux
chrétiens seront battus , écrasés , détruits,
avant d'avoir eu le lems de se reconnoî-
tre , en ne «levront leur salut qu'au nié-
pas de mourir ou de vaincre , ils jurèrent
2^4 ^ ^ Contrat
cie reTeinr vainqueurs , ei tJnrerit leur
serment : jamïiis (lesc hiétieiis-n'eti ^|lJ>^eut
fait un pareil : ils suroieiu cru tener
Dieu^
Mais je me trompe en disaar laie répu-^
blique thrôrieniie ; chacun de ces deu.t
mors exclut raurre. Le chrîsiiankiiie. no
prêche que serviiiîde et uépenda'jce.
cîon esprit esr, frop frivorabie à la tyrar.iiiri
pour qu'elle iveu proiiîe pas tonjouiS.
Les vj-ai^ chreliens sont i'airs poiir être
esclaves; il^ le savent , et ne s'm éuieti-
venî 'j^uèvcs -■ cette courte vie a trop peu
cie prix à Uui rs yeux.
Les îroupeschréîieîînessontexcellenfes,
nous dir-on. Je le nie. Qu'on mV-p Hion*
tre de toiles. Quant à moi , je ne connois
pas de îroiipes chrélicnnes. On me ciiera
les croisades. Sans disputer sur la valeur
<^es croisés, je remarquerai que, bien
loin d'éîre des cliréiiens , c'éioient des
soldats du prêtre, des citoyens de iVglise;
ils se battoient pour son pays spirituel ,
qu'elle avoir rendu temporel en ne sait
cGninient. A le bien prend i-e , ceci rentre
sous le paganisUie: comme l'évangile n'é-
tablit point une religion nationale ,
touie i^uerre sacrée est impossible paruiï
les chrétiens.
s Ô C I A L. ^o5
Sous les empereurs payens, les soldats
chréiiens rassuretit , er je le crois, c'éroit
une émulation d'honneur contre les trou-
pes {>ayennes. Dès que les empereurs
furent cliréliens , certe éiiuiîaîion ne sub-
sista plus, et quand ia croix ein chassé
l'aigie , tout© la valeur romaine dia-
parut.
Mais laissant à part les considéra rions
politiques, revenons an droit , et fixons
îes principes sur ce poins imporianî. Le
clroir qp.e le p.^cfe social donne au souve-
rain sur les sujets ne passe point , coînine je
Vaidit , les bornes de ruiilité politique (i).
Les siTJets ne doi'ent donc compte au
souverain de leurs opinions, qu'autant
que ces opinions importent à la commu-
nauté. Or il importe bien a Péîat qu%
(i)« Dans la ré])iîbliqne, dit M. d'A».,
» cb.ncun esf parfairenient lil^re en es qui
» ne^ntntpas aux autres »>. Voilà la berne
inévitaiMe , r on. ne peut la poser plus
exacrejnent. Je n'ai pu uje rei'uvser au plaisir
de cirer quelquefois ce manuscrit , quoique
non cc^nii du p'ibiic , pour rendre hon-
neur à.la mémoire d'nn hcnnue illustre ei:
•ï'èspectabiè ,.qni avoit conservé iusques
dans le nûni^stère le <-€eur d'un citoyen,
et des vues droites et saines sur le gou^
Yernemeni. de son pays.
^56 t)V CoNTKAT
chaque citoyen ait une religion qm lut
fabse aimer ses devoirs ; mais les dogmes
de cette religion n'intéressent ni i*état
ni ses membres qu*autant que ces dogmes
,8e rapprochent à la morale et aux devoirs
que celui qui la professe est tenu de rem-
plir envers autrui. Chacun peut avoir au
surplus telles opinions qu'il lui plait >
sans qu'il appartienne au souverain d'en
connoître : car comme il n'a point de com-
pétence dans l'autre monde^ quel que soit
le sort des sujets dans la vie à venir, ce
n'est pas son affaire , pourvu qu'il soit
bon citoyen dans celle-ci.
Il y a donc une profession de foi pu-
lement civile , dont il ap|3arlient ati
souverain de iixer les articles , non pas
précisément comme dogmes de religion ,
iHais comme scntimens de sociabilité ,
sans lesquels il est impossible d'être
bon citoyen, ni sujet fidèle ( i )• Sana
pouvoir obliger personne à les ci'oire ,
il peut bannir de l'état quiconque ne
les croit pas j il peut le bannir , noa
(i) César, plaidant pour Catilina ,
tîichoit d'établir le dogme de la morta-
lité de l'ame : Caron et Cicéron , pour
le réfuter, u€ s'ainusèrent point à phi-
Social. s3-f
comme impie , mais comme insociable ,
comme incapable d'aimer sincèrement les
loix , la justice , et d'immoler , au be-
soin , sa vie à son devoir. Que si quel-
qu'un , après avoir reconnu pubJique-
wenî; ces mêmes dogmes , se conduit
comme ne les croyant pas , qu'il soit
puni de mort ; il a commis le plus c»rand
ftles crimes ; il a menti devant les loix.
Les dogmes de la religion civile doi-
vent être simples, en petit nombre , énon*
ces avec précision , sans explii*aîioiis ni
commentaire. L'existence de la Divinité
puissante^ intelligente, bicnt'aisanic ,
prévoyante et pourvoyante, la vie avenir,
le bonheur des justes, le châtiment des
lîiéchans, la sainteté du Contrat Social
et des loix; voilà les dogmes positits.
Quant aux dogmes négatifs , je les borne
à un seul; c'est l'intolérance ; elle rentre
ilans les cultes que nous avons exclus.
Ceux qui distinguent l'intolérance ci-
losopher : ils se contentèrent de montrer
q*ue César parloit en mauvais citoyen ,
et ayançoit une doctrine pernicieuse k
l'état. En ' effet , voilà de quoi de voit
înger le sénat de Home , et non d'un©
question tUéologique,
aSS D u. • O X T II A T
vile er l'hiN-lerarjcr îlîéolo^jicnie, so !rom^
pt^iî i • à nvo n a V j s . C r s <! e n x i u k . I c r a i rc vs
sont iîKse'i>ar'r\bU\'^. il et.t iriirossible cIg
T ivre en paix £v<=c des^ens qu'on cr^dt
4amnés ; les. aiiijcr, scroit haït VA en qui
les^^ punir ; il hiit al/soUmiçiif ^u^'^i ^t^s
ramène ou qu'on les tounvcnîe., Far-îout
où Pintolér.itîce théologiquç est adinise^
il est inipossibîe qu'elle ii^iit pas quelque
eiiet civil (i ) -, et si-iot quVlie en a , le
( 1 ) Le nuriii^e , pcr exempte, éîant
«M contrat civil , a <ies eiless civils ^
h'.iî\s lesquels il est n'éîue i!npossiî)le que
In sociéré &u])sisîe. Sïippostins donc qii'uii
clergé vienne a bout de s'iithibuer à Ini
seul le droit de passer cet acîe , droit
qu'il doit nccessairement usurper dans
îoce religion intolérante ; alors n'est-
il pjis ilair qu'en faisant valoir à propos
raiitoriié de l'étatise , il rendra vaine
celle du piince , qui n'aura pins do su-
jets que ceux que le clergé voudra bien
Uii donnera Maitre de marier ou de ne
j>as Hiarier les f;cn.s , selon qu'ils anront
ou n'auront pas telle ou telle doctrine ,
selon qu'ils adnieuront ou rejetteront tel
ou tel formulaire , selon qu'ils lui se-
ront plus ou nîoins dévoués , en se con-
duisant prudcuAiuent et se tenant frrn-e,
n'est-il pas clair qu'il ilisposera soûl des
lïérira^es , des charges, des oitoyens ^
ikî l'çut juêiiie qui iiQ sauroit subisisier^
Social.
n
soTîverain r.'est plds 5;()u\eiaîn , moriîte au
temporel : tîècJ-lors les ()ré!res sont le«
inaiîres ; (ejiiois ne sonf que lei!i\SGt'ficie!-s,
ivlaiTHeiiarir <|u'ii n'y a plt)vS e\ qu'il r-e
])(-ur plus y avoir de re!î;;i<)n naiionale
ext\\}siv(} , on \iolt tolérer K^u'es celles
qui toièfciir les aiiires, aurant t^ie lenxs
dof> mes n'ont rien de contraire aux devoirs
dn citoyen. Mai.? quiconque ose dire, hors
ï^ëglise peint de salut , tloir êîre cbaSvSé
de i'éîat , à moins que l'érar ne .soit
l'éprise , et que le prince ne soit le ponîii'e.
Un te) domine n^est bon qne dans un gou-
Ternement thcocratique; tlans tout autre,
il est pernicic^ux. La raison sur laqiiellci
on dit que Henri IV embrassa la religion
ïomaine^ la devroit faire quitter à tout
honnêrc homme, et surtout atout prince
qui sauroit raisonner.
n'étant plus composé que de bâtards ?
Mais , dira t on , l'on appellera , coninie
d'abus y on ajournera , décrétera , saisira
le temporel. Quelle pitié ! Le clergé ^
pour peu qu'il ait , non pis de coTira'ge^
mais de bon sens, laissera îrauquillement
appeler, ajourner, décréter, saisir, et
iinira par erre le maitre. Ce n'est pas ^
ce me send)le , un ^rand sacrifice d'a-
bandonner une partie , quand oa est
sûr de s'eftipaier du wuU
«4© »u CoîTtrat SociAr..
CHAPITRE IX.
A
Conclusion.
f RES avoir posé les vrais principes du
droit politique, et tâché de fonder l'état
sur sa base , il resreroit à Tappuyer parses
relations externes ; ce qui ccraprendroit
le droit des gens , le commerce et le droit
de la guerre et les conquêies, le droit
publie^ les ligues , les négociaùons , les
traités , ,etc. IVîais to.ut cela forme un
nouvel objet trop -vaste pour ma courte
vue -, j'aurois dû la fixer toujours plus préi
ê.Q mou
«I
««*
te rjmp. i'C C o R p I E R , rue JN^ûrfî
/ m
(fv
^,
■#^*-.